Ile de Jersey, 1945. Dans une immense demeure victorienne isolée, Grace élève seule ses deux enfants. Atteints d’un mal étrange, ces derniers ne peuvent être exposés à la lumière du jour. Lorsque trois nouveaux domestiques viennent habiter avec eux, ils doivent se plier à une règle vitale : la maison doit être constamment plongée dans l’obscurité et aucune porte ne doit être ouverte avant que le précédente n’ait été fermée. Pourtant, l’ordre rigoureux instauré par Grace va être défié par des intrus…
Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. En 2001, le réalisateur hispano-chilien Alejandro Amenàbar livrait son tout premier film tourné en langue anglaise : Les Autres. Rassemblant ses thèmes fétiches tels que la mort, l’enfance, la solitude, l’illusion et l’acceptation, il les rattachait brillamment au fantastique et à une esthétique gothique, au service d'une oeuvre dont le scénario est inspiré des films Les Innocents (tiré du roman Le Tour d’écrou d’Henry James) et La Maison du Diable.
"Si nous sommes morts, où sont les limbes ?"
Distillant savamment ses effets au compte-gouttes au sein d'un univers terriblement étouffant autour d'une Grace de plus en plus névrosée, ce n'est que dans les 30 dernières minutes qu'Amenàbar abat ses cartes.
D'abord la révélation sur la nature même du trio de domestiques engagés par Grace pour s'occuper de la maison et de ses enfants, qui se révèlent en réalité être morts depuis 50 ans. On pense alors avoir atteint le climax possible du film, et même avoir une petite longueur d'avance sur la suite du déroulé de l'intrigue.
Avant qu'Amenàbar nous achève avec un twist ending révélant la véritable nature de Grace et ses deux enfants, et leur destinée absolument tragique. Jusqu'alors, les spectateurs s'identifiaient à Grace, placée en position de victime, et "Les Autres" semblaient être la famille Marlish et cette mystérieuse vieille femme, qui voulaient investir les lieux comme le feraient des fantômes désireux de chasser les intrus.
Le pouvoir supérieur de la vie sur la mort
En fait, ce sont Grace et ses deux enfants qui sont les spectres qui hantent la maison. Névrosée, ne supportant pas l'absence de son mari disparu à la guerre, elle a fini par tuer ses enfants avant de se suicider à son tour.
Profondément pieuse, vaincue par le mal qui la ronge, elle s'est révélée au bout du compte incapable de les protéger, les condamnant à errer avec elle dans les limbes. C'est que l'Eglise a, durant très longtemps, réprouvé le suicide.
Pour elle, c'était ne pas reconnaître le pouvoir supérieur de la vie sur la mort. Traditionnellement, les suicidés, privés de cérémonie religieuse, n'étaient pas enterrés en terre consacrée mais à l'extérieur du cimetière.
Dans une interview de 2001, Amenàbar revenait justement sur l'importance cruciale de la religion dans son film, voyant son oeuvre comme une réflexion sur "la manière dont la religion donne un sens à la mort et au concept de destin". Dans un des derniers plans du film, Grace s'accroche aux enfants et à la maison, comme si elle était encore en vie, refusant d'errer comme une âme damnée pour avoir commis un péché mortel.
La liste des films ayant un twist ending mémorable est déjà longue. Celui des Autres, terrible, porteur d'une charge émotive à fendre les pierres en deux, se hisse tranquillement vers les sommets.