La fin d'un long marathon. Ce lundi 24 janvier, le cinéma français et les principaux représentants du secteur audiovisuel ont signé au Ministère de la Culture un nouvel accord sur la chronologie des Médias. Pour mémoire, celle-ci régit les dates auxquelles les films peuvent être diffusés, en ligne et à la télévision notamment, dans les mois qui suivent leur sortie au cinéma. Ces règles, qui doivent protéger la création, ont été l’objet d’intenses négociations, depuis l’essor des plates-formes de streaming, qui bouleversent la donne.
Des négociations d'autant plus compliquées en fait qu'elles devaient intégrer un nouveau paramètre : la transposition d'une directive européenne, baptisée SMA. Acronyme de "Services de Médias Audiovisuels", celle-ci vise notamment à assouplir les restrictions applicables à la télévision, et à étendre certaines règles audiovisuelles aux plateformes de partage de vidéos ainsi qu’au contenu audiovisuel partagé sur certains services de médias sociaux.
Le cadre du nouvel accord
Selon nos confrères de Boxofficepro, qui ont assisté à la signature de l'accord, la fenêtre d’exploitation de la salle de cinéma reste inchangée. Soit une exclusivité de 4 mois, réduit à 3 mois si le film a enregistré moins de 100.000 entrées en 4 semaines. A l’issue de cette fenêtre s’ouvre celle de la vidéo à la demande à l’acte (VOD) et de l’édition physique (DVD et Blu-ray).
"La pierre capitale de l’accord, c’est la nécessité absolue de préserver ce capital culturel et économique qu’est la salle de cinéma dans notre pays" s'est félicitée Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture, commentant ce nouvel accord acté pour trois ans ; jusqu'en 2024 donc. Avec un premier bilan qui sera effectué dans 12 mois.
"La salle de cinéma reste, en France, le lieu où une œuvre audiovisuelle devient un film" abonde de son côté Richard Patry, le président de la FNCF, la Fédération Nationale des Cinémas Français. Pour lui, le maintien de cette fenêtre d'exploitation exclusive de 4 mois pour les salles "réaffirme l’exception culturelle française. Nous avons réussi à intégrer les nouveaux entrants – jusque-là réfractaires à partager leurs œuvres avec le public de la salle –, tout en préservant la place des anciens et en augmentant la capacité de financement du cinéma français".
Pour les chaînes de télévision payante
Il est désormais possible, pour les chaînes de télévision payante comme Canal+ ou OCS, de faire démarrer sa fenêtre de diffusion à partir de 6 mois en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma. C'est justement le cas pour Canal+, signataire d'un accord en décembre dernier, qui prévoyait d'étendre "jusqu’en 2024 au moins le partenariat entre Canal+ et la filière cinéma français", et un "investissement garanti de plus de 600 millions d’euros pour les trois prochaines années dans le cinéma français et européen pour Canal+ et Ciné+". Soit 200 millions € par an, reconductibles tacitement. Nous étions revenus en détails ici sur cet accord.
S'il n'y a pas d'accord, ces chaînes pourront diffuser les oeuvres 9 mois après leurs sorties en salle.
Pour Netflix, Amazon Prime Video, Disney+
Netflix : 15 mois après la sortie en salle
Disney+ et Amazon Prime Video : 17 mois après la sortie en salle
Jusqu’à aujourd’hui, Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou AppleTV+ pouvaient diffuser un film sur leur plateforme 36 mois après sa sortie en salles ; ou 17 mois si ces acteurs du streaming avaient fortement investi dans la production.
En juin 2021, le décret relatif aux services de média audiovisuels à la demande (SMAD), auxquels les plateformes citées au-dessus sont associées, précisait qu'elles devaient contribuer à hauteur de 20 % de leur chiffre d’affaires français dans la création hexagonale et européenne, dont 80 % pour la production audiovisuelle et 20 % pour le cinéma. En d'autres termes, investir entre 250 et 300 millions € "en année pleine".
Ces SMAD par abonnement ont désormais 3 possibilités :
- une exploitation à partir de 6 mois en cas d’accord similaire à celui de Canal+ : engagement de préfinancement et de diffusion de films européens et en langue française ; engagement d’éditorialisation ; engagement financier sur la base d’un minimum garanti et clause de diversité des investissements, tout en respectant la législation et le droit de la propriété intellectuelle. L’accord définit également le délai d’exclusivité.
