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    Interview : "La Jeune fille à la perle"

    Rencontre avec Peter Webber, réalisateur de "La jeune fille à la perle", drame romantique et historique porté par la révélation Scarlett Johansson, sorti ce 3 mars.

    Adaptation du best-seller de Tracy Chevalier, La Jeune fille à la perle raconte la relation troublante du peintre Vermeer avec sa jeune servante Griet qui servira de modèle à sa célèbre toile. AlloCiné a rencontré le réalisateur Peter Webber au Festival du Film Britannique de Dinard, où le film a remporté le Hitchcock d'Or et le Prix du public.

    AlloCiné : Vous avez dit en interview : "C'est un film sur le pouvoir, l'argent et le sexe". On est assez loin de la peinture de Vermeer...

    Peter Webber : (Rires) J'ai surtout dit ça pour attirer l'attention des gens ! il le faut bien quand on répond à des interviews ! Mais le film est plus complexe que ça, c'est sûr. Surtout, je ne veux pas que les gens pensent que c'est un film d'époque anglais ennuyeux. Le problème, c'est qu'il y a un passif énorme de films anglais de ce genre, souvent très beaux mais aussi souvent très ennuyeux ! Je pense que ce film, sous des dehors esthétisants, est au contraire très vivant. Ce n'est pas un film qui rentre tout à fait dans le moule du film d'époque en costumes, ça va plus loin. J'espère en tout cas que les spectateurs n'auront pas de préjugés à l'encontre du film.

    Le film parle en fait de la régénération émotionnelle d'un artiste au contact d'une jeune âme pure...

    Je pense que le film aborde en partie le vaste thème de la nature de l'inspiration. En regardant les peintures de Vermeer, on se rend compte qu'il était indéniablement fasciné par les femmes –il y a vraiment très peu d'hommes dans sa peinture. Il était aussi intéressant de voir comment un artiste arrive à travailler au sein d'un environnement social donné. Quand on va dans une galerie et que l'on contemple de magnifiques tableaux, on ne pense pas au fait que le peintre était aussi un "travailleur", qu'il avait un employeur, des clients et subissait des pressions financières comme tout un chacun. Donc je pense que cette histoire offrait une bonne occasion d'explorer la nature de la créativité, et la manière dont cette créativité pouvait être, dans ce cas précis, intimement liée à un attachement romantique. On peut voir dans le film le moment précis où Vermeer ressent un coup de foudre pour cette fille. Il cesse alors de la voir comme une simple image et commence à la découvrir en tant que personne.

    L'une des scènes les plus touchantes du film est celle où Vermeer demande à Griet : "Quelle est la couleur des nuages ?" Il a découvert la personne, en l'occurrence cette jeune fille, capable de partager sa vision artistique de la vie...

    Exactement. Bien qu'il soit attiré par elle émotionnellement et sexuellement, il comprend surtout que cette jeune femme possède un regard actif et original sur le monde, et qu'ils peuvent tous deux partager des sentiments, une vision. Dans sa vie, Vermeer est comme pris au piège d'un environnement où les gens se soucient de tout sauf de sa vision de la vie. Ils ne se soucient que d'argent, de rang social, de pouvoir, pas du tout de ses sentiments. Ce moment du film est donc le moment clé ouvrant la porte du coeur de Vermeer. C'était une scène assez délicate à tourner, et nous ne l'avons fait que très avant dans le tournage. On était assez nerveux quant au résultat, on se demandait si la scène allait paraître prétentieuse, forcée, ou au contraire sonner vrai. Nous avons été très soulagés de voir que la scène marchait bien.

    Scarlett Johansson a un rôle essentiellement muet. Dans le roman, on est au coeur de la pensée de Griet : dans le film, vous vous être concentrés sur son visage sans jamais recourir à aucune voix off...

    Je pense que ça ne marche qu'à de rares occasions, dans un film comme La Balade sauvage de Terrence Malick -où la voix off crée un décalage par rapport à ce que l'on voit- ou dans les films noirs des années quarante. Je n'avais donc pas envie de recourir au cliché de la voix off, d'autant qu'elle nous aurait éloigné des personnages du film. Quand on a une actrice aussi fantastique que Scarlett, on n'a pas besoin de voix off, car on peut vraiment lire ses émotions et ses pensées à travers son regard. Pas besoin donc d'en rajouter dans le côté "littéraire" de la voix off. Je voulais raconter une histoire essentiellement par l'image. Scarlett est une actrice qui permet justement ça grâce à son talent et à son expressivité. Un gros-plan de son visage vaut bien mille répliques de dialogue. L'une des raisons pour lesquelles les gens, je crois, apprécient le film et lui trouvent une certaine chaleur, c'est parce que son visage est comme un livre ouvert, brillant d'émotions. C'est une actrice vraiment fantastique.

    Il y a un plan vraiment étonnant dans le film, ce travelling qui semble se figer tout doucement en tableau lorsque Vermeer commence à peindre Griet...

    Ce plan n'était pas dans le scénario. Mais le jour du tournage, j'ai regardé Scarlett et j'ai pensé : "Je ne peux pas quitter ce plateau sans essayer un plan visant à la transformer littéralement en peinture..." C'était un vrai défi technique, consistant à modifier le plus adéquatement possible la vitesse de défilement de la pellicule à mesure que la caméra s'approchait de Griet... J'avait dit à Scarlett de ne pas cligner des yeux pour que le ralenti soit le plus imperceptible possible. Nous avons tourné ce plan juste après que Griet ait l'oreille percée, et j'ai la sensation que les émotions de Scarlett alliées à l'astuce technique ont rendu ce plan aussi magique qu'il demeure mystérieux... Je dois dire que les producteurs n'étaient pas convaincus de la nécessité du plan, surtout à cause du retard qu'il faisait prendre à l'équipe, mais j'ai défendu ma vision avec aplomb.

    Le film a reçu le prix de la Meilleure photographie au Festival de San Sébastien l'année dernière. Pouvez-vous parler de votre collaboration avec le grand chef-opérateur Eduardo Serra ?

    Eduardo est un génie. Nous lui avons envoyé le scénario, il est venu me rencontrer à Londres. On s'est tout de suite très bien entendus et dieu merci, il a accepté de faire le film. Nous avons en commun d'avoir étudié l'histoire de l'art, ce qui nous donnait un formidable terrain d'entente et d'échange. Notre collaboration s'est révélée de fait excellente. Eduardo sait garder son calme en toute circonstance, tout en étant très rapide dans ses préparations d'éclairage. Afin de définir le look du film, nous nous sommes inspirés des peintures de divers peintres hollandais, pas juste Vermeer. Nous n'avions qu'à nous montrer des peintures pour comprendre tout de suite le type d'éclairage recherché. Le plus souvent, nous éclairions avec des sources de lumière diffuses, très douces, placées à l'extérieur des fenêtres. Cela me permettait de placer mes acteurs où bon me semblait. De plus, ce type d'éclairage adoucissait les contours des visages. C'était donc l'idéal pour une histoire où les sentiments sont aussi doux et délicats que la lumière. Ce que je ne voulais pas, c'était que le film devienne une suite de beaux tableaux dénués de vie... Eduardo a fait un travail fantastique et je suis donc ravi qu'il en ait été récompensé.

    Propos recueillis par Robin Gatto et Frédéric Leconte

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