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    "Vol 93", par Khalid Abdalla

    Choc, tension, émotion, dignité... Autant de sentiments qui étreignent le spectateur de "Vol 93". Interprète de l'un des terroristes du film, Khalid Abdalla revient, très ému, sur le projet.

    Never forget

    Khalid Abdalla : Ce film revient, plus ou moins en temps réel, sur les événements relatifs au Vol 93, sans "hollywoodisation", ni "glamorisation", ni exagération. C'est un film sans compromis. Et un film qui, selon moi, amène les gens à se poser une seule et unique question : pourquoi ? Le slogan qui accompagne le film est "Never Forget". Avec ce genre d'événements, c'est très important de se souvenir. Mais ce film dévoile des événements dont les spectateurs ne savent pas grand chose finalement. Et pour se souvenir, c'est essentiel de savoir.

    Bravo et merci

    Les réactions autour de ce film sont assez singulière et marchent toujours en trois temps. Ce sont les mêmes pour tout le monde, des acteurs aux producteurs en passant par les familles des victimes ou les spectateurs. Première réaction quand vous entendez parler du projet : "Oh non ! Ca va être un film ignoble". Deuxième réaction, quand vous entendez parler du film, de son propos et de la façon dont il a été produit : "Oh mon Dieu, peut-être vont-ils le bien faire ?". Troisième réaction, quand vous voyez le film : "Vous l'avez fait de la bonne façon. Merci".

    Réticences

    Quand j'ai été contacté pour le rôle du terroriste Ziad Jarrah, je ne voulais même pas entendre parler du projet. Je ne suis même pas allé aux auditions. Vous savez qu'il suffit de dire le mot "arabe" pour le voir associer à "terrorisme", "bombe humaine", "pirate de l'air", "rois du pétrole", "oppression des femmes", "11 septembre" même. Je ne voulais pas faire partie d'un film faisant la promotion de ces stéréotypes ni de la haine entre les races et les religions. Quand j'ai rencontré Paul Greengrass, j'ai compris que ce film serait fait de la bonne façon.

    Un engagement vis à vis du 11 septembre

    Paul Greengrass a fait un nombre incroyable de recherches pour ce film. Il a récolté tout ce qu'on peut savoir à l'heure actuelle sur cette histoire. Et le résultat à l'écran est sans doute le plus proche possible de ce que ces gens, au niveau collectif mais surtout individuel, ont vécu ce jour-là. Ce film, dans un sens, est un "engagment" vis-à-vis du 11 septembre. A la fois comme un film, mais aussi comme une "occasion". C'est un film qui fait désormais partie de la vie de ces familles, dans le cadre de cet événement. Tout comme le fait de faire cette interview avec vous l'est pour moi, de par mon appartenance au monde arabe et musulman. Vol 93 n'est pas simplement un film qui est là pour être projeté et faire de l'argent. C'est un film d'une profonde dignité dans son esprit, et c'est pour cela, je pense, que les gens l'apprécient. Pour son rapport aux vrais événements également.

    Une histoire d'individus, pas de stéréotypes

    Lors des événements du 11 septembre, j'ai été touché et concerné –et ce film aborde je crois ces deux points- par les deux tragédies survenues ce jour-là. D'un côté, la plus terrible, c'est la mort de plus de 3 000 innocents dans les tours. Et de l'autre, le fait que 19 terroristes se soient autoproclamés représentants d'un milliard deux cent millions de Musulmans à travers le monde. C'est quelque chose d'atroce. Et le film aborde ces deux idées : il montre l'importance d'une vie innocente et ce que cela signifie de prendre cette vie, et il essaye par ailleurs de briser cette idée de la représentation. Et pour faire ça, il faut raconter l'histoire d'individus, et non de stéréotypes.

    Ziad Jarrah, l'homme derrière le terroriste

    Ziad Jarrah a étudié dans une école chrétienne, il avait une petite amie en Allemagne... En juillet 2001, il a tenté d'abandonner cette opération terroriste. C'était l'un des seuls terroristes à avoir des contacts réguliers avec sa famille : le 9 septembre 2001, il les a d'ailleurs appelés pour leur dire qu'il les verrait le 22 du même mois lors d'un mariage. Et puis il est advenu ce qu'il s'est passé dans l'avion...

    26 minutes de doute

    Dans les autres avions détournés, les terroristes sont passés à l'action 5 minutes après que le signal lumineux se soit éteint. Sur le Vol 93, cela a pris 26 minutes, ce qui du point de vue des terroristes est catastrophique car chaque minute qui s'écoule à voler dans la mauvaise direction les retarde de deux minutes, car il leur faudra revenir en arrière. Il faut alors prendre en compte cette information dans le cadre du personnage de Ziad Jarrah : il est le leader de cette opération sur cet avion, il a décidé de se donner la mort et de tuer tous ces gens avec lui, il s'est préparé, il en est déjà passé normalement par le moment des remises en question et des "Vais-je arriver à le faire ?", il a pris le temps d'écrire une lettre d'adieux à sa fiancée le 10 septembre... Mais une fois dans l'avion, alors que le signal lumineux s'éteint, il ne fait rien et attend 26 minutes durant. On peut alors supposer un certain niveau d'hésitation, d'incertitude, de doute, d'envie de faire marche arrière... Un mélange de tout ça. Il ne sait plus quoi faire, tout simplement. Et l'histoire humaine à raconter autour de ça est incroyablement riche. Et c'est de cette façon que l'on parle d'individualités, et plus de stéréotypes.

