AlloCiné : le secret devant être gardé autour du film, comment le présenteriez-vous ?
M. Night Shyamalan : Le Village est centré sur une petite communauté en 1897. Ils vivent dans la certitude que des créatures légendaires vivent dans les bois alentours. Ils ont des rituels quotidiens par rapport à ces créatures, elles font partie de leur vie. Les créatures vivent dans les bois et eux dans cette magnifique vallée, et il y a une sorte de trève entre les deux peuples. Joaquin Phoenix est un jeune membre de cette communauté qui va franchir les limites du village et briser cette trève...
Bryce Dallas Howard : C'est un film vraiment original, et c'est un film important selon moi. C'est une histoire magnifique, incroyablement romantique... Et comme dans tous les films de Night, Le Village va sans doute terrifier les gens. Il y a tellement de surprises que je n'ai pas envie de trop vous en dire...
Le film aborde le thème de la peur. Pourquoi un tel choix ?
M. Night Shyamalan : Après le 11 septembre 2001, on sentait la peur dans l'air, partout. C'est d'ailleurs toujours dans l'air, et nous vivons des heures vraiment effrayantes. J'ai réagi comme tout un chacun le ferait, c'est à dire en couchant mes émotions sur le papier. Et cela a donné Le Village. Je n'avais pas prévu d'écrire ce film, et encore moins d'en faire un film politique. Mais beaucoup de gens voient le film de cette façon et je peux les comprendre, car il est né d'une réaction à une période de terreur et de peur.
Le repli en petite communauté est-il la seule alternative au bonheur selon-vous ?
M. Night Shyamalan : C'est en tout cas clairement un moyen de se simplifier la vie et de trouver le bonheur. Plus la vie est compliquée, plus vous avez d'ambition et plus vous vous éloignez du but de la vie, qui est de trouver le bonheur et la plénitude, "l'illumination" personnelle, et d'être bon avec autrui...
Justement, "Le Village" est aussi, et peut-être avant tout, un film sur l'amour et sur ce qu'on peut faire de bien ou de mal par amour...
M. Night Shyamalan : Le Village est une histoire d'amour. Et tous les autres éléments comme la terreur, le suspense ou les secrets sont simplements les couleurs de ma palette pour raconter une histoire d'amour... La première chose que j'ai jamais écrite à Hollywood était un scénario intitulé Labor of love, que j'ai vendu étant jeune. Donc ce retour à l'amour et au romantisme fait vraiment du bien. C'est un film très personnel qui parle d'amour et de ce que l'on ressent face à l'amour. Pour moi, de bien des façons, l'élément surnaturel du film est l'amour. Ce que l'amour peut faire, ce qu'il peut vous faire faire... Pouvez-vous devenir surhumain à cause de l'amour ? L'amour peut-il faire des miracles ? Est-ce que l'amour vous aidera dans ces épreuves ? Pouvez-vous traverser l'Enfer ? Il y a d'ailleurs une métaphore sur cette plongée en enfer à travers ce que vit l'héroïne, Ivy...
En parlant d'amour, la scène du porche est l'une des plus belles déclarations que nous ayons pu voir à l'écran... Bryce, comment avez-vous travaillé cette scène ?
Bryce Dallas Howard : Pour cette scène, comme pour toutes les autres, j'ai répété avec Joaquin Phoenix et Night. Nous avons beaucoup réfléchi à l'orientation à donner à la scène, au ton à utiliser, aux couleurs... Nous étions tous d'accord sur le fait que nous devions être délicats avec cette séquence, car c'est un moment très précieux du film sur lequel il ne fallait pas trop en faire. Puis le jour du tournage est arrivé. C'était assez compliqué techniquement, notamment parce que le brouillard en arrière-plan devait aller dans le bon sens... Au final, une seule prise était bonne ! Il devait être quatre heures du matin, et là, on se rend compte que je suis floue. Night était anéanti. Mais ils ont finalement trouvé un moyen de réparer cela numériquement : c'est donc une scène réparée, mais elle est vraiment magique. C'est ma scène préférée du film. Quand je l'ai lue pour la première fois dans ma chambre, j'ai levé les yeux à la fin de la scène et j'ai éclaté en sanglot. Puis j'ai regardé le script et il y avait marqué "Ivy se met à pleurer". Du coup, je me suis dit que le film ne serait pas si difficile que ça... (rires)
M. Night Shyamalan semble vraiment aimer ses personnages et ses acteurs...
Bryce Dallas Howard : Effectivement, et j'ai beaucoup de chance. Night est tellement bon et proche de ses acteurs. Il leur fait vraiment confiance. Il nous a permis de répéter entre nous durant trois semaines, soit autant que pour une pièce à Broadway. C'est énorme ! De plus, j'avais beaucoup travaillé avec lui en amont du tournage. C'est un metteur en scène qui nous nourrit constamment et nous donne tellement de choses pour nous inspirer.
C'est le premier film de Bryce Dallas Howard, et elle porte vraiment le film sur ses épaules...
