Un film universel
Je suis attaché au projet et à ce personnage depuis très longtemps. A mes yeux, le cinéma rejoint l'idée d'inconscient collectif énoncé par Joseph Campbell. Il y a des choses dont nous rêvons tous, des choses auxquelles nous pensons tous, en rapport avec la vie, la mort ou le sexe. Ce sont des thèmes qui vont au-delà du langage... Et pour moi, Je suis une légende tient de ça. Vous savez, tous ces moments où, bloqué sur l'autoroute, vous avez rêvé que tout le monde soit mort ! (Rires) Ces moments où vous avez rêvé de vous retrouver tout seul, où vous pensez ne pas avoir besoin des autres. Et d'un coup, le film vous coupe des autres et vous plonge au coeur des ténèbres et de l'inconnu. Et vous devez faire face : c'est quelque chose de très primaire finalement, qui est en chacun de nous. J'adore cette idée. Et je crois que chacun peut s'y rattacher.
Un projet délicat
La difficulté première réside dans l'équilibre délicat à trouver entre le côté pop-corn d'un blockbuster estival et le côté émotionnel et émouvant d'un film sortant en fin d'année et en lice pour les Oscars. J'espère que nous avons prouvé que l'on peut faire une grosse machine hollywoodienne tout en gardant au coeur de ce "monstre commercial" un produit à dimension humaine, humble, l'histoire d'un type et son chien face au vide de la vie...
New York
Tourner à New York, surtout un projet de cette envergure, c'est toujours difficile. Je crois n'avoir jamais autant reçu d'insultes de toute ma carrière ! (Rires) Je suis habitué à ce que les gens m'apprécient quand je débarque dans la rue pour un tournage. Mais là, avec tous ces bras d'honneur, je commençais à croire que "Fuck You" était mon deuxième prénom ! (Rires) Pour en revenir au tournage, nous avons dû boucler cinq blocs sur la 5e Avenue un lundi matin. Et c'était vraiment compliqué à gérer. Mais en même temps, vous n'avez jamais vu au cinéma un plan de New York désert... Et c'est vraiment impressionnant de marcher seul en plein milieu de la 5e Avenue ! C'est quelque chose qu'on ne peut jamais faire normalement. Même à deux heures du matin un dimanche... Et ces plans apportent quelque chose de vraiment troublant au film. Tous ces buildings très connus, ces quartiers, le bâtiment des Nations Unies, Broadway... Ca provoque une sensation vraiment étrange quand vous regardez ces différents plans... Au niveau de la logistique, c'était un cauchemar, mais nous avons réussi à créer une ambiance qui aurait été impossible à obtenir avec des fonds verts. Ou en tournant ces plans dans une autre ville...
Le dernier homme sur Terre
Ce film m'a permis de faire une incroyable exploration de moi-même. Car vous vous retrouvez dans une situation où vous n'avez personne en face de vous pour vous aider à créer une dynamique. Vous devez créer le stimulus et sa propre réponse à vous tout seul. Et à ce moment là, il faut se recentrer sur soi-même, se mettre dans un certain état d'esprit et se laisser imaginer des choses qui ne nous seraient pas venues à l'esprit. Pour préparer le rôle, j'ai rencontré des prisonniers de guerre et des gens qui ont été soumis à des périodes d'isolement. Ca m'a permis de travailler sur l'état d'esprit à avoir dans ce genre de situations. Ils m'ont dit par exemple que la première chose à avoir en tête, c'est un planning : on ne peut pas survivre en solitaire si on ne planifie pas tout. Nous avons notamment rencontré Geronimo ji-Jaga, anciennement Geronimo Pratt des Black Panthers, qui a vécu en isolement durant plus de trois mois. Il expliquait qu'il allait jusqu'à planifier des choses comme le nettoyage de ses ongles : selon son planning, il devait consacrer deux heures à cette activité. Il m'a dit qu'il avait dressé durant six semaiens des cafards à lui apporter de la nourriture ! Jusqu'où l'esprit peut aller pour se protéger... Soit il a vraiment dressé ces cafards, soit il avait besoin de ça, de cette "activité" pour ne pas perdre la raison. Dans les deux cas, c'est une mine d'or pour le cinéma ce genre d'anecdote. Et pour moi, c'était à cet état d'esprit qu'il fallait parvenir, un état où, quelle que soit la vérité, le personnage a besoin de ça pour survivre. La seule chose qui compte est ce qu'il voir lui, et ce qu'il croit être vrai. Donc ce film, c'était ça : une incroyable exploration de ce qui arrive à l'esprit humain quand il essaye de se défendre. Je pense avoir beaucoup appris en tant qu'acteur en travaillant là-dessus, sans dialogues.
