Personne n'aurait songé à Paul Greengrass pour mettre en scène le blockbuster hollywoodien La Mort dans la peau, second volet des aventures de Matt Damon/Jason Bourne en salles ce mercredi 8 septembre. C'est pourtant l'Irlandais, auteur du remarqué Bloody Sunday, film quasi-documentaire sur la tragique manifestation pour les droits civils de Derry, qui a été choisi par les Studios Universal. Pari remporté haut la main : le résultat à l'écran est saisissant et donne une nouvelle dimension à la saga d'espionnage inspirée des livres de Robert Ludlum. Rencontre avec un réalisateur heureux.
AlloCiné : Documentarise de formation, vous vous retrouvez du jour au lendemain à la tête d'un gros blockbuster hollywoodien. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à accepter le challenge ?
Paul Greengrass : C'est d'abord bel et bien grâce à mon travail de documentariste que je suis parvenu à réaliser La Mort dans la peau, puisque c'est le scénariste du film qui a remarqué Bloody Sunday, a aimé mon travail et a conseillé mon nom aux producteurs. Ce qui m'a poussé à accepter le challenge, c'est justement le fait que cela soit un challenge. Cela me permettait d'aborder une autre facette du métier de réalisateur, qui plus est dans un tout autre milieu. Je suis passé du cinéma indépendant à une grosse machine hollywoodienne, mais j'aurais tendance à dire que cela ne m'a pas plus gêné que ça car la franchise adaptée des livres de Robert Ludlum se situe à mi-chemin du cinéma hollywoodien et du cinéma indépendant. C'est le fait que cette saga soit très libre, assez éloignée des productions classiques d'espionnage, qui m'a plu et poussé à accepter l'offre. D'autant que j'avais la possibilité de poser ma patte de metteur en scène sur le film.
Justement, votre style de mise en scène, très dynamique, réaliste, est très proche du style documentaire de vos débuts. Votre expérience d'ancien documentariste, mais aussi de reporter, vous a-t-elle concrètement été utile pour mettre en images "La Mort dans la peau" ?
Utile, bien sûr, car elle était nécessaire. Il fallait que la caméra soit un véritable personnage à part entière du film, qu'elle colle au personnage de Jason Bourne. Toute la mise en scène est dictée par l'itinéraire que suit le personnage, par ce qu'il ressent. Le côté paranoïaque est renforcé dans ce second volet et il fallait pour cela un style visuel dynamique et intense qui fasse ressortir cette sensation de danger permanent que ressent Jason Bourne. Pour les scènes d'action, notamment la scène de course-poursuite ou encore la scène finale, il est vrai que mon passé de documentariste, un genre où l'urgence est reine, m'a servi. De manière générale, il fallait que la caméra soit un vrai outil d'investigation et plonge le spectateur au coeur-même de l'action et des préoccupations du héros.
Dans ce second volet, le changement de personnalité de Jason Bourne est impressionnant. Comment le personnage a-t-il évolué ?
Dans le premier film, on suivait le parcours d'un homme à la recherche de son identité, qui part de rien pour finalement découvrir qu'il est un tueur à gages. Il y avait un vrai suspense quant à savoir qui était cet homme. Dans La Mort dans la peau, le héros se voit à nouveau rattrapé, et de manière tragique, par ce passé. Il sait qui il est, mais dorénavant, il va apprendre qu'il a vraiment commis le mal. Il se retrouve face à lui-même, face à ce qu'il était vraiment et cela lui fait très mal : il a tué, il a des remords, il s'interroge, ne comprend pas. Il ressent de l'injustice, à la fois d'avoir commis cet acte, mais également de ne se souvenir que de bribes de ce passé tragique. Jason Bourne éprouve beaucoup de choses contradictoires, et Matt Damon est très bien parvenu à incarner ce héros tourmenté, déstabilisé, sans repères. Il a réussi à capter la douleur de ce personnage complètement hanté. Jason Bourne est un héros différent de ceux que l'on peut voir habituellement. Son voyage s'apparente à une quête initiatique où il va apprendre à se connaître, où il va passer par plusieurs stades de réflexion. Mais le plus effrayant, et le plus intéressant, c'est que l'on devine tous, inconsciemment, que son histoire n'aura jamais de fin heureuse.
Propos recueillis par Clément Cuyer