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    "L'Ivresse du pouvoir" : rencontre avec Claude Chabrol

    Avec "L'Ivresse du pouvoir", en salles aujourd'hui, Claude Chabrol signe un réjouissant jeu de massacre doublé d'une réflexion désabusée sur la justice. Cuisiné par Allociné, le cinéaste passe aux aveux.

    Comment Isabelle Huppert a-t-elle fait pour vous surprendre cette fois-ci ?Ce qui me fait marrer, c'est qu'en ce moment elle est dans une période où elle veut être très mince. Je lui ai dit : "Quand même, t'exagères..." Elle m'a répondu : "Mais c'est bien pour le film, non ?" Et c'était vrai ! (rires) Elle calcule énormément. Le grand truc d'Isabelle, c'est d'avoir la maîtrise des choses. C'est pour ça qu'on aime bien tourner ensemble : elle peut faire ce qu'elle veut, elle sait que de toute façon ce sera à l'intérieur du film. D'ailleurs, une des caractéristiques des personnages que je lui fais jouer, c'est qu'ils sont toujours conscients. Je ne lui ai fait jouer l'inconscience que dans Une affaire de femmes, et un peu dans La Cérémonie - elle sait faire ça très bien aussi.

    L'homme qu'incarne Robin Renucci tranche avec les autres personnages, un peu comme le rôle qu'il jouait dans "Masques".Ce qui se passe, c'est que le personnage est déjà éteint. Mais c'est normal : quand une personne qui a du pouvoir rentre chez elle le soir, la charge d'électricité est telle que les autres s'électrocutent. Sauf s'ils ont coupé tous les fils...

    Un mot des nouveaux venus : Marilyne Canto ou Patrick Bruel. S'agit-il d'acteurs auxquels vous pensiez depuis longtemps ?Oui, et je dois dire que je suis très aidé par Mademoiselle Chouchou. Marilyne me semblait parfaite en raison de sa taille, et je savais qu'on s'entendrait bien. Elle a vécu longtemps avec un type que j'aimais beaucoup, Benoit Régent, qui faisait un peu partie de la famille.Le scénario de "L'Ivresse..." est co-signé par Odile Barski, avec qui vous travaillez régulièrement, depuis longtemps. Je crois que votre première collaboration correspond à votre rencontre avec Isabelle Huppert.Absolument, le premier scénario, c'était Violette. En général, j'aime bien travailler avec quelqu'un, le plus souvent une femme mais pas toujours, et, une fois sur quatre ou cinq, travailler tout seul. C'est comme ça.

    Je ne sais pas si vous serez d'accord, mais depuis quelques années, j'ai remarqué une forme d'alternance : vous passez d'un film disons sur l'intime, le mental, à un film sur une collectivité, ou sur la politique : "L'Enfer"/"La Cérémonie", "Rien ne va plus"/"Au coeur du mensonge", "Merci pour le chocolat"/"La Fleur du Mal", "La Demoiselle d'honneur"/"L'Ivresse du pouvoir"......Et le prochain qui sera sur le mental. Oui, oui, c'est marrant. Ca a l'air de tenir. Je ne m'en étais pas aperçu, ça doit être ce qui me vient naturellement en tête. Mais de toute façon je suis pour l'alternance. Surtout en ce moment ! (rires)

    Un autre cinéaste s'est emparé de l'histoire politique récente : Guédiguian avec "Le Promeneur du Champ-de-Mars" sur François Mitterrand..., avec un comédien que vous connaissez bien, Michel Bouquet... J'ai bien aimé. J'ai trouvé le Bouc absolument fantastique, le film formidablement élégant, bien foutu. Le petit problème, c'est que je n'ai pas une confiance absolue dans ses sources, si vous voyez ce que je veux dire... [le film est inspiré d'un livre de Georges-Marc Benhamou]. Surtout que c'était quand même un portrait. Je suis sûr que Robert doit avoir les mêmes doutes. En même temps, il a pris le bouquin qui existait : il aurait attendu deux ans, il aurait eu l'embarras du choix !Deux des films français qui ont marqué l'année 2005 sont "De battre mon coeur s'est arrêté" et "Le Petit lieutenant", deux polars, votre genre de prédilection.

    J'aime beaucoup les deux films. Ce sont deux cinéastes, il n'y a aucun doute là-dessus, et ça fait plaisir. Par exemple, je trouve Le Petit lieutenant plus crédible que 36 quai des orfèvres . C'est étonnant parce que théoriquement, Olivier Marchal ayant été flic... Je pense que le problème vient de la mise en scène qui est un peu trop "moi aussi, je sais le faire", ce qui est toujours gênant. Il y a quand même beaucoup d'effets, la mise en scène est lourde, peu gracieuse. La grâce, elle est dans le film d'Audiard, et dans celui de Xavier -pour qui c'était sans doute plus difficile parce qu'il tenait à ce côté documentaire.

    Certains de vos collègues de la Nouvelle vague (Rohmer, Rivette) connaissent des problèmes pour financer leurs films, mais vous semblez plutôt préservé...

    Moi, je suis prudent. Je réfléchis beaucoup, je fais gaffe. Mais du coup, il faut supporter le fait qu'on me prenne pour un rigolo, un paresseux. J'en ai entendu ! Il y a des types qui écrivaient quinze lignes dans la semaine et qui me traitaient de paresseux, ce qui me faisait hurler de rire. Maintenant ça va, l'âge venant, j'ai la carte comme on dit. Tant qu'on me la laisse, tant mieux. Quand on me l'enlèvera, je gueulerai...

    Votre longue collaboration avec le producteur Marin Karmitz semblait idyllique. Que s'est-il passé [les deux derniers films de Chabrol sont produits par Patrick Godeau) ? Je ne sais pas. Il s'est fâché avec moi parce que j'ai tourné mon film précédent avec un autre producteur. J'espère qu'il se réconciliera un jour, parce que moi je ne suis pas fâché ! Le plaisir que j'ai eu à travailler avec lui reste intact, mais du point de vue de mon boulot, que ce soit lui ou un autre, ça ne change rien.

    Vous avez réalisé des téléfilms à une époque où peu de cinéastes le faisaient. Aujourd'hui, tout le monde travaille pour le petit écran, sauf vous !

    Qu'est-ce qu'on me proposerait ? A la rigueur une mini-série en deux parties où on arrête un assassin à la fin de la première partie et où en trouve un autre à la fin de la seconde ? Non, c'est épouvantable, c'est trucs-là. La dernière fois que j'ai proposé une télé, on me l'a refusée. On avait une idée marrante, pourtant : faire 4 films sur 4 flics, Sherlock Holmes, Poirot, Miss Marple et Charlie Chan, tous interprétés par Serrault. La réunion qu'on a eue à France 2 a été étonnante. On m'a tout dit. D'abord, ils ont demandé qui était Charlie Chan. Après ils ont dit : "Ah oui, Miss Marple, c'est bien, ça rappellera La Cage aux folles. Et pour finir ils m'ont dit : "4, c'est trop, on va déjà en faire un." Ca perdait tout intérêt ! On se retrouve comme en Allemagne après la guerre, quand ils ont voulu relancer le cinéma allemand. Ils se sont dit : les scénaristes ont dû mourir à Stalingrad, on va prendre des types pour construire les scénarios. Alors ces gens disaient par exemple : "Il faudrait une scène de cabaret à la 4e bobine !" Ils ont fabriqué comme ça une série des films inimaginables, et on est là-dedans aujourd'hui. J'ai vu récemment deux téléfilms sur 13e rue, l'un de Laurent Jaoui, l'autre de Serge Meynard. C'était pas mal fait (et ils ont du mérite parce qu'on leur donne très peu de jours). Hélas, les 2 scénarios étaient littéralement parallèles. C'était pas la même histoire, mais on pouvait les suivre en parallèle ! C'est comme Josée Dayan, c'est lamentable. Vous avez vu Milady ? Il y en a beaucoup qui ont aimé. Faut dire que c'était aimable... C'est la première fois que je voyais un Porthos homosexuel, ce qui est assez difficile. A la fin quand il dit "La Mort !" [(le réalisateur nous gratifie alors d'une imitation), c'est inouï ! (rires)

    Parlons de vos projets : vous deviez réaliser une adaptation du roman de Serge Joncour UV, mais vous y avez renoncé...UV. Que s'est-il passé ?Hélas, je l'ai abandonné à mon grand dam. Après la première conversation, j'ai eu l'impression que je ne pourrais pas faire ce que je voudrais. J'ai été un petit peu effaré... (l'air songeur et déçu) C'est dommage, parce qu'on avait fait une belle adaptation. J'ai un autre scénario qui n'est pas tout à fait prêt, mais disons que mon esclave a travaillé. Mon esclave, c'est Mademoiselle Chouchou. C'est hallucinant : c'est ma fille, c'est mon assistante, et je ne savais pas que c'était aussi une scénariste fantastique ! [eh oui, la mystérieuse Mademoiselle Chouchou n'est autre que sa fille Cecile Maistre, son assistante réalisatrice, sa directrice de casting...). Elle a fait un travail épatant. C'est d'après un fait divers américain du début du XXe siècle. Mais ça se passe de nos jours en France, à Lyon. Ca traite des rapports entre les hommes et les femmes, du point de vue féminin. Et il est question d'un tour de magie.

    Claude Chabrol, je vous remercie pour cette interview...Ah bon, vous ne voulez pas le titre du prochain film ?

    Ah, mais si, je veux bien...Allez-y, qu'est-ce que vous me suggérez ? (rires) Non, pour l'instant, je suis assez content, c'est La Fille coupée en deux. Qu'est-ce que vous en pensez ?

    Propos recueillis le 23 janvier 2006 par Julien Dokhan

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