Un de ses plus fameux films s'appelle L'Ennui. Voilà bien pourtant un sentiment que ne doit pas connaître Cédric Kahn, un réalisateur qui n'aime rien tant que surprendre son monde. Lui que la critique avait un peu hâtivement rangé dans la catégorie "héritier de Maurice Pialat" (après ses deux premiers opus, Bar des rails et Trop de bonheur) s'est plu à brouiller les pistes, retraçant le parcours du criminel Roberto Succo avant de s'engager en 2004 sur la voie du thriller avec Feux rouges. Un an après, nouveau virage avec L'Avion, authentique conte pour enfants, en salles le 20 juillet. Interview.
AlloCiné : A chacun de vos films ou presque, vous changez de direction. C'est encore le cas avec "L'Avion", un conte pour enfants, genre dans lequel on ne vous attendait pas. Vous dites pourtant que c'est peut-être votre film le plus personnel...
Cédric Kahn : D'un côté, c'est un pur film de genre, qui respecte les codes et les règles. Je voulais faire un film que mes enfants puissent voir, que l'histoire soit accessible. Mais il fallait que le sujet soit suffisamment fort. Je n'aurais pas pu faire un film de pur entertainment. Dans les thèmes, L'Avion est très proche de moi, ça parle d'un enfant qui pourrait me ressembler. C'est dans ce sens-là que je pense avoir fait aussi un film très intime. Selon moi, la signature d'un auteur n'est à pas à chercher dans la forme ou dans le genre choisi. Elle se situe plutôt dans la thématique, dans le fait que le réalisateur se trouve toujours à un endroit du film. Ce que je veux, c'est me sentir libre, ne pas m'enfermer dans un carcan, pouvoir passer de films à petit budget très expérimentaux à des choses plus ambitieuses, avec des moyens plus larges.
De "L'Ennui" à "Feux rouges", vous nous avez habitués à des personnages obsessionnels. En prenant pour héros un enfant, vous avez choisi un personnage peut-être plus obsessionnel encore.
C'est vrai que dans mes films précédents, les personnages avaient un problème avec la réalité. Et c'est à travers une obsession (que ce soit l'alcool, le sexe ou le meurtre) qu'ils cherchaient à s'en échapper, ou à la dominer. C'étaient des personnages assez immatures dans leur construction mentale. Chez un enfant, c'est un phénomène naturel que de s'extraire du réel, de vouloir, par la force de l'imaginaire, être surpuissant.
Avec "L'Avion", on note au moins deux nouveautés dans votre cinéma : le recours aux effets spéciaux, et l'emploi d'une musique originale. Avez-vous parfois eu peur de faire fausse route en innovant ainsi ?
Il n'y a pas de film sans risque. Refaire un film qu'on a déjà fait, c'est aussi prendre le risque de faire moins bien, avec moins de sève. Mais la part de risque, ça a plutôt tendance à me motiver. C'est vrai que la forme est très nouvelle, et totalement expérimentale pour moi. C'était un plaisir de travail incroyable de se lancer dans des scènes d'action, d'utiliser ces effets spéciaux. Quant à la musique, c'était une acceptation d'une règle du genre, mais ça avait aussi du sens. Elle est traitée comme un personnage. Je savais que l'avion, qui est un objet abstrait, avait besoin d'être porté. La musique devait être comme une expression sonore de l'avion. Elle pousse l'avion, l'histoire, les sentiments du spectateur.
Pendant longtemps, vous préfériez travailler avec des acteurs non-professionnels. Depuis votre film précédent, vous employez volontiers des acteurs très connus.
L'Avion réunit les deux : il y a des stars, mais aussi deux enfants qui ont des rôles très importants. Et il n'y a pas plus non-professionnel qu'un enfant. Tout est aussi question d'alchimie entre les comédiens. Je dirais qu'il y a des rôles pour les acteurs, des rôles pour les stars, et des rôles pour les non-professionnels. Par exemple, pour le rôle du méchant, qui demande un travail de composition, c'était évident qu'il fallait un véritable acteur. Nicolas Briançon le fait remarquablement bien, et ça me plaisait qu'il soit peu connu. Les non-comédiens, eux, sont un peu plus passifs par rapport à la caméra, à leur personnage. Pour un enfant, ce n'est pas évident de faire la différence entre la réalité et la fiction sur un tournage. C'était donc important pour Roméo [Botzaris] d'être porté par une actrice comme Isabelle Carré, qui l'emmenait dans la fiction. Et puis ça me semblait intéressant de confier le rôle du père, qui est court, à une star comme Vincent Lindon, qui marque une empreinte très forte sur le film. Ca permet au personnage d'exister même quand il n'est pas là.
C'était déjà le cas de Carole Bouquet, qui, dans "Feux rouges", disparaissait au bout de quelques minutes.
Oui. Ce sont des personnages très emblématiques dans le film : ils sont recherchés par l'autre protagoniste. C'est donc important d'avoir des gens qu'on connaît bien, qu'on identifie très vite.
Le seul élement fantastique du film est l'avion. Aviez-vous envisagé d'aller plus loin dans cette direction ?
Je voulais partir d'un univers réaliste, et que le film bascule dans le fantastique quand l'avion entre dans l'histoire. La dimension visuelle du cinéma fantastique ne m'intéresse pas vraiment, J'aime quand l'histoire est ancrée dans la réalité. Dans Feux rouges, c'est pareil : on démarre de façon réaliste, et on bascule dans une espèce de nuit, entre fiction et réalité.
Lorsque vous êtes apparu au début des années 90, on vous a associé à plusieurs jeunes cinéastes tels que Laurence Ferreira Barbosa, Arnaud Desplechin ou Xavier Beauvois. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette période ? Vous sentez-vous toujours une parenté avec ces réalisateurs ?
C'est un phénomène générationnel. Regardez les réalisateurs de la Nouvelle vague : ils ont eu des destins très différents, de Chabrol, qui fait des films assez grand public, à Godard qui s'est plutôt marginalisé. Il se trouve qu'on a commencé au même moment, en donnant un sentiment de renouveau. Mais je me sens toujours une parenté avec les gens que vous citez. Je les connais bien, je les aime bien, et, même si on est en concurrence, il y a un respect, une curiosité. Chacun sait ce que font les autres. Pour ma part, ce n'est pas parce que je fais L'Avion que je me sens loin du cinéma d'auteur. En revanche, ce qui a changé, par rapport à cette époque, c'est la situation économique de ce cinéma d'auteur. Il est difficile de faire le même genre de films qu'il y a dix ans. On était alors protégés par le système de l'Avance sur recettes, Canal+, un certain nombre de soutiens financiers. Aujourd'hui, on est soumis à des pressions beaucoup plus fortes. On est plus contraints, dans l'écriture du scénario, le choix des comédiens. Mais c'est à nous d'être plus forts que cette pression.
Vous avez dit chacun de vos films était fait en réaction au précédent. Après "L'Avion", faut-il donc s'attendre à un scénario original ?
J'en ai très envie, c'est même la priorité pour moi. J'ai fait beaucoup d'adaptations, je me suis nourri de beaucoup de choses à l'extérieur de moi. Là, j'ai de nouveau envie d'écrire, d'inventer une histoire.
Recueilli le 1er juillet 2005 par Julien Dokhan