Wes Anderson se jette à l'eau. Avec La Vie aquatique, le jeune réalisateur de Rushmore et de La Famille Tenenbaum pousse encore plus loin le bouchon de l'absurde et de la comédie sévèrement décalée en dirigeant une bande d'allumés des fonds marins dont leur chef de file, Steve Zissou, prend les traits d'un étonnant Bill Murray. De la poésie, du burlesque, beaucoup d'imaginaire, un bric-à-brac d'idées : Wes Anderson donne une nouvelle fois à son cinéma des airs de grenier magique. AlloCiné l'a rencontré. En apnée.
On ne peut s'empêcher de voir en "La Vie aquatique" un petit hommage au Commandant Jacques-Yves Cousteau...
Wes Anderson : La Vie aquatique ne rend pas un petit hommage à Cousteau. Elle lui rend un grand hommage. C'est lui qui a inspiré ce film. Enfant, j'étais fou de ses reportages télévisés. C'est l'un de mes héros. Ce que j'aime chez lui, c'est d'abord qu'il était un metteur en scène de films fabuleux. A la fois un réalisateur et une vrai star de cinéma. Il s'est lui-même créé un personnage dans ses propres films. Mais il était également un scientifique, un inventeur, il était dans la Résistance... C'était quelqu'un d'incroyablement courageux. Je l'ai toujours trouvé absolument fascinant. Donc, si vous voyez évidemment des tas de références au monde marin dans mon film, ce n'est rien comparé à la référence majeure pour moi : Cousteau. Bien sûr, le personnage de Bill Murray ne lui ressemble pas entièrement. Mais, ne vous y trompez pas : il y a surtout du Cousteau.
Pour faire un film comme celui-ci, doit-on avoir des prédispositions à aimer la mer ?
J'ai toujours aimé la mer. Cousteau m'y a grandement aidé. Mais à part cela, rien ne m'a vraiment emballé jusqu'à ce que je voie le film L' Etalon noir, qui met pourtant en vedette un cheval. Mais dans la première partie de ce film, il y a un énorme bateau, c'est une image qui m'a fait forte impression et qui reste gravée dans mon imaginaire. Le film a été tourné en Sardaigne, dans les studios Cinecitta, tout comme La Vie aquatique, c'est peut-être un signe du destin... Avec mon directeur de la photographie, on a beaucoup parlé de L' Etalon noir pendant le tournage. Il y a sans doute de ce navire dans celui de Zissou...
Dans "La Famille Tenenbaum", vous disiez vous inspirer de votre entourage pour créer les personnages du film. Avez-vous agi de la sorte pour "La Vie aquatique" ?
Tout à fait. Je procède souvent ainsi. Le personnage de Zissou est inspiré de ma propre vie. Celui d'Owen Wilson, encore plus, je crois ! Il y a pas mal de mon frère en lui. Le personnage d'Anjelica Huston est largement inspiré par le fait que... je connais de mieux en mieux Anjelica Huston ! Le personnage de Michael Gambon est un peu la synthèse de personnes que j'ai connues et d'autres que je n'ai pas connues... Il y a pas mal de producteurs en lui : Dino De Laurentiis, Carlo Ponti... Tout ça est un peu compliqué, non ? (rires)
Parlez-nous de Steve Zissou, l'océanographe en chef de cette drôle d'équipée...
Tout d'abord, je voudrais dire une chose aux spectateurs français : je ne savais pas du tout que Zissou était le nom d'un joueur de football ! (rires) J'ai appris ça en arrivant ici, je jure que je n'en savais rien ! En fait, un merveilleux photographe français, Jacques-Henri Lartigue, qui a fait beaucoup de photos incroyables au début du 20e siècle, avait un frère dont le surnom était Zissou. Il était souvent sur les photos, et il était absolument génial, il faisait des tas de cascades, c'était un casse-cou fini. J'ai eu envie de lui rendre hommage, même si le personnage de Zissou dans le film n'est pas vraiment un casse-cou. Bill Murray incarne un homme qui a une mission dans la vie, des projets qu'il tente désespérement de réaliser. Il a besoin de personnes autour de lui pour donner corps à ses rêves.
Ce fameux Zissou est donc joué par Bill Murray, avec qui vous collaborez pour la troisième fois de suite. Votre relation évolue-t-elle au fil des films ?
Ah oui, c'est différent à chaque fois. Pour Rushmore, Bill était un comme le parrain du film, c'était l'homme le plus expérimenté sur le plateau. Il était très impliqué dans le projet, même s'il n'était pas la vedette de l'histoire. C'était une relation très spéciale. Pour La Famille Tenenbaum, il avait un tout petit rôle, nous avons tourné très près de chez lui. Il venait nous voir souvent. C'était un ami du film, mais disons qu'il ne faisait pas partie de la famille ! (rires). Et enfin, dans La Vie aquatique, il était l'acteur qui supportait tout le poids du film sur ses épaules. C'est lui la star du film. Il a travaillé très dur sur le projet. Il a donné vie à son personnage comme personne n'aurait pu le faire.
A l'instar de vos précédents films, "La Vie aquatique", sur fond de folie douce, aborde les thèmes de l'amitié, de la famille, des rêves brisés... Qu'avez-vous voulu transmettre précisément au public, cette fois-ci ?
Je ne pense pas vraiment de la sorte. Je veux garder en moi ma propre observation des personnages, ma propre étude, de manière à créer librement et sereinement le monde spécifique du film. Je ne pense pas à des thèmes en particulier quand je fais un film, j'essaie juste de transposer une certaine réalité à l'écran et de laisser libre cours à l'interprétation d'autrui. Chacun apportera sa propre expérience lorsqu'il regardera le film, chacun ressentira quelque chose de particulier. Et souvent, ce quelque chose sera très différent d'une personne à l'autre. En fait, je ne veux pas décrire le film, ce serait réducteur. Pour chaque regard, La Vie aquatique sera différent. Ce que je transmets aux spectateurs avec ce film, et avec tous mes films en général, a finalement plus à voir avec eux qu'avec moi.
Propos recueillis par Clément Cuyer le vendredi 25 février 2005
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