Un scénario intriguant, récompensé au Festival de Cannes
Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? Vous devriez essayer The Substance. En effet, ce mystérieux sérum permet de générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite.
Il suffit de respecter les instructions : vous activez une seule fois ; vous stabilisez chaque jour ; vous permutez tous les sept jours sans exception. C’est si simple, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
Sept ans après Revenge, son premier film, la cinéaste française Caroline Fargeat a marqué un retour triomphal en mai dernier, lors de la 77e édition du Festival de Cannes. Présenté en compétition, The Substance, son second long-métrage, a créé l’événement sur la croisette en obtenant le prestigieux Prix du scénario, succédant ainsi à L’Innocence de Hirokazu Kore-eda.
Outre la qualité d’écriture de son intrigue, limpide et implacable malgré l’originalité de son concept, The Substance a également séduit les festivaliers par l’ambivalence de son esthétique : aussi pop qu’acide, vintage que moderne, le film convoque nombre de références aux chefs-d’œuvre du genre, donnant naissance à un hybride inoubliable.
Une esthétique léchée, tantôt pop et moderne…
En faisant l’expérience de la Substance, Elisabeth Sparkle (Demi Moore) donne naissance à Sue (Margaret Qualley), un alter-ego plus que parfait. Dans sa peau, elle peut vivre une nouvelle jeunesse, à condition de retrouver son corps une semaine sur deux.
Cette alternance des corps et des âges entraîne, inévitablement, une ambivalence de l’esthétique de The Substance. Tandis qu’Elisabeth incarne un âge d’or Hollywoodien en déclin, la jeune Sue est la parfaite représentation de l’ère moderne et des standards féminins contemporains. Un fantasme sur-représenté dont la réalisatrice, Caroline Fargeat, voulait dénoncer la pression sur les femmes : “Tout, partout autour de nous, dans la publicité, le cinéma, les magazines, les vitrines des magasins, nous présentent des versions fantasmées de nous-mêmes, explique-t-elle. Toujours belles. Minces. Jeunes. Sexy. La version de « LA femme idéale » censée nous apporter l’amour. La réussite. Le bonheur.”
Adoptant parfois à dessein la plastique lisse et colorée des productions publicitaires pour symboliser la vanité d’une époque, The Substance s’approche alors de l’esthétique pop et ultra-moderne de films tels que The Neon Demon, dont l’intrigue permettait déjà d’introduire une réflexion sur les standards féminins et l’univers de la mode.
Dans ses costumes autant que dans ses décors, The Substance semble donc épouser la modernité de son temps : combinaisons de cuir ou justaucorps en latex pour souligner les formes féminines juvéniles, environnements aseptisés, surabondance d’images et de spots publicitaires semblant se répéter à l’infini…
… tantôt organique et monstrueuse
Pour autant, le vernis coloré et moderne qui recouvre The Substance ne tarde pas à se craqueler lorsqu’Elisabeth se heurte aux limites imposées par le mystérieux sérum, révélant ainsi le fond putréfié qu’il dissimule. Exit alors l’esthétique publicitaire léchée et bigarrée, puisque Caroline Fargeat laisse une pulsion organique prendre le dessus sur son long-métrage, comme un inévitable retour à l’horreur du temps et de l’âge.
“Je suis convaincue que c’est notre prison, poursuit la cinéaste à propos des standards féminins. Une prison que la société a bâtie autour de nous et qui est devenue un formidable instrument de contrôle et de domination. Une prison où, pensons-nous, nous évoluons librement. Le film l’affirme haut et clair : il est temps de faire exploser ce carcan. [...] Il s’agit de jouer avec la destruction du corps des femmes pour s’affranchir de ces contraintes qui emprisonnent les femmes depuis si longtemps.”
La cinéaste poursuit en effet sur les standards de beauté féminin, les qualifiant de “prison que la société a bâti autour de nous et qui est devenue un puissant instrument de contrôle et de domination. Une prison que nous pensons vouloir pour nous-mêmes. Et ce film est un grand cri : il est temps de faire exploser tout ça. Car comment toutes ces foutaises peuvent encore exister en 2024 ?!”
La plastique moderne cède alors sa place à une révolution de la chair, dans un crescendo de plus en plus cauchemardesque : le corps d’Elisabeth, autrefois parfait, évolue alors pour repousser ses limites. Presque intégralement réalisés par effets pratiques, grâce à l’usage de prothèses notamment, la déformation du corps repousse les frontières de l’horreur atteintes par des cinéastes tels que David Lynch (Eraserhead, Elephant Man) ou David Cronenberg (La Mouche) pour atteindre un niveau de métamorphose inégalé.
Chargé de références aux thrillers psychologiques modernes autant qu’aux classiques du body-horror, le long-métrage de Caroline Fargeat emprunte à tous les genres pour créer une esthétique hybride et unique qui marquera les esprits autant que les corps.
The Substance, récompensé au Festival de Cannes, est à découvrir dès le 6 novembre au cinéma.