Un an à peine après la comédie burlesque Casablanca Driver, son premier long-métrage en tant que réalisateur, le Robin des Bois Maurice Barthélémy retourne derrière la caméra pour Papa, une émouvante comédie qui aborde avec sensibilité le thème du deuil et de la paternité. Entre rire et larmes, Barthélémy réussit le pari de ne jamais sombrer dans le misérabilisme et donne à Alain Chabat l'occasion de dévoiler une facette inédite de son talent. Rencontre.
AlloCiné : Comment t'es venue l'idée d'aborder le thème difficile du deuil pour ta seconde réalisation ?
Maurice Barthélémy : L'un des mes proches a été frappé par le deuil. C'est cette histoire qui m'a inspiré Papa. J'ai vécu ce drame par rebondissements. Lorsque c'est arrivé, j'étais anéanti. J'ai senti comme une nécessité d'écrire le film. Il fallait que j'en parle, que je fasse quelque chose de cette douleur que j'avais en moi. C'est une histoire qui m'est très intime.
N'as-tu pas appréhendé de réaliser un film sur un sujet aussi délicat ?
A partir du moment où ce film est dicté par la nécessité, l'envie, le besoin, on ne se pose pas la question de savoir comment on va le faire. Les décisions sont assez logiques. A partir du moment où je me dis que je vais aborder cette histoire en partant non pas du deuil, brutal, au moment où il survient, mais plutôt six mois plus tard, lorsque le deuil se dispute avec le quotidien, ça me paraissait logique de le traiter de manière très pudique. Car justement, au quotidien, une personne qui vit ce drame n'est pas sans arrêt en train d'en parler. Elle continue à vivre, va faire ses courses, s'occupe de ses enfants, etc... Le drame est sous-jacent, permanent. Il est là, il couve, refait surface puis disparait derrière des moments du quotidien qui sont parfois tristes, parfois gais. Je dirais donc que c'est vraiment le thème qui m'a imposé le reste, la réalisation, l'écriture...
Cette notion d'une douleur sous-jacente est très présente dans le film...
Malgré la sensation de fin du monde que peuvent vivre ces gens, ils continuent à vivre, à élever leurs enfants. Ca me fascine. C'est une vraie période de solitude. Lorsqu'on est frappés par un deuil, on est souvent entourés par la famille, par les proches. Mais quelques mois plus tard, on se retrouve généralement seul, ou en petit comité. C'est un deuil beaucoup plus long à faire passer, beaucoup plus dur, qui peut durer des années. Ce sont des périodes qui sont moins traitées au cinéma et ça me plaisait de me placer dans cette dimension-là.
Tu viens d'être papa il y a quelques semaines. Il y a un amusant parallèle entre l'histoire du film et ta vie privée...
C'est vrai ! J'ai appris que j'allais devenir père lorsque j'ai commencé le tournage de Papa. Curieusement, ça n'a pas beaucoup joué pendant le tournage, même si Judith (ndlr : Judith Godrèche; sa compagne) était sur les lieux du tournage et que j'étais comme un dingue à l'idée de devenir père. Mais disons que ça ne jouait pas tellement sur mon histoire. Par contre, le fait d'être père a clairement changé des choses à partir du moment où j'ai monté le film. J'ai pris un peu de recul par rapport à ce que j'avais tourné et je me suis rendu compte que j'avais fait un père un peu trop idéal, un peu trop parfait. Au montage, je l'ai donc rendu un tout petit peu plus sombre, avec plus de failles.
Le deuil n'est pas l'unique thème du film. Tu jettes également un regard intéressant sur la paternité...
D'un côté, j'ai parlé de ma vision de la paternité telle que je voudrais la vivre en tant que père, une relation basée sur la communication. D'un autre côté, j'avais l'exemple de mon père, avec lequel je n'ai pas beaucoup communiqué. C'est un mélange des deux. Les pères qui ont en commun une culture avec leurs enfants, comme aujourd'hui, voilà la paternité telle que je la vois. On fait partie d'une génération de pères qui avons beaucoup plus de points communs avec nos enfants que nos parents en avaient avec nous. Parce qu'on a été élevés à Goldorak, L'île aux enfants, les mangas, les DVD... Du coup, forcément, ça nous rend un peu plus proches de nos enfants et ça fait de bons pères. Même s'il ne faut pas tomber dans le danger de se retrouver avec un "père copain", car il faut toujours garder une distance pour élever un enfant. Mais ça m'intéressait de parler précisément de cette génération de père.
