Avec Jellyfish, sélectionné en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes, le Japonais Kiyoshi Kurosawa poursuit sa réflexion sur l'avenir de la société nippone. Comme son précédent opus Kaïro, Jellyfish met en scène une jeunesse en perte de repère incarnée par deux étoiles montantes du cinéma du soleil levant : Joe Odagiri et Tadanobu Asano (vu récemment dans Zatoichi). Face à ces jeunes pousses, le cinéaste a fait appel à un acteur d'une autre génération : Tatsuya Fuji, resté célèbre pour son rôle dans le sulfureux Empire des sens de Nagisa Oshima. Près de trente ans après le scandale provoqué par ce film-culte, Tatsuya Fuji était de retour sur la Croisette, où AlloCiné l'a rencontré...
AlloCiné : Comment êtes-vous devenu acteur ?
Tatsuya Fuji : Je me baladais comme ça, dans un quartier de Tokyo, quand un "scout man" m'a repéré. En fait, j'attendais mon amie, et si elle n'avait pas été en retard, je n'aurais peut-être jamais été abordé de la sorte ! (Rires) A cette époque, j'étais étudiant à l'université et je n'étais pas vraiment un étudiant très sérieux : je séchais beaucoup de cours pour rejoindre mes copines dans la rue... (Sourire) Donc, quand ce "scout man" m'a proposé de travailler dans le cinéma, je me suis dit : "Pourquoi pas ?" En plus, il y avait un peu d'argent à la clé...
Avez-vous eu le sentiment d'appartenir à la génération "taiyozoku", aux côtés de l'idole Yujiro Ishihara ?
Globalement, oui. Cependant, je suis arrivé cinq ans après l'éclosion de cette génération. J'étais plus jeune que Yujiro Ishihara. Je n'ai donc pas eu le sentiment d'en faire complètement partie. D'autant que le mouvement "taiyozoku" est plutôt associé à une jeunesse bourgeoise désoeuvrée. Ce sont des délinquants un peu gentillets... Mais c'est vrai qu'à l'époque, il y avait une véritable effervescence de la jeunesse, la naissance des mouvements étudiants, et j'ai donc eu moi aussi mon lot de rôles de rebelles, de jeunes sauvages.
Avez-vous participé à ces mouvements de rébellion estudiantine ?
Quand ces mouvements ont commencé dans les années soixante, j'étais encore au lycée, et quand ils se sont poursuivis dans les années soixante-dix, j'étais déjà devenu acteur. Je n'ai donc pas vécu réellement ces mouvements, mais je les ai en quelque sorte vécus indirectement à travers les films auxquels j'ai pu participer.
Avez-vous le sentiment que les jeunes de "Jellyfish", et même votre personnage, ont perdu les idéaux du passé ?
Je pense que dans la vie actuelle, il manque quelque chose d'essentiel, des valeurs auxquelles se raccrocher. Et je pense qu'il faut d'autant plus lutter qu'elles ne sont plus là. Mais c'est plus difficile, plus complexe maintenant, car il s'agit moins d'une lutte dans la rue que d'une lutte intérieure, quotidienne. Dans Jellyfish, les personnages sont conscients du changement qui doit s'opérer, de ce qui est en jeu, mais c'est d'autant plus triste qu'ils ont la sensation d'être complètement impuissants.
Selon vous, le film parle-t-il aussi de la figure actuelle du père, totalement désorienté face aux nouvelles orientations de la vie ?
Oui, absolument. Après la Seconde Guerre mondiale, toutes les notions de valeurs de la société japonaise ont complètement sauté. Nous avons été obligés de changer, de se réformer, de créer quelque chose de nouveau... Mais ça n'a jamais été stable. La génération des pères ressent encore un conflit intérieur entre les valeurs anciennes et nouvelles.
Comment concevez-vous aujourd'hui votre métier ?
Pour moi, chaque tournage est comme une nouvelle école où j'apprends beaucoup de choses. Je souhaite poursuivre cette quête jusqu'à la fin de ma vie.
Kiyoshi Kurosawa confiait qu'il aimait l'idée d'avoir implicitement rendu hommage à Nagisa Oshima" en vous choisissant pour ce film. 25 ans après avoir tourné dans "L'Empire des sens", quelles impressions conservez-vous encore de ce film ?
Avec ce film, Nagisa Oshima a posé une question essentielle : "Voulez-vous mourir par amour, ou par les armes ?" C'est une grande question, à l'image d'un film qui a été pour moi une expérience extraordinaire, peut-être même le véritable début de ma carrière et de ma quête d'acteur.
Propos recueillis par Robin Gatto
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