Du cinéaste Adrian Lyne, on retient surtout une carrière très ancrée dans les années 80, avec les énormes succès de Flashdance; le sulfureux 9 semaines 1/2 et son érotisme flashy bon chic bon genre. Ou encore le très solide Liaison fatale, sorti chez nous en 1988, qui mettait aux prises Michael Douglas face à une impressionnante Glenn Close dans un terrifiant drame passionnel. On peut pourtant affirmer sans trembler que son meilleur film reste (restera ?) une oeuvre sortie il y a 33 ans chez nous : L'Echelle de Jacob.
Définition même de ce que peut être un film culte, ce chef-d'oeuvre d'horreur psychologique reste peu connu en dehors de son cercle naturel de fans. Mais son influence dépasse de loin son très modeste succès commercial, puisqu'il a influencé non seulement tout une génération de cinéastes, mais aussi nombre de Game Designers, à commencer par le créateur de la saga horrifique des jeux Silent Hill qui revendique haut et fort l'inspiration directe du film de Lyne.
Une double échelle
L'Echelle de Jacob, c'est celle d'un double sens. D'abord figuré, car elle représente un moyen de communication entre le quotidien matériel, la réalité, et un domaine rêvé, espéré. Mais aussi un sens religieux : c'est l'échelle vue par le patriarche Jacob, telle que décrite dans la Génèse, permettant aux anges de transiter entre la terre et le ciel.
Chez Lyne, ce n'est ni plus ni moins que la transition entre l'Enfer et le Paradis. Un enfer vécu par Jacob Singer (merveilleux Tim Robbins). Modeste employé des postes new-yorkaises, il est assailli par de nombreux cauchemars durant ses journées. Il voit de plus en plus souvent des hommes aux visages déformés, des créatures absolument répugnantes rôder autour de lui, et se retrouve dans des lieux qu'il ne connaît pas.
Jacob est victime des flashbacks incessants de son premier mariage, de la mort de son fils et de son service au Viêtnam. Jours après jours, sa santé mentale devient de plus en plus précaire. Le seul qui parvient encore à le comprendre, en dehors de sa femme, est Louis, son ami chiropracteur.
Une drogue de combat qui rend fou
Réalité et cauchemar deviennent rapidement indiscernables pour lui; le récit du film se brisant en fragments hallucinatoires avant de livrer sa révélation finale et obsédante. Tout au long du film, Jacob est convaincu qu'il va mourir ou qu'il est déjà mort et est allé en Enfer.
Contrairement à d'autres films sur la guerre du Viêtnam, il ne se concentre pas uniquement sur les traumatismes liés au conflit des soldats américains, mais également sur la façon dont leur propre gouvernement les trahit.
Le bataillon auquel appartenait Jacob a été victime d'une drogue de combat conçue par des chimistes pour l'armée, afin d'augmenter l'agressivité des soldats et leur résistance à la souffrance. Cette drogue, baptisée "l’Échelle", a eu pour conséquence de rendre les soldats fous au point de s'entretuer. Jacob réalise alors que ses visions n'étaient que des manifestations de son état mental et qu'il a effectivement été poignardé par un membre de son unité.
Si ce n'est pas explicitement mentionné, sauf une allusion à la fin dans un texte post scriptum, le film de Lyne fait référence à des recherches bien réelles et ultra secrètes, sous le nom de code Projet MK-Ultra développé par la CIA visant à développer des techniques de contrôle et de programmation de l'esprit.
Tout le film se déroule en fait dans la tête de Jacob, qui revoit défiler sa vie alors qu'il agonise dans un hôpital de campagne, mortellement blessé au Viêtnam en 1971.
Dans une ultime scène du film, les escaliers qu'il prend mènent vers un royaume de lumière vive qui est très probablement le Paradis. Son fils disparu, Gabriel, est alors un ange, le prenant par la main pour le guider vers les cieux. Jacob se laisse faire, il est enfin serein et en paix avec lui-même.
Retour à la réalité. "Il a l'air si paisible" lâche un médecin militaire, prenant sa plaque de cou pour identifier son corps; "il s'est pourtant bagarré". Un twist de fin poignant pour un très grand film, qui a durablement imprimé notre mémoire cinéphilique.