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    "Mary" : rencontre avec Abel Ferrara

    Avec "Mary", en salles ce 21 décembre, Abel Ferrara aborde frontalement les thèmes religieux habituels de sa filmographie. Entretien avec le maestro new-yorkais.

    AlloCiné : pourquoi avoir choisi une actrice française, en l'occurence Juliette Binoche, pour "Mary" ?

    Abel Ferrara : Ça n'avait rien à voir avec le fait qu'elle soit française qui nous a fait la choisir. De la même façon qu'Almereyda et moi avions fait des films de vampires en noir et blanc au même moment), Juliette travaillait sur une pièce ou un film sur Marie-Madeleine. Donc elle était déjà prise par le projet. C'est magique de trouver quelqu'un qui travaille déjà sur le même film que vous. Je ne connaissais pas Juliette avant ça.

    Vous parlez du "Nadja" d'Almereyda, tourné il y a dix ans en même temps que votre "The Addiction". Etiez-vous au courant à l'époque qu'il tournait un film sur le même sujet ?

    Non, je n'étais pas au courant de son film avant que nous ayons terminé le nôtre. Vous savez, c'est un peu la même chose qu'entre le film de Mel Gibson, La Passion du Christ et Mary ou bien The King of New York et le film des frères Cohen, Miller's crossing. Ce sont des sortes de concept qui sont dans l'air du temps. Donc non, je ne savais pas ce que Michael faisait mais cela ne nous a pas surpris. On a travaillé séparément sur les mêmes projets.

    Et pourquoi Marion Cotillard ?

    Elle est très spéciale vous savez. Je l'avais rencontré pour le rôle de Mary et elle me semblait juste bien.

    Que pensez-vous de Forest Whitaker ?

    Oui, c'est un gaillard puissant et spirituel. Il n'avait pas un grand rôle dans Body Snatchers, mais si vous avez vu Ghost Dog et ses petits rôle chez Scorsese ou bien encore dans Bird, c'est un talent monumental. On avait essayé de retravailler ensemble dans The Blackout mais ça ne s'est pas fait.

    Êtes-vous fier de votre film ?

    Oui, nous sommes fiers d'avoir fait le film. Je suis fier de l'accomplissement qu'est le film. Pour nous, finir le film c'est déjà... notre Lion d'Or. Ça ne m'importe pas de gagner des prix. Nous avons fini le film.

    Votre manière de filmer New-York est très spéciale, avec cette photographie très sombre, cette musique étrange...

    Vous savez, on a filmé New-York du point de vue d'un homme aisé, d'un journaliste d'une émission télé importante. Il ne prend jamais le métro, il ne marche pas pour aller au travail. Il a une voiture qui vient le chercher à la maison et l'emmène au travail. Il a très peu d'interaction avec le monde en dehors de sa voiture. Mais c'était impossible de filmer New-York avant de la façon dont nous l'avons fait pour le film, la nouvelle pellicule Kodak offrant de toutes nouvelles possibilités. Nous n'avions pas d'éclairage. Mais bon, nous filmions ça du point de vue du personnage.

    J'avais lu dans le livre de Brad Stevens que vous vouliez utiliser des images de "La Passion du Christ" de Mel Gibson au moment où vous considériez encore Monica Belluci pour le rôle de "Mary"...

    Oui, en parlant à Monica, j'avais pensé que ce serait intéressant d'utiliser La Passion du Christ comme le film en tournage dans Mary. Je pensais que cela pouvait fonctionner mais finalement ça n'a pas marché. Mais les choses se sont arrangées pour le mieux et nous avons fini avec Monica... Non, je veux dire, vous avons fini avec Juliette ! Mais en parlant d'utiliser des images d'autres films, vous avions pensé à La Dernière tentation du Christ et à son actrice...

    Est-ce que Scorsese avait approuvé ?

    Nous n'en sommes pas venus jusqu'à lui proposer.

    Mais vous aviez rencontré son actrice ?

    Barbara Hershey, non. Nous n'avons pas suivi cette piste. Nous nous sommes éloignés de cette idée. Mais c'était notre façon de procéder à la base. Vous avions aussi pensé à Willem Dafoe pour jouer le rôle de Matthew Modine et utiliser les images de La Dernière tentation du Christ puisqu'il y interprète Jésus Christ. Mais les choses se sont déroulées autrement. Quand est arrivé le temps du tournage, Juliette était là, prête à tourner, et Forest était disponible.

    J'avais aussi entendu que vous pensiez à Willem Dafoe pour interpréter le rôle de Forest Whitaker...

    Oui, mais il n'était pas disponible. Vous savez, c'est surtout une question de "qui est prêt à tourner" lorsque vous faîtes le film. Ce n'était comme si nous avions d'avance le casting rêvé. Il suffit d'obtenir les personnes qui sont là, prêtes à travailler au moment où vous faites votre film. Et comme il existe tellement de grands acteurs, ça ne doit pas poser problème.

    Avez-vous demandé à Mel Gibson s'il a vu votre film ?

    Non, je n'ai pas vu Gibson depuis... Oui, je serais intéressé de savoir s'il l'a vu. Ce serait drôle. On vient de la même ville, Peekskill, New-York. Est-ce que vous avez aimé La Passion du Christ ?