M. Night Shyamalan : Bryce Dallas Howard est LA révélation du film. C'est vraiment magique. Vous trouvez quelqu'un comme elle, et elle vous offre quelque chose d'incroyable dans le film... Vous prenez quelqu'un qui n'avait jamais été devant une caméra, vous lui offrez le premier rôle et il vous délivre cette performance... C'est magique !
Parlez-nous de votre personnage d'Ivy Walker...
Bryce Dallas Howard : C'est difficile de la décrire car elle rassemble tellement de choses. pendant que je préparais le rôle, j'essayais de trouver un mot pour la décrire. Nous avons passé beaucoup de temps avec Night à essayer de trouver ce mot, et durant notre quête, nous avons découvert qui elle était. Elle est courageuse, aventurière, garçon manqué, intuitive, femme, forte... Tellement de choses... Et vous le voyez dans le film : au début, c'est un vrai garçon manqué qui devient romantique et femme avant de symboliser l'incarnation de l'amour et la détermination.
Adrien Brody a dit que "Le Village" était le seul de ses films dont il était 100 % satisfait. Est-ce votre cas ?
M. Night Shyamalan :Le Village est un film qui s'appuie sur une certaine intégrité artistique, afin de ne pas compromettre les différentes étapes du film, que ce soit l'écriture, le tournage, le jeu d'acteur... Nous nous sommes attachés à rester très concentrés tout au long du processus de production pour qu'en cas de problème, nous puissions regarder en arrière et voir si tout a bien était fait étape par étape. Je voulais construire le film sur de bonnes bases. Il y avait donc de la part de chacun beaucoup d'amour et de respect vis à vis du film. Mais c'était épuisant : d'accorder autant d'attention à chaque petit élament du film, je ne sais pas si je pourrais refaire cela. Pour le son par exemple, nous avons passé un mois à choisir chaque bruitage, et se retrouver à une heure du matin à choisir tel ou tel son de pas est vraiment épuisant.
Dans cet ordre d'idée, vous avez vécu trois semaines "à l'ancienne" avec les autres acteurs afin de vous immerger dans la vie du village... Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?
Bryce Dallas Howard : C'était incroyable de vivre à l'ancienne, de labourer la terre, de tondre les moutons... Tous les jours, William Hurt venait nous réveiller vers 5h30, puis faisait du feu à l'ancienne, simplement en frottant deux bouts de bois. Nous prenions ensuite notre petit-déjeuner tous ensemble, puis nous réunissions avec des historiens pour faire des lectures d'époques et parler de la vie d'antan : les débats étaient vraiment profonds, et nous L'après-midi était consacré aux répatitions avec Night, et le soir, il faisait venir des musiciens pour faire la fête. Brendan Gleeson jouait du violon, Adrien Brody se mettait au piano, c'était des moments merveilleux... Nous vivions ensemble, nous allions nager ensemble, nous dansions ensemble, nous parlions autour du feu. C'était une vraie communion spirituelle et émotionnelle qui nous a tous affectée et qui transparaît à l'écran.
Night, dans "Le Village" comme dans vos autres films, l'aspect surnaturel n'est présent que pour introduire un drame humain. Pourtant, vous êtes toujours présenté comme le "prodige du fantastique" ou le "maître des retournements"... N'est-ce pas un peu frustrant ?
M. Night Shyamalan : Je suis d'accord, c'est une mauvaise définition de mon travail selon moi... Quand on parle de retournements de situations, de peur et de mystère, ce sont des éléments du film, mais ce n'est pas le coeur de l'histoire. Mes films se penchent avant tout sur des personnages, et les éléments surnaturels ne sont là que comme métaphores de la foi. Mes histoires ne parlent pas fondamentalement d'extraterrestres, de super-héros, de fantômes ou de créatures des bois : ce sont simplement des prétextes pour parler de la foi.
Mais ne pensez-vous pas que le problème peut également venir de la promotion de vos films et notamment des bandes-annonces. Après la Première française du "Village", je suis resté pour recueillir les réactions des spectateurs et beaucoup de gens m'ont dit qu'ils avaient aimé, mais qu'ils n'étaient pas venus pour voir un tel film...
M. Night Shyamalan : Quand vous faites un film comme Le Village c'est difficile de le caser dans un genre précis. Dès lors, comment attirer les gens dans les salles ? Disons qu'il y a sept éléments différents dans le film : vous en choisissez un ou deux pour la promotion, car si vous prenez les sept éléments, cela semblera un peu fouillis et le public ne comprendra pas de quoi il s'agit. C'est ça qui est difficile quand on fait des films sans réel genre comme j'aime en faire. Mais votre question est intéressante. Je pense, du moins j'espère, qu'à long terme, mes films parleront aux gens. Mais qu'ils sachent que Le Village n'est pas un film de monstres.
Propos recueillis par Yoann Sardet - Montages : Thomas Bouaziz
-
- - - - - -