Info ou intox ? Fiction ou réalité ? Documentaire ou documenteur ? Quoi qu'il en soit, Michel Muller la clame haut et fort : La Vie de Michel Muller est plus belle que la vôtre. A l'occasion de la sortie du film ce 26 janvier, nous avons interrogé le comique et néo-réalisateur sur cet ovni cinématographique, surprenant et profond...
AlloCiné : Quelle est la genèse d'un projet comme le vôtre ? Qu'est-ce qui fait qu'on se dit un jour qu'on va tourner un faux-documentaire sur soi-même ?
Michel Muller : Au départ, ça découle de contraintes économiques. On m'a proposé un projet dans la ligné des Petites annonces d'Elie, produit en trois jours en studio. Comme j'avais déjà tourné beaucoup de sketches pour Canal Plus, je ne me voyais pas trop faire ça. Par contre, je leur ai proposé de rallonger un peu le budget et de partir sur une sorte de faux-reportage. Ensuite, il y avait la peur de faire un vrai premier film : j'ai tourné dans un certain nombre de premiers films, et je voyais la pression à laquelle étaient soumis les jeunes réalisateurs. Ils devaient gérer un lourd budget mais aussi faire un truc bien et qui marche ! Moi, je n'étais pas obligé de faire un truc bien. J'ai donc fait une petite équation, et j'ai vu que je pouvais tourner 18 jours avec mon budget en payant mal les gens et en les exploitant, et tout le monde a accepté ! (Rires) De plus, je n'avais aucune obligation : je me suis dit que si c'était vraiment naze, ce n'était pas très grave et que je le sortirais en DVD vite fait bien fait ! (Rires) Par ailleurs, j'ai commencé très tard dans ce métier. Et dès qu'on m'a proposé une première salle, un type est venu me voir avec une caméra pour tourner un reportage sur les comiques et leur quotidien. Il m'a filmé durant trois jours, du matin au soir ! J'étais au café, je mangeais, et il me filmait. Je me suis alors rendu compte qu'on ne fait plus rien plus normalement dans ces cas-là : on ne mange plus comme d'habitude, on fait tomber des trucs, on fait n'importe quoi, simplement pour donner quelque chose à la caméra. Et en même temps on se sent grotesque de faire ça...
On sent aussi que vous vouliez démystifier la vie des "people"...
Qu'y a t-il de si fabuleux dans la vie d'un jeune artiste qu'on se dise que son quotidien doit être si merveilleux ? C'était une idée qui trottait dans la tête de beaucoup de gens, qui me parlaient de ce que devait être ma vie chez Canal, avec plein de fêtes... Alors que je n'y suis allé que deux ou trois fois dans ma vie et que c'est un coursier qui y amène mes cassettes ! Je sentais qu'il y avait une sorte de fantasme de la part des gens. Je voulais aussi faire une satire sur les débuts d'un artiste, car c'est un milieu où le pétage de plomb est quasiment obligatoire : dès que vous passez à la télé et que la boulangère vous donne de plus gros pains au chocolat qu'avant, vous commencez à vous habituer à ce genre de comportement de la part des autres. Il y a presque une impunité à être connu : un jour j'ai reçu sept PV, le policier m'a reconnu, les a annulés et mis à la voiture d'à côté ! On devient plus séduisant, plus drôle, tout devient plus facile : on change, mais le regard des gens aussi. J'avais envie d'écorcher un peu cette idée.
C'est pour cela que vous jouez sur une "presque-réalité", avec un film centré sur Michel Muller ? On ne sait jamais si on est dans la réalité ou dans la fiction du coup...
Au départ, le personnage ne portait pas mon nom. Mais comme l'histoire se situait dans ce milieu, je me suis dit que les spectateurs se diraient que c'est moi. Je me suis inspiré un peu de moi, mais le personnage a vraiment été dessiné au fur et à mesure à partir d'anecdotes dont je me suis inspiré. Après, le fait de dire que c'est la vie de Michel Muller rajoutait une force au film et lui apportait une vraie réalité, même si on ne reste pas dans cette réalité tout au long du film et que l'histoire plonge vraiment dans la fiction à la fin. Dans la mesure où je ne tiens pas cet exercice de style tout le long, c'est amusant d'être dans l'ambiguïté au début.
Les guests-stars participent à cette ambiguité. Comment avez-vous réussi à les convaincre de jouer ainsi avec leur image ?
Il y avait un scénario écrit, qui a évolué au fil du temps en fonction de l'attachement des guests-stars au projet. Je ne les connaissais pas vraiment, que ce soient Gérard Depardieu ou Claude Miller que j'avais croisés une fois dans ma vie. Les gens m'ont dit oui quasiment tout de suite. Je pense qu'ils sentaient que j'en prenais pour mon grade dans le film et qu'ils se sont dit que c'était finalement assez ludique de jouer avec leur image, comme Jean Benguigui le fait de façon assez amusante. Ils voyaient à peu près où je voulais en venir, mais ils ont tout de même eu un certain courage parce que, très honnêtement, tout n'était pas limpide et clair sur le papier... Et je leur demandais de jouer sur une ambiguïté et un autre style que ce que j'avais pu faire jusque-là à la télé.
Parmi eux, Pierre Ange Le Pogam de chez EuropaCorp est incroyable dans son rôle de producteur ignoble...
