Déjà présents à Cannes pour la présentation hors-compétition de De-Lovely, les francophiles Kevin Kline et Ashley Judd ainsi que le réalisateur Irwin Winkler, qui ne compte pas moins de douze Oscars à son actif pour l'ensemble des oeuvres qu'il a produites, ont refait le déplacement en France pour la promotion de ce drame musical. Rencontre avec trois fervents "admirateurs" du compositeur Cole Porter.
AlloCiné : Parlez-nous des mélodies de Cole Porter, que représentent-elles à vos yeux ?
Kevin Kline (en français, dans le texte, NDLR) : J'ai toujours aimé la musique de Cole Porter. Ayant pour habitude de considérer les paroles comme secondaires, je les trouve ici formidables, incroyables. Les mélodies et les harmonies sont émouvantes.
Ashley Judd : J'ai grandi en écoutant et en aimant, sans le savoir, les musiques de Cole Porter. C'est lorsque j'ai commencé à travailler sur le film que je me suis rendu compte que Night And Day, Don't Fest Me End, Anything Goes et d'autres grandes chansons émanaient de la même personne. Ce fut une découverte pour moi.
Irwin Winkler : J'ai grandi en écoutant Frank Sinatra et Ella Fitzgerald reprendre les airs de Cole Porter. J'aime ses chansons sophistiquées, mais mes préférées restent celles qui sont le plus sombres, celles qui questionnent le couple et l'amour.
Comment vous êtes-vous préparés pour vos rôles respectifs ? Vous êtes-vous inspirés du jeu de Cary Grant et Alexis Smith dans le film de Michael Curtiz "Nuit et jour" ?
K.K. : J'ai dû me remettre au chant et au piano. C'est comme la bicyclette, ça ne s'oublie pas. Et j'ai également lu des biographies de Cole Porter. Quant à Cary Grant, je ne pouvais pas m'en inspirer, car il avait un physique qui ne collait pas avec celui du compositeur. C'est un rôle typiquement "shakespearien", où chaque acteur peut donner vie à sa façon au même personnage.
A.J. : Comme Kevin, j'ai lu des biographies, mais je n'ai pas vu le film de Michael Curtiz. De toute façon, il n'était pas question pour moi que je sois influencée par la prestation d'Alexis Smith. Chaque acteur doit délivrer sa propre interprétation du rôle.
I.W. : Nuit et jour est trop "classique" pour que je puisse m'en inspirer. Sur le plan visuel, De-Lovely serait plus proche de Moulin Rouge de Baz Luhrmann. Et puis, je souhaitais que le film soit réalisé dans le même état d'esprit que les comédies musicales Un Américain à Paris et Chantons sous la pluie.
Parlez-nous de la relation entre Cole et Linda Lee Porter ?
I.W. : Au-delà de la musique, c'est cette relation d'un couple marié dont l'époux est gay qui m'intéressait. Je souhaitais explorer leur liaison amoureuse. Et pour cela, il me fallait l'engagement de deux acteurs aussi professionnels que Kevin et Ashley. Ayant tous deux une grande expérience théâtrale, ils étaient très bien préparés pour jouer ce type de rôle.
A.J. : En tant que femme, j'ai cherché à comprendre la nature de leur relation en me basant sur une biographie de Linda Lee Porter. Celle-ci s'est mariée très jeune, à l'âge de 18 ans, elle était totalement innocente, mettant le sexe de côté et le percevant comme quelque chose de mauvais. Elle ne considérait pas le sexe comme un élément important dans la vie de couple. Ne pas avoir de relations sexuelles était un bon arrangement pour tous les deux.
Irwin, Kevin, parlez-nous de vos retrouvailles, deux ans après "La Maison sur l'océan"...
K.K. : De-Lovely est une grande expérience, totalement différente de La Maison sur l'océan. Au niveau technique, le film était plus difficile à tourner. Nous n'avions pas beaucoup de temps, la mise en place des numéros musicaux était complexe, et il fallait se contenter d'un budget plutôt mince. Nous nous sommes toutefois bien amusés.
I.W. : Il y a une grande différence entre les personnages que Kevin interprète dans les deux films. Dans La Maison sur l'océan, George Monroe, qui est atteint d'un cancer, est un individu marginal, asocial, qui n'a pas su préserver ses relations avec ses enfants, son ex-femme. Tandis que dans De-Lovely, nous avons à faire à un compositeur très entouré, qui aimait l'amour. Je trouve ces deux facettes très intéressantes.
A propos des artistes musicaux (Sheryl Crow, Alanis Morissette, Robbie Williams...) qui vous entouraient... Connaissiez-vous la chanteuse francophone Lara Fabian avant de tourner ce film ?
K.K. : J'apprécie Elvis Costello, Sheryl Crow, Alanis Morissette... Mais je ne connaissais pas Lara Fabian. Au cours du tournage, elle m'a impressionné.
A.J. : Face à ces chanteurs professionnels, j'étais impressionnée. Chanter en public était pour moi quelque chose d'"horrifiant". J'ai passé beaucoup de temps avec un coach vocal. Heureusement, pour le rôle, je devais chanter modestement, de façon non professionnelle. Et c'est la raison pour laquelle je me suis prêtée au jeu (...) Il me serait difficile de persévérer dans le registre du film musical, car j'ai du mal à surmonter ma peur de chanter en public. Quant à Lara Fabian, je la connaissais pour sa voix remarquable, j'aime ce qu'elle chante.
I.W. : J'ai réussi à obtenir le soutien de tous ces artistes, car beaucoup étaient des aficionados de Cole Porter. Ils connaissaient davantage sa musique que sa vie, mais ils étaient vraiment excités à l'idée de participer à ce film. Lara Fabian est une grande chanteuse, je ne la connaissais pas avant le tournage. C'est suite à l'écoute de ses enregistrements que nous l'avons contactée pour lui attribuer un rôle.
Kevin, Ashley, vous aimez la France, vous parlez français. Aimeriez-vous travailler avec un réalisateur français ? Si oui, lequel ?
K.K. : J'aimerais beaucoup tourner avec un réalisateur français. François Truffaut reste mon metteur en scène favori. Je préfère les films européens, spécialement français, à la plupart des films américains. C'est plus "exotique". Les films hollywoodiens ne m'intéressent pas, c'est toujours la même formule, le même format, toujours un happy end. Les histoires, en France, sont plus proches de la vie réelle. Les acteurs sont plus vrais, plus honnêtes, plus simples. Parmi les cinéastes français que j'admire aujourd'hui, il y a François Ozon, Bertrand Blier, Jean-Paul Rappeneau et bien d'autres encore...
A.J. : Je ne veux pas vous en parler. Je ne voudrais pas faire échouer mes chances de travailler en France !(rires)
Propos recueillis par Guillaume Martin - Montage : Michel Weinstein