Perdre 10 kilos
10 kilos, c'est énorme pour moi ! En fait, nous avons découvert que dans ces conditions extrêmes, l'Homme ne se nourrit que pour suvivre, la nourriture n'est plus une envie, un luxe mais une nécessité. On finit donc par moins manger et perdre du poids. On oublie même de manger parfois. De perdre du poids c'est dur mais l'enfer pour moi c'est d'en gagner ! Jouer par exemple dans Ali fut donc bien fois difficile en raison de ce défi. Et puis perdre du poids, c'est facile si vous faites 20 kilomètres de course tous les jours, et six fois par semaine ! Dans tous les cas, j'essaye de rester en parfaite condition physique... surtout pour ma femme et pour faire garder le sourire à notre couple ! (Rires)
Tourner avec sa fille
En fait, vous ne travaillez pas avec Willow, mais vous travaillez pour Willow ! (Rires) C'est intéressant car Jada (la femme de Will Smith, NDLR) et moi discutons souvent de l'inné et de l'acquis. Si deux acteurs vont à Mexico, boivent de la tequila couchent ensemble et font un enfant : est-ce que le bébé sera acteur ? Ou est-ce parce qu'il sera élevé dans tel milieu et telle maison qu'il s'inspirera de cette expérience ? Quand je regarde Willow, je me dis que ce n'est ni l'un ni l'autre. Il doit y avoir autre chose. Willow adore la comédie. Quand nous avons tourné la scène du pont, nous étions près d'un immeuble sur lequel on pouvait suivre l'évolution de la température ambiante. En plein jour, il faisait 29 degrés. Puis la nuit venue, c'est tombé en dessous de zéro. Willow était frigorifiée, fatiguée aussi, mais elle s'est tournée vers moi et elle m'a dit : "Papa, peu importe combien de temps ça prendra, mais je veux finir la scène". J'étais impressionné. Et lui ai répondu que de toute façon, si ça descendait encore plus bas, moi, je partirais ! Elle aime vraiment ça, elle a une énergie incroyable, et elle arrive à trouver l'émotion juste à l'écran. Ca vient beaucoup de son frère, Jaden. Après la sortie de A la recherche du bonheur, elle a dû se dire : "Je veux la même chose". (Rires) La nuit où nous lui avons annoncé qu'elle avait obtenu le rôle -car nous faisons passer les auditions à nos enfants comme pour n'importe qui d'autre- elle était assise en face de Jaden. A la maison, on annonce toujours les bonnes nouvelles en famille. Et là, quand nous avons dit "Bravo à Willow, elle a eu le rôle", elle s'est tournée vers son frère en silence, sans laisser filtrer une seule émotion. Simplement comme si elle disait "OK mon gars, c'est mon tour maintenant".