    Je n'ai pas vraiment aimé. Il ne fait que répéter les Evangiles comme l'Eglise le fait déjà...

    (rires)

    Votre film est comme une expérience...

    Je n'avais pas le choix, on a fait le film qu'on a fait. Au delà de ça, je n'ai plus de contrôle. Je ne peux que suivre ma vision mais à ce point-là, le film appartient à celui qui le regarde. Et à moi-même, lorsque je suis aussi dans la salle. Mais sinon, je fais juste ce que je dois faire.

    Depuis "'R Xmas", vos films tournent autour de drames familiaux, vos personnages semblent avoir comme but final l'unification de leur famille tel Drea DiMatteo dans "'R Xmas" ou Forest Whitaker dans "Mary". Est-ce que cela représente pour vous la voie du bonheur ou de la rédemption ?

    Je pense que les personnages dans 'R Xmas ou Mary ont toujours un choix à faire et c'est bien vers là qu'ils vont. Mais je n'y réfléchis pas plus.

    J'avais l'impression qu'avant "‘R Xmas" vos personnages étaient plus solitaires et que maintenant ils s'occupent plus de leur famille...

    C'est parce qu'en fait c'est un genre de cinéma américain plus traditionnel, vous voyez, avec l'idée du foyer comme endroit de vénération presque, protégé des dangers de l'extérieur, c'est un peu comme un western de John Ford. Je ne peux qu'y penser comme quelque chose "à suivre...", vous voyez ce que je veux dire ? Comme si pour moi, ces personnages sont au milieu de leur développement. Nous avons fini 'R Xmas avec le carton "A suivre..." : ici c'est un peu la même chose. Par exemple Matty n'a pas encore commencé son périple, Whitaker il ne fait que commencer à marcher sur un longue route... Donc, on aurait pu avoir la même fin que 'R Xmas "A suivre...". Il n'y a de résolution pour aucunes de ces situations... Mais à un moment, le film doit bien finir.

    Est-ce que vous croyez que l'on a que ce que l'on mérite dans la vie ?

    Ce serait terrible, qui déciderait de ça ? Qui déciderait de ce qu'on mérite ?

    Dieu, peut-être ?

    Ah. Je ne sais pas, je veux dire... Il doit bien y avoir un peu plus de place pour le déterminisme, je veux dire, vous ne pouvez pas être entièrement guidé par la foi. Et puis, ce qu'on mériterait serait déterminé par nos actions et nous déterminons nos propres actions donc, est-ce qu'on déterminerait notre propre foi ?

    Est-ce que Martin Scorsese a vu votre film "Mary" ?

    Non, il était sensé le voir, vous savez, nos producteurs sont de bons amis à lui, on a travaillé ensemble sur le film sur Dylan. Je l'ai juste raté donc il ne l'a pas encore vu. Il le verra à sa sortie aux Etats-Unis. Mais je lui avais parlé du film avant de le faire. Il est très encourageant, Marty.

    Pouvez-vous nous parler de votre relation avec Martin Scorsese ?

    Oui, en fait, on est tous un peu des élèves de ses films, ils nous apprennent beaucoup, j'aime beaucoup son travail, je l'adore. Mais on ne se voit plus, cela fait deux ans que je ne suis pas retourner à New-York. Je traîne avec Bertolucci ces temps-ci. Il est cool. C'est un type très sympa. Et j'adore son travail aussi.

    Que pouvez-vous dire sur votre façon de filmer New-York et celle de Scorsese ?

    On est... de la même école, on vient de la même tradition, vous voyez ce que je dire. Et puis, il a filmé New-York de différentes manières et il y a bien d'autres manières encore de la filmer. Vous vous souvenez de ce film d'époque avec Daniel Day-Lewis, vous savez, ce film adapté d'un roman...

    "Le Temps de l'innocence" ?

    Oui, voilà, Le Temps de l'innocence, c'est aussi une façon de voir...

    Pensez-vous avoir changé la vie de vos acteurs ?

    Je ne pense pas que ces acteurs accepteraient ces travauxs s'ils ne leur apportaient aucun changement, croissance ou développement. Vous savez, ils font des choix, ils ne sont pas obligés de les faire. Donc ils choisissent des rôles grâce auxquels ils peuvent grandir et apprendre.

    Dans les années 90, vous faisiez presque un film par an et maintenant, "Mary" est le seul film que vous avez fait depuis presque cinq ans...

    Oui, mais on n'est pas allé jusqu'à faire dix films dans les années 90 et puis on fait un film dès que l'on peut en faire un. Parfois ça marche, parfois non...

    Est-ce que c'est plus difficile de rassembler le financement ?

    Oui, ça devient impossible. Ça devient vraiment très difficile mais même dans les années 90 c'était difficile, je veux dire, qu'est qu'on a fait ? The King of New York, et qu'est ce qu'on a fait après The King of New York ?

    "Bad Lieutenant"...

    Oui, Bad lieutenant, c'était presque trois ans après. Et puis quoi ? Body Snatchers, Dangerous game...

    "The Addiction"...

    Oui, et New Rose Hotel.

    Et puis "Nos Funerailles" et "The Blackout".

    Ça nous en fait combien, huit ? Si maintenant on en a fait deux en cinq ans, il nous reste plus que six à faire alors.

    Propos recueillis par Daniel Dos Santos le 05 décembre 2005

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