- une exploitation à partir de 15 mois, si la plateforme respecte la législation et le droit de la propriété intellectuelle et a conclu un accord, qui ne peut excéder 7 mois d’exclusivité ;
- une exploitation à partir de 17 mois sans accord, qui ne peut excéder 5 mois d’exclusivité (soit jusqu’au 22e mois).
"Cet accord est une première étape significative de modernisation de la chronologie des médias. Il reflète notre approche constructive tout au long du processus de négociation et notre engagement à contribuer au cinéma français" a commenté un porte-parole de Netflix, cité par Le Monde.
La firme de Redmond s'engage ainsi à produire au moins 10 films par an et à investir en moyenne 40 millions €, soit 4% de son chiffre d'affaires réalisé en France. Toutefois, ses films produits en-dehors de la France ne sortiront toujours pas en salle chez nous. De fait, ceux-ci ne seront soumis à aucun délai. Netflix fait contre mauvaise fortune bon coeur : initialement, il était question que la plateforme puisse bénéficier d'un délai de diffusion de 12 mois, et non 15...
Pour les chaînes TV en clair (TF1, France Télévisions, Arte…)
Les chaînes TV en clair voient leur fenêtre de diffusion ramenée à 22 mois, contre 30 mois dans l'ancienne chronologie. Cette fenêtre sera possible si la chaîne investit à minima 3,2 % de son chiffre d’affaires.
Si le film n’a pas été acquis par une chaîne payante ou un SMAD, ce délai est ramené à 19 mois. La durée d’exclusivité ne peut excéder 14 mois, avec la possibilité, via accord, d’augmenter cette durée, de manière exclusive ou non. Par ailleurs, elles pourront signer des accords avec les plateformes pour ouvrir des "périodes de co-exclusivité" où le consommateur aura le choix entre chaîne gratuite ou plateforme de SVOD.
Pour les SMAD non payants
Ce type de service pourra exploiter une oeuvre 36 mois après sa sortie en salle.
On notera par ailleurs la possibilité pour les documentaires et fictions de moins de 1,5 millions €, d'être exploités 12 mois après leur sortie, s’ils n’ont été achetés par aucune chaîne de télévision ou SMAD par abonnement.
Histoire d'être un peu plus clair, voici un petit tableau récapitulatif :
Fenêtre de diffusion | Nouvelle chronologie | Ancienne chronologie |
Vente et location (DVD, Blu-ray, VOD) | 4 mois | 4 mois |
Canal + | 6 mois | 8 mois |
Netflix | 15 mois | 36 mois |
Amazon Prime, Disney+ | 17 mois | 36 mois |
Chaînes gratuites (TF1, France Télévisions, M6, Arte...) | 22 mois | 30 mois |
Enthousiasme tempéré
L'enthousiasme est quand même tempéré, déjà du côté de la SACD. Si la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques salue "les efforts de médiations du CNC" et reconnaît que l'accord "contient des avancées nécessaires qui méritent d’être soulignées", l'organisme a pourtant refusé de le signer.
Dans un communiqué publié une poignée d'heures après la signature, la SACD précise : "personne ne peut imaginer que les termes de cet accord peuvent aujourd’hui rester en vigueur pour une durée de trois ans. Les mutations rapides du secteur en termes d’offre, de technologie et de demande conduiront inéluctablement à une évolution rapide de la place du cinéma dans l’ensemble des offres disponibles sur le marché français. La conclusion de cet accord pour une durée de 3 ans apparaît donc à la fois incompréhensible et déraisonnable".
Par ailleurs, il est à noter que seul Netflix, parmi les autres plateformes que sont Disney+, Amazon Prime Video ou encore Apple TV, a signé cet accord. Pour mémoire, en septembre 2020, Disney laissait planer la menace de boycotter les salles de cinéma en France. Et ce n'était pas parce que la firme ne croyait plus au grand écran, mais pour éviter les contraintes de la chronologie des médias française.
"Nous pensons que la nouvelle chronologie des médias n’établit pas un cadre équitable et proportionné entre les différents acteurs de l’écosystème audiovisuel. Ceci est d’autant plus frustrant que nous avons augmenté nos investissements dans la création de contenus originaux français" a d'ailleurs commenté Disney.
Une contrainte qui concernera aussi, soit-dit en passant, la future plateforme de Warner Media, HBO Max, dont l'implantation en France serait prévue pour 2023.