    Pourquoi ?

    C'est pour cela que la question importante qui se pose autour du film et du 11 septembre, c'est "Pourquoi ?". Certains se disent que seul un monstre peut faire des choses aussi monstrueuses : c'étaient des monstres, ou du moins l'idée que je peux me faire d'un monstre, et je ne vais pas chercher plus loin. Mais si vous vous demandez comment des êtres humains ont pu faire une chose aussi monstrueuse, alors cette question prend toute son importance. C'est pour cela que ce film englobe de manière puissante cette question du pourquoi.

    Le vrai courage

    Et d'un autre côté, j'aime beaucoup également le fait que ce film montre la nature du vrai courage et du véritable héroïsme. Ce n'est pas quelque chose de "propre" : il faut agir sans vraiment savoir quoi faire, aider les autres, faire quelque chose sans savoir exactement ce que vous faites... Et j'espère que ce film parvient à montre ça.

    Comprendre son personnage

    Leurs motivations sont assez évidentes je pense. Ce qu'ils font a bien évidemment un lien avec la situation politique au Moyen-Orient. Il est clair également qu'ils font ça non pas pour empirer la situation, mais pour que les choses s'arrangent pour le peuple arabe et les Musulmans. Ils ont donc cette vision positive de leur action, alors que n'importe qui dans le monde, même le jour des attentats, a conscience que c'est la pire des choses à faire pour essayer de changer les choses au Moyen-Orient, et qu'elle n'aidera en rien le peuple arabe et les Musulmans. Ne serait-ce qu'en terme de chiffres... Depuis le 11 septembre, la majorité des morts en Irak, en Jordanie, en Egypte au Maroc, en Arabie Saoudite ou à Bali, ont été des Musulmans. De ce point de vue, ils n'ont fait qu'empirer les choses. Même constat pour les Palestiniens, pour qui la situation est pire qu'avant. Et même du côté d'Al Qaïda, selon l'expert Peter Burgen avec qui j'ai participé à une conférence, il y a un débat autour de la question du 11 septembre pour savoir si c'était la bonne chose à faire. Et si cette opération a été couronnée de succès... Ben Laden avait prévu que les Etats-Unis s'écrouleraient à la manière de l'Union Soviétique : un tigre de papier que l'on frappe une fois et qui tombe. On se rend compte que sa vision du monde est bien trop simpliste et tout simplement fausse.

    Briser l'idée de représentation

    Je comprends profondément les douleurs et les difficultés du monde arabe. Mais ma réponse à ces maux est totalement opposée à celle de mon personnage. Et faire ce film, c'était ma manière ce répondre à ce qu'ils avaient fait. Il s'agissait, comme je l'ai dit, de briser cette idée de représentation. Et aussi de montrer ce moment crucial où vous acceptez l'idée qu'un être humain puisse faire quelque chose de monstrueux : c'est le premier pas vers le fait de faire une démarche pour comprendre une personne au niveau individuel car il s'agit bien d'une individualité ici.

    Un tournage haute tension ?

    Nous avons été séparés des "passagers" durant les répétitions. C'était donc un tournage plein de tensions, effectivement. Ce film, c'était une opportunité unique pour moi, car je pouvais répondre à toutes ces idées négatives qui sont associées au mot "arabe", et donc sur ce plateau, à moi et mes trois partenaires. L'une des choses dont je suis le plus fier en tant qu'acteur sur ce film, et qui est assez symbolique vis-à-vis de ce que représente mon personnage, c'est que je suis à l'opposé de lui, complètement différent. Il y a une belle leçon dans la façon dont tous les préjugés qu'avaient les autres comédiens vis-à-vis de moi ont justement été brisés dès la première rencontre. Déjà par mon accent, mais également par le fait que je suis allé à Cambridge, et puis que je suis -du moins j'espère l'être- quelqu'un de gentil. Je me souviens de ces moments assez amusants entre l'attente des gens sur qui je pouvais bien être par rapport à ce que représente mon personnage, et qui j'étais vraiment.

    Un privilège et une fierté

    J'en ai tellement... Que ce soit la Première à New York avec les familles des victimes, ou la première fois que nous avons tourné la scène du détournement que tous les acteurs sont sortis de l'avion en larmes. Ca a été un grand privilège de faire partie de ce film, et je suis fier de ça. En tant qu'Arabe et Musulman, je serai le premier à le dire si ce n'était pas le cas. Mais je suis profondément fier de ce film, et du travail fait par Paul Greengrass.

    Propos recueillis par Yoann Sardet le 29 juin 2006

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