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    "Le film va faire beaucoup de bruit dans mon pays"... et il va vous impressionner !
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Présenté en compétition au 77e Festival de Cannes, "Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" d'Emanuel Pârvu porte un regard cru et saisissant sur l'homophobie en Roumanie. Le réalisateur décrypte pour nous ce film urgent.

    Il fait nuit. La rue est déserte. Adi, 17 ans, profite de cette intimité pour échanger un baiser avec un garçon. Son enfer commence avec ce geste d'amour. En rentrant chez lui, il est victime d'une violente agression. La machine s'enraye. Pour porter plainte, il doit essuyer les rumeurs de son petit village, la violence de ses parents et les remarques d'une police prête à tout pour le décourager.

    Dans Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde d'Emanuel Pârvu, la victime est coupable. C'est elle, homosexuelle, qui est accusée d'attiser la haine de ses agresseurs. Le film, récompensé par la Queer Palm à Cannes, dénonce le mécanisme qui protège les criminels lorsque la vie des minorités sont en jeu.

    L'histoire se situe dans la campagne roumaine mais pourrait se dérouler n'importe où. En France notamment, où les attaques homophobes continuent de tuer. Pour le réalisateur, les "trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" désigne la distance entre le petit village et la mer et celle qui s'épare l'humanité de sa monstruosité. Rencontre avec Emanuel Pârvu, le réalisateur et scénariste du film.

    Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde
    Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde
    Sortie : 23 octobre 2024 | 1h 45min
    De Emanuel Parvu
    Avec Bogdan Dumitrache, Ciprian Chiujdea, Laura Vasiliu
    Presse
    3,4
    Spectateurs
    3,7
    Séances (8)

    L’histoire de Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde pourrait être adaptée de faits réels. Mais il me semble qu’elle a été inspirée par un autre fait divers…

    Emanuel Pârvu, scénariste et réalisateur : Il y a une dizaine d'années, dans notre pays, en Roumanie, une fille a été violée par sept hommes et tous les habitants de son village se sont retournés contre elle, contre la victime. Pour eux, elle méritait d'être violée. "Pourquoi portait-elle cette robe ?" C'est la question qu'ils posaient.

    Un prêtre est même passé à la télévision, vous pouvez