Une tragédie américaine pour Clint Eastwood. Présenté en compétition officielle à Cannes, Mystic river conte une sombre histoire survenue au coeur d'une petite communauté irlandaise de Boston. Un meurtre sauvage qui réunit trois amis d'enfance, dont les chemins se sont séparés après l'enlèvement et le viol de l'un d'eux. Un drame humain, porté avec sobriété par une distribution solide réunissant Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon, Laurence Fishburne, Marcia Gay Harden et Laura Linney. A l'occasion de la sortie du film ce 15 octobre, AlloCiné s'est entretenu avec le scénariste Brian Helgeland. Réalisateur de Payback et Chevalier, il revient sur sa vision du film et sa collaboration avec Clint Eastwood. En bonus, notre reportage vidéo autour de la conférence de presse londonienne réunissant Clint Eastwood et ses comédiens Tim Robbins et Laurence Fishburne...
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AlloCiné : Quels éléments vous ont interpellé dans le roman de Dennis Lehane ?
Brian Helgeland : J'y ai trouvé un écho à mes propres origines : Dennis Lehane vient de Dorchester, dans le sud de Boston, et je suis né à quarante miles de là. Je vivais dans le même genre de quartier que celui présenté dans le film, une ville d'ouvriers, de pêcheurs. Et quand j'ai lu le livre, c'était tout sauf un endroit inconnu mais un univers très familier, certains personnages me rappelant des gens que j'avais connu... C'est ce qui m'a attiré dans ce projet. Ensuite, il y avait également le fait que les classes ouvrières sont toujours présentées de la même façon à Hollywood, soit comme des gens pauvres et violents, soit à travers un héros qui parvient à se sortir de ce milieu : ils ne sont jamais représentés comme des gens. J'ai trouvé que Dennis Lehane avait fait du très bon travail en représentant ces gens comme des êtres humains, et c'était pour moi un élément majeur à transposer à l'écran.
Le roman brasse de nombreux thèmes, dont celui de la violence...
Il y a effectivement différents thèmes dans le livre. L'idée de la violence m'intéressait car une blessure physique est moins douloureuse qu'une blessure psychique, dans le sens où elle va vous laisser une cicatrice qui finira par disparaître alors que ses conséquences psychologiques vont s'ancrer en vous, empirer avec le temps et ne jamais s'effacer. J'ai aussi été touché par l'idée du poids de la communauté, surtout aux Etats-Unis où la communauté est considérée comme l'une des choses les plus importantes : elle protège ses membres et leur donne un sens des valeurs et une certaine identité, mais affiche en même temps un côté obscur dans la mesure où elle réclame qu'on se fonde dans la masse sans quoi on est rapidement exclu. Ce que j'ai également aimé dans le livre, c'est sa moralité. Personne n'est entièrement bon, personne n'est entièrement mauvais, tout le monde est entre les deux, simplement humain. La plupart des films américains simplifient trop les choses et mettent en scène des gentils et des méchants. Cela fonctionne car c'est divertissant et facile à regarder, mais j'ai aimé cet aspect devenu trop rare dans les films hollywoodiens aujourd'hui. C'est le coeur du film : avec des personnages tout blanc ou tout noir, c'est difficile de mettre en place un drame. Sans être humain, il n'y a pas de tragédie...
Justement, Clint Eastwood parle du film comme d'une "tragédie américaine"...
C'est clairement une tragédie, mais je ne sais pas si elle est particulièrement américaine, hormis le fait qu'elle se passe aux Etats-Unis. je pense que Mystic river aborde des thèmes universels : ce terme de "tragédie américaine" laisse penser que seuls les Américains vont le comprendre et suggère que l'on va présenter une histoire typiquement américaine, alors que l'élément humain du film fait que tout le monde peut s'y reconnaître et s'y rattacher. De la même façon, une tragédie grecque ne parle pas uniquement aux Grecs d'il y a 2 000 ans ! Je ne sais pas vraiment ce que signifient les termes "tragédie américaine" ou "tragédie grecque". Je sais juste que Mystic river est une tragédie ! (rires)
C'est également l'histoire d'une amitié perdue...
