Il y a des biopics assez conventionnels et il y en a d'autres plus explosifs. Limonov, la ballade tombe plutôt dans la seconde catégorie. Il faut dire que la figure exposée dans le nouveau film de Kirill Serebrennikov a une vie assez rock'n'roll pour nous emmener dans un voyage de tous les sens.
Après Leto, La Fièvre de Petrov ou encore La Femme de Tchaïkovski, le cinéaste russe s'est attaché à mettre en scène la vie d'Edouard Limonov, écrivain franco-russe et dissident politique, fondateur du Parti national-bolchévique.
Un biopic historique pas comme les autres
Militant révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut tout à la fois un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, telle une traînée de soufre, est une ballade à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au cœur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle.
Limonov, la ballade est un biopic adapté du roman Limonov de l'écrivain et réalisateur français Emmanuel Carrère, publié en 2011 et lauréat du prix Renaudot.
Biographie déguisée en enquête journalistique approfondie, cet ouvrage particulier, qui met en exergue les bouleversements sociopolitiques profonds de la seconde moitié du XXème siècle à travers la vie de Limonov, a attiré Kirill Serebrennikov, qui en fait une adaptation coup de poing.
Loin d'être une ballade reposante, le film du réalisateur russe nous plonge dans la psyché de cette figure controversée et contradictoire et révèle toute la complexité de ses combats et de ses œuvres avec de nombreux retournements de situation et des scènes de vie personnelle déchirantes, qui questionnent constamment cette personnalité.
La performance impressionnante de Ben Whishaw
Pour incarner Edouard Limonov, Kirill Serebrennikov s'est tourné vers l'acteur britannique Ben Whishaw, connu pour avoir interprété le meurtrier Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum, Q dans la saga James Bond mais aussi pour prêter sa voix à l'ours Paddington.
Sa versatilité et son jeu ont convaincu le réalisateur russe de lui confier la partition excentrique d'Edouard Limonov pour un résultat saisissant et impressionnant. Si la langue anglaise était un choix logique pour un projet international, Ben Whishaw s'est imposé comme une évidence tant sa transformation était transcendante selon le cinéaste :
"Ben a dépassé toutes mes attentes. C’est vraiment un grand artiste. Dans la vie, Ben est totalement à l’opposé de ce qu’était Limonov. C’est un Britannique fin, gentil, calme… Alors que devant la caméra il se transforme en un Limonov très très russe !
Cette transformation radicale a quelque chose de mystérieux, même si bien sûr il y a eu toute une préparation. Ben a ingurgité une quantité considérable d’images d’archives et s’en est imprégné.
Sur le plateau, beaucoup de gens de l’équipe avaient connu le véritable Limonov. Ces techniciens étaient au fond les premiers spectateurs du film, et ils ont été absolument convaincus : pour eux, il ne faisait aucun doute que Limonov était parmi nous."
Une mise en scène électrique et théâtrale
Limonov, la ballade vaut également pour sa mise en scène et son esthétique très riche. D'abord, pour sa qualité de reconstitution historique de l'URSS des années 60, 70 et 90 mais aussi du New York des années 70, grâce à un travail d'archive conséquent et une recherche poussée et minutieuse dans la confection des décors et des costumes.
"Le style général du film est celui d’une BD ou d’un collage", explique Kirill Serebrennikov dans le dossier de presse du film. "J’ai voulu utiliser tous les formats : des images carrées en noir et blanc pour l’Union soviétique, puis un format large et en couleur pour les États-Unis…
Je suis passionné de photo et j’ai beaucoup puisé dans les archives. Le titre l’indique, ce film est une ' ballade', une ciné-ballade, qui emprunte à la poésie le rythme, les allitérations, les imbrications du temps, des personnes..."
Bercé par une musique rock'n'roll, Limonov, la ballade émerveille par ses tableaux reconstitués que l'on traverse de part en part comme dans une pièce de théâtre aussi vivante et explosive que son personnage principal. Et cette expérience organique et rythmée se doit d'être vécue dans une salle obscure.
Le film "Limonov, la ballade" de Kiril Serebrennikov est actuellement au cinéma.