Le dernier ami de l'homme
Quand j'avais 9 ans, j'ai eu un golden retriever qui s'appelait Trixie. Et elle est morte, écrasée par une voiture. Donc depuis, j'ai dit à Jada et aux enfants qu'ils pouvaient avoir tous les chiens qu'ils voulaient, mais que moi, plus jamais je ne m'attacherai à un animal. Et puis Abby a débarqué sur le plateau... Un chien vraiment intelligent. Elle joue avec vous, comme une folle, et puis dès qu'elle entend "Action", elle se précipite sur sa marque, prête à tourner ! Et elle semblait même savoir quand je connaissais mal mes répliques... Elle s'arrêtait de jouer quand je me trompais, vous pouvez le croire ? C'est la première fois que je m'impliquais autant avec un animal depuis Trixie, et j'ai demandé au dresseur de l'adopter. Mais lui me répondait que c'était son gagne-pain, et qu'il ne pouvait pas. Je lui ai proposé tout ce qu'il voulait, une maison dans les collines même ! (Rires) Abby est une chienne géniale, intelligente, douce... Et j'ai ressenti une nouvelle fois la peine qu'on a d'être séparé d'un animal qu'on aime. Le dresseur m'a promis de me l'amener tous les week-ends, mais ça fait mal. Elle est super cette chienne...
Et s'il fallait vraiment sauver le monde ?
Ce qui est intéressant avec un personnage comme celui-ci, c'est que vous vous demandez rapidement comment vous, vous réagiriez dans la même situation. Sur Ali par exemple, ce fut le cas quand nous avons tourné la scène où il refuse de s'avancer tant qu'on ne l'appelle pas Muhammad Ali : il savait qu'il allait finir en prison, mais il n'avançait pas. Et je sais que je me suis longtemps demandé ce que moi j'aurais fait à sa place... Et je ne sais toujours pas si j'aurais eu assez de courage pour faire ce qu'il a fait. Et quand je pense à Robert Neville, le héros de Je suis une légende, je me pose aussi des questions. Pourquoi continuer à vivre ? Quel espoir peut-il avoir ? Comment se réveiller chaque matin en essayant de reconstruire ce qui n'est plus et ne sera plus jamais ? Et j'aime à croire que je ferai comme lui... Même si j'essaierai plus probablement de trouver un pont d'où me jeter pour rejoindre ma femme. (Rires) C'est difficile de répondre à ce genre de questions : honnêtement je ne sais pas de quelle façon je réagirais. On aime bien se poser la question, et en même temps on redoute d'être vraiment confronté à la situation.
Et si vous étiez vraiment le dernier ?
Je garderais un flingue pour me faire sauter le caisson ! (Rires) C'est certain que parfois on se dit naivement que ce serait super d'être le seul Homme sur Terre, que tout le monde disparaisse. Mais même si les gens vous gonflent dans les embouteillages, ou dans d'autres situations, je vous garanti que le vrai enfer c'est un monde vide de toute âme. Je me souviens que pour une scène, on avait "nettoyé" la Cinquième Avenue de New York sur un demi kilomètre, sans une ombre vivante en vue. Au bout d'un moment, de tourner dans un tel cadre, j'ai commencé vraiment à flipper et j'ai bien été content quand le réalisateur a hurlé "Coupez !" et que tout le monde est revenu à la vie ! Je crois vraiment que dans la vie, on a besoin du regard et de l'amour des autres : sans ça, on ne peut pas fonctionner normalement.
Fan de SF
C'est vrai que je suis un fan total de science-fiction. De science tout court puisqu'au début je voulais faire des études scientifiques. J'ai par exemple toujours rêvé de construire la classe du XXIe siècle avec des écrans digitaux sur chaque bureau et tout automatisé pour les élèves. J'ai toujours voulu rapprocher technologie et éducation. Mais au final, j'ai préféré faire l'acteur, tout en jouant dans des films hautement scientifiques ! D'ailleurs je m'étais rendu compte en arrivant à Hollywood que les films qui marchent le mieux sont des films de SF comme Star Wars, E.T. l'extraterrestre, Star Trek, Rencontres du 3ème type... Et donc forcément cela m'a mis la puce à l'oreille et me voici au coeur d'un Independence Day ou d'un Je suis une légende. Pour ce qui est des bouquins de SF, je les aime tous et évidemment j'avais adoré le roman à l'origine de notre film.
Propos recuellis par Emmanuel Itier à Los Angeles