Un père comme Alain Chabat ?
Alain est tout à fait dans cette mouvance. Il est pourtant père de trois enfants assez grands, mais ce qui m'intéressait dans le profil d'Alain, c'est qu'on ne l'imaginait pas père ! De la même manière que moi, d'ailleurs, je ne m'imaginais pas père. A l'époque de RRRrrrr !!!, quand j'écrivais le scénario, j'ai vu Alain devant moi, et je me suis dis que c'était exactement ça. Il était exactement le père que j'étais en train d'écrire.
A-t-il eu des réticences pour incarner ce papa ?
Oui. Quelques jours avant le tournage, il a eu une grosse période de flippe, et je lui ai dis : "Ce flip que tu as, ces réticences, ces doutes, tout ça m'intéresse. Ne change rien, ça va apparaître à l'écran. J'ai écris des choses qui sont proches de toi, proches de ta nature, tu ne vas pas avoir d'efforts à faire. Et à l'écran, toutes tes interrogations vont réapparaître. Donc, ne te pose aucune question." Au final, il est complétement lui-même. Je ne pense pas que ce soit un rôle à contre-emploi pour lui, c'est du Chabat à 100%, mais du Chabat acteur, pas le Chabat comique que l'on connaît. Il est à la fois lui-même et un personnage, et c'est en cela qu'il est très impressionnant.
Comment as-tu choisi le petit Martin Combes ?
J'ai pris six mois pour trouver un petit garçon. Le problème, c'est que tu tombes soit sur des enfants totalement inexpérimentés, soit sur des faiseurs. Un jour, j'ai vu Martin arriver, avec sa petite mine un peu triste, et je me suis dit que cet enfant était vraiment marquant, qu'il avait une douleur en lui. Par la suite, on a travaillé un peu ensemble et il était à la fois très sérieux dans son travail et en même temps un vrai acteur. Il savait déjà faire bien sans trop en faire. Et puis sur le tournage, la complicité avec Alain a fait que, tout d'un coup, il y a eu un déclenchement. C'était vraiment très beau de les voir travailler ensemble, de les voir improviser, comme pour la scène du restaurant, avec l'Alsacienne...
On sent un vrai souci de mise en scène...
Tout ce que je peux te dire, c'est que je suis obsédé par le cinéma américain des années 70, et que ça a déterminé toute l'image du film. Le fait de travailler en Scope, en Super 16, fait que tout d'un coup tu as un grain qui ressort particulièrement. Et puis il y a le choix des décors, que j'ai voulu très référencés Ouest américain. J'ai voulu une image très référencée, pour que l'on ne soit pas dans un film trop anecdotique. Ca ne m'intéressait pas trop de traiter une France trop connue, je voulais plutôt qu'on se retrouve dans une France un peu mystérieuse. Du coup, les deux personnages semblent déconnectés de leur réalité.
Au final, comment décrirais-tu le film ?
J'espère qu'il n'y aura pas de malentendus. C'est à dire voir le haut de l'affiche, voir Chabat dans un film de Maurice Barthélémy, et se dire que ça va juste être une comédie. Ce n'est pas une comédie, mais ce n'est pas non plus un film triste. C'est un film où on va passer du rire aux larmes très rapidement, un film où on est sans cesse ballotés au niveau émotionnel. C'est un film qui parle de la relation père-fils au travers d'un deuil, un film sur l'amour et l'espoir. C'est comme si le spectateur était à l'arrière d'une voiture, et que pendant une heure et demie, il voyait évoluer un père et son fils avec leurs moments de complicité, de colères, de joies, de conneries... C'est un hommage aux pères et aux enfants.
Propos recueillis par Clément Cuyer le vendredi 6 mai 2005