A l'époque de Wasabi, Luc Besson m'avait demandé de faire une vidéo Fallait pas faire Wasabi pour le Congrès des Exploitants. J'étais déjà un peu dans ce ton-là, en disant que le film avait été écrit en cinq jours, comment Europa travaillait, la méthode Besson... Et ça avait beaucoup plu. Quand je leur ai envoyé mon idée pour La Vie de Michel Muller est plus belle que la vôtre, ça les a fait rire et Pierre Ange Le Pogam m'a donc dit qu'il était partant. Quand on a commencé à tourner, je me suis dit, vu le texte, qu'il allait le caricaturer pour montrer que ce n'est pas lui. Mais il y est allé à fond, sans se poser de questions, sans me demander de changer une ligne. Même autour du cynisme du personnage, qui veut se servir de la mort de Michel Muller pour faire la promo de son film ! Il m'a fait confiance... La plupart des gens ne savent pas qu'il travaille chez EuropaCorp, mais même sans ce degré de lecture, ils se disent vraiment que ce producteur est un enfoiré. (Rires)
Au-delà de l'ambiguité entre réalité et fiction, le film pose également la question de la trace qu'on laisse derrière soi, en tant qu'artiste...
Le film raconte l'histoire d'un mec qui n'a pas le talent qu'il pensait avoir. Chez beaucoup d'artistes, quand on sent la limite arriver, c'est terrible. De nombreux artistes, musiciens ou sportifs n'ont pas le petit truc en plus, le petit coup de chance qui fait que ça marche à un moment précis. Et c'est terrible de se rendre compte qu'on a fait un parcours moyen, honnête, mais que ça n'ira pas plus loin... Ca pose aussi la question, à la fin du film avec l'allusion à Truffaut, du comique qui refuse qu'on lui renvoie ce qu'il fait. Quand je faisais des sketchs crado sur Canal Plus, je ne pensais pas qu'un mec se planterait devant moi pour me refaire ce qu'il avait vu la veille. C'est quelque chose qu'on sème, donc c'est normal qu'on le reprenne dans la gueule. Dans le film, je voulais montrer un comique qui veut être pris au sérieux, qui veut montrer qu'il sait faire autre chose, qui ne veut pas qu'on le prenne pour un bouffon : ce qui est une erreur fondamentale.
Techniquement, comment élabore t-on un faux-documentaire ? Comment donne t-on l'illusion de capturer sur le vif, alors que c'est écrit ?
J'ai travaillé avec un cadreur que je ne connaissais pas (Vincent Muller). La première fois que je l'ai rencontré, il avait décortiqué plein de documentaires et de faux-documentaires comme C'est arrivé près de chez vous. Et tout d'un coup, il me posait des questions techniques auxquelles je n'avais pas pensé. C'est ce travail de recherche et d'échange qui a été le vrai côté ludique du film pour nous. Certaines prises par exemple étaient très bonnes, mais finalement trop en place et il fallait les bousculer un peu pour recréer une réalité et déstructurer la scène : ou la première prise était bonne, ou alors il fallait la retravailler en profondeur et surprendre l'autre, car au bout de cinq prises tout était déjà trop figé. Le but était de donner l'illusion d'un réalisme.
Et vos faux collaborateurs et faux amis dans tout ça ?
Ce sont des comédiens que je connaissais de Canal Plus. Je leur parlais pendant le tournage, et je leur posais des questions sur leur relation avec Michel Muller. Par exemple, je ne connaissais pas l'actrice qui incarne mon assistante. Quand je lui ai demandé si Michel Muller avait essayé de la draguer, elle me répond "Non, il a peur de moi car je suis trop grande". Pendant un quart de secondes, j'ai cru que c'était vrai et je l'ai regardé comme si elle avait sorti un truc énorme : c'était tellement juste qu'elle m'a même trompé ! Ils avaient une capacité d'improvisation qui faisait que je leur confiais l'idée de la scène et qu'il la mettaient ensuite en forme avec leurs mots à eux.
Votre film est un vrai ovni : dans quelle position avez-vous envie de mettre les spectateurs ?
Je n'ai pas envie de faire croire tout le long que c'est un vrai documentaire. Au tout début, quand je l'ai présenté, les gens étaient un peu perdus et se demandaient ce qui était vrai et faux. Donc je dis que c'est une fiction avec un côté faux-documentaire qui fait partie de la narration. Un monsieur de chez Arté m'a aidé à comprendre la façon dont je devais parler de ce film. Il est sorti assez enthousiaste et m'a dit "Je n'aimais pas vraiment ce que vous faisiez sur Canal Plus. Là, au bout de dix minutes, je me suis dit que vous vous étiez filmés avec vos potes et que j'allais partir, puis je me suis rendu compte que c'était composé, que c'était joué, que c'était écrit, et on se demande au final où vous nous emmenez". Quand j'ai réalisé ce qui lui avait plu, c'est à dire le fait de ne pas savoir où va le film, de se laisser embarquer par ce faux-documentaire et cette vraie-fiction et de découvrir qu'il y a un sens à tout ça, j'ai mieux compris comment en parler... J'ai mieux compris aussi le plaisir qu'on peut avoir en tant que spectateur face à une vraie surprise. Même si le film a des défauts, il y a au moins quelques moments. Et c'est déjà énorme quand on obtient ça au cinéma.
Propos recueillis par Yoann Sardet le 11 janvier 2005