Oui, car leur enfance a pris fin le jour de l'enlèvement de Tim Robbins. Vous pouvez appeler ça la fin de l'innocence, ou plutôt de l'ignorance de ce qu'est l'âge adulte et le fait de grandir. Quand il est enlevé, le monde des adultes fait soudain irruption et ce n'est plus possible pour eux d'être des enfants... Cet événement provoque à mon sens une sorte de gêne chez eux : ils ont du mal à se revoir après le drame, ils se perdent de vue, mais il subsiste tout de même ce lien très fort entre eux. La période précédant l'enlèvement et le viol représente pour eux une époque de joie et d'innocence, période qu'ils n'ont plus connu depuis longtemps. Il y a quelque part un espoir de changer quelques peu les choses et de retrouver cet ancien temps.
Vous avez un regard très distant sur vos personnages, dans la mesure où vous ne les jugez pas...
Cette distance leur permet d'être plus vrais et plus humains. Les juger les ramène à une dimension manichéene. Cela simplifie trop l'histoire quand les cinéastes décident de porter un jugement sur les personnages plutôt que laisser les spectateurs décider d'eux-mêmes. Etrangement, plus vous prenez de distance et plus vous permettez aux personnages d'être réalistes et humains et aux spectateurs de se faire leur idée sur eux. C'est ce qui fait la force de Mystic river... C'est important dans ce monde où l'on vous martèle que tel peuple est bon et tel peuple mauvais, que les Etats-Unis sont gentils et que l'Irak est méchante.... Ce n'est pas aussi simple. Alors si vous ramenez tout ça au niveau communautaire, c'est important de montrer que les comportements ne sont pas aussi simples et que bien et mal sont intimement mêlés. C'est difficile de trouver un véritable saint, et c'est difficile de trouver un véritable monstre. C'est ce qui est important à mon sens dans ce film, notamment pour les spectateurs américains. Maintenant, est-ce qu'ils saisiront cet élément, je ne sais pas... (rires)
En tant que scénariste, avez-vous un droit de regard sur le casting ou était-il déjà arrêté avant l'écriture du scénario ?
Clint Eastwood ne choisit pas ses comédiens avant que le script ne soit terminé : je n'ai donc pas écrit avec un acteur à l'esprit. C'est d'ailleurs quelque chose que j'évite de faire, car cela a tendance à limiter le personnage. Dans la plupart des films, dès qu'un acteur est retenu, on fait tout pour adapter le script à sa personnalité, ce qui est souvent préjudiciable au film. Ce qui fait la force de Clint Eastwood, c'est qu'il fait le contraire : pour lui, le comédien doit devenir le personnage, et non l'inverse. Malgré leur statut de stars, Sean Penn, Tim Robbins et Kevin Bacon sont avant tout des acteurs, et ils ont fait en sorte de se glisser au coeur de leurs personnages ce qui rend le film bien meilleur.
C'est le second film que vous écrivez pour Clint Eastwood après "Créance de sang". Parlez-nous de votre collaboration...
C'est très agréable de travailler avec Clint Eastwood car il ne me dit pas quoi faire : il me fait confiance, part du principe que je connais mon boulot de scénariste et ne me dit pas comment le faire. C'est seulement quand j'ai terminé le scénario qu'il s'y penche pour procéder à quelques ajustements... Mais il le fait de façon très correcte, dans la mesure où il me permet d'aborder l'histoire à ma manière pour garder l'adaptation sous contrôle, avant de la retravailler pour se rapprocher de sa vision. Il n'y a jamais de confrontation entre nous, c'est une relation basée sur le respect. Il respecte énormément les écrivains, que ce soit moi ou Dennis Lehane. Il sait qu'ils sont essentiels, aussi il est assez intelligent pour leur faire confiance et les encourager. Je n'aime pas travailler pour d'autres réalisateurs, mais je reviendrai écrire pour Clint dès qu'il le souhaite.
Propos recueillis par Yoann Sardet - Montage : Michel Weinstein