
En janvier 2022, le cinéma français et les principaux représentants du secteur audiovisuel avaient signé au Ministère de la Culture un nouvel accord sur la chronologie des médias. Pour mémoire, celle-ci régit les dates auxquelles les films peuvent être diffusés, en ligne et à la télévision notamment, dans les mois qui suivent leur sortie au cinéma. Ces règles, qui doivent protéger la création, furent l’objet d’intenses négociations, depuis l’essor des plates-formes de streaming, qui bouleversent la donne.
La première d'entres elles, Netflix, avait annoncé un mois plus tard la signature du premier accord avec les principaux organismes du cinéma français, représentés par la SRF (Société des réalisateurs de films), le BLIC (Bureau de liaison des industries cinématographiques), l'ARP (Société civile des auteurs réalisateurs producteurs), et le BLOC (Bureau de liaison des organisations du cinéma).
La firme de Redmond s'engageait alors "à articuler sa contribution de 4% de son chiffre d’affaires annuel net réalisé en France", à travers un minimum garanti de 30 millions d’euros par an dans la création cinématographique d’expression originale française. Une clause de diversité fléchant au moins 17 % du montant des préfinancements dans le financement d’œuvres d’expression originale française, dont le budget est inférieur ou égal à 4 millions d’euros. Et une clause de volume prévoyant un minimum de dix films préfinancés chaque année.
La nouvelle chronologie des médias conférait à Netflix une première fenêtre de diffusion à 15 mois après la sortie des films en salles, pour une durée de 7 mois exclusifs.
De 17 à 9 mois pour Disney
A l'époque, seul Netflix, parmi les autres plateformes que sont Disney+, Amazon Prime Video ou encore Apple TV, avait signé cet accord. La firme aux grandes oreilles rentre donc désormais dans la danse trois ans plus tard, avec l'annonce de la signature d'un accord ce 29 janvier sur le financement et la diffusion de la création cinématographique française et européenne. Cet accord permettra aux abonnés Disney+ de visionner ces films 9 mois après leur sortie en salles, contre 17 mois actuellement.
Dans le cadre de cet accord d’une durée de trois ans, "Disney+ s’engage à investir 25 % de son chiffre d’affaires net annuel généré en France pour financer des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et françaises" selon les termes du communiqué accompagnant l'annonce.
"Ainsi, Disney+ s’engage sur un investissement sur trois ans, en achat et en préachat, dans la création cinématographique, et à financer un minimum de 70 films sur cette période en assurant une diversité de genres, et de budgets".
Dans un entretien exclusif mené avec Le Film français, Hélène Etzi, présidente de The Walt Disney Company France commente ainsi cet accord : "Depuis le lancement de Disney+ en France, notre public nous demandait pourquoi nos films récents n’étaient pas disponibles sur notre plateforme. [...] Cet accord va nous permettre de réaliser une grande avancée dans la chronologie des médias puisque nous allons passer d’une fenêtre de 17 mois après la sortie salles à une fenêtre positionnée à 9 mois. Nous allons ainsi pouvoir proposer à nos abonnés un grand film de super-héros décalé et très attendu, Deadpool & Wolverine, dès le 25 d’avril".
Dans cet accord triennal, Disney s’engage à investir 25 % de son chiffre d’affaires net annuel généré en France, pour un montant total de 115 millions d’euros sur trois ans, pour acheter et préacheter des films et des œuvres audiovisuelles, européennes et françaises. Soit un "minimum de 70 films sur cette période" poursuit la PDG de Disney France.
"Ce qui est en train de se produire est une catastrophe"
Tous ne partagent pas cet enthousiasme, à l'image de Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). "Ce qui est en train de se produire est une catastrophe" a-t-il déclaré, cité par Le Monde. Selon lui, les organisations du cinéma auraient d’abord dû conclure un accord avec Canal+, leur partenaire historique, avant de conclure un accord avec Disney+. "On négocie d’abord avec celui qui est susceptible d’investir 200 millions d’euros par an, puis avec celui qui propose 35 millions d’euros" a-t-il dit.
Ce mercredi, le PDG du groupe Canal+, Maxime Saada, auditionné devant la commission de la Culture du Sénat, a menacé de réduire significativement les investissements de Canal+ dans le cinéma. "Si Disney est à neuf mois [de délai de diffusion après la sortie d’un film en salle] pour 35 millions d’euros et Canal+ à six mois avec 220 millions d’euros, on a un petit sujet".
En décembre 2021, le groupe Canal+ avait en effet signé un accord "jusqu’en 2024 au moins" avec la filière cinéma français autour de la chronologie des médias, qui prévoyait "un investissement garanti de plus de 600 millions d’euros pour les trois prochaines années dans le cinéma français et européen pour Canal+ et Ciné+". Soit au moins 200 millions € par an, reconductibles tacitement. Cet accord est arrivé à échéance fin 2024, les cartes sont donc rebattues, dans une guerre sans merci autour de la chronologie des médias.