AlloCiné : Laura, quand on joue un rôle aussi dur, est-ce que l'on s'implique au point de penser à ce qui pourrait arriver à son entourage ?
Laura Linney : Il n'est pas possible de ne pas faire un parallèle avec le personnage que l'on incarne à un moment où un autre. Cependant, j'essaie toujours de servir avant tout le personnage et l'histoire. Autrement, ça ne marche pas toujours, car mon état émotionnel ne correspond pas toujours à l'univers de Tamara.
La famille est toujours au centres de vos travaux, qu'il s'agisse des courts métrages ou des "Taudis de Beverly Hills" : pourquoi ce thème récurrent ?
Tamara Jenkins : On me pose souvent cette question dans les festivals de films : pourquoi les films américains portent-ils si souvent sur la famille ? Mais ils n'ont pas lancé cette mode : les Grecs sont responsables, moi je n'y suis pour rien... (rires) Je pense que s'il y a quelque chose d'inhérent à la tragédie, c'est bien la famille. Donc, sans être Eugene O'Neill ou Tennessee Williams – qui gravitaient eux-même autour du thème de la famille – je crois que le cercle familial est dramatique parce que la famille est, par définition, un ensemble de gens forcés à cohabiter ensemble, qui sont coincés dans une proximité de naissance. Donc, je crois que ma fascination pour la famille vient de l'expérience formative qu'elle représente, et le fait de devoir apprendre à composer avec cette famille avec laquelle on est coincé. Depuis mon enfance je suis attiré par les pièces de théâtre et les romans qui traitent de la famille. Le cercle familal est propice à disséquer les comportements humains.
Laura, comment s'est établi ce jeu de ping-pong verbal entre Philip Seymour Hoffman et vous ?
Laura Linney : C'était facile, grâce à un scénario solide et un excellent partenaire, ce qui n'est pas aussi simple dans le cas contraire. Là, c'était vraiment le rêve. Nous venons tous deux du théâtre, nous avons la même manière de travailler, donc, il était assez aisé de jouer ensemble. Nous nous sommes tout simplement pris la main et laissés aller.
Comment devient-on les parents de nos parents ? Comment cela change-t-il une personne, de renoncer pour toujours à son enfance ?
Tamara Jenkins : Dans ce film, j'ai exploré le problème de la confrontation avec la mort, mais je crois que c'est aussi un prisme où l'on voit la vieillesse sous différents angles : celui, dur et sévère, de la mort du père, celui de Wendy qui, à 39 ans, se cherche, a une relation avec un homme marié, travaille en interim et qui, finalement, sait que sa vie n'est pas aussi comblée qu'elle le voudrait. Jon aussi est frustré par sa propre vie. Personne ne profite véritablement de sa vie. Tous deux sont figés dans une sorte de "stupeur post-universitaire", quand cette tragédie avec le père arrive soudain comme une lampe-torche fixée sur leur vie grâce à laquelle ils commencent à regarder leur propre vie, comme un éveil.
Quant à ma vie privée, ma propre grand-mère a été atteinte de sénilité, tout comme mon père, qui est mort de la même façon. J'étais relativement jeune quand c'est arrivé – j'avais une trentaine d'année – car mon père avait vingt ans de plus que ma mère, et personne autour de moi n'avais connu cela. Et quand je me suis mise à écrire ce scénario, j'avais alors 41 ans – j'en ai maintenant 45 –, mes amis se sont mis à vivre ce que j'avais expérimenté dix ans auparavant. Donc, écrire l'histoire de La Famille Savage ne touchait plus que moi, mais aussi tous ceux qui m'entouraient. Un autre élément de ma vie est cette maison de retraite à un paté de maison de chez moi, devant laquelle je passe 3 ou 4 fois par jour quand je promène mon chien et qui a fini par m'obséder. Tous ces éléments personnels m'ont amené à écrire La Famille Savage.
Pour ce film, vous dites vous être inspiré de Hansel et Gretel ?
Tamara Jenkins : En fait, cela n'a pas commencé directement avec Hansel et Gretel, mais avec une scène entre un frère et une soeur que j'avais écrite. Il vient toujours un moment quand l'on écrit où l'on se demande où l'on va. Et je suis tombée sur ce livre que je possédais depuis des années, un livre de Bruno Bettelheim intitulé Psychanalyse des contes de fées, où il se penche sur le sens des contes et sur leur importance sur le développement de l'enfant. J'ai tout simplement sorti le livre de mon étagère et je l'ai feuilleté jusqu'à ce que j'arrive à Hansel et Gretel. Il y explique que cette histoire parle d'enfants bannis de leur foyer, jetés dans les bois, dans le monde extérieur, et qu'ils sont confrontés à l'expérience de la mort et apprennent à y survivre. Je simplifie beaucoup l'explication de Bettelheim, mais son propos est bien celui de la formation de l'individu et de maturation. Je me suis alors dit que Wendy et Jon, avec leur crise de la quarantaine et leurs névroses, sont un peu des Hansel et Gretel modernes. Eux aussi ont été expulsé de la maison familiale et abandonné dans les bois où ils y ont été confronté aux animaux et à la forêt.
Pour finir, vous êtes-vous sentie chanceuse quand Phillip Seymour Hoffmann a obtenu son Oscar, avant que le tournage ne débute ?
Tamara Jenkins : Cela m'a fait peur. Je craignais qu'il n'éclipse La Famille Savage, ce film à petit budget pour lequel il avait signé. Je n'avais même pas encore vu Truman Capote (il avait dit oui en août et le film n'avait été présenté au Festival de Toronto qu'en septembre). J'étais contente pour lui, mais je craignais qu'il ne soit plus intéressé par le projet, ce qui n'était pas le cas. Il voyait toujours quelque chose d'intéressant dans La Famille Savage.
Propos recueillis par Clément Gavard le 26 octobre 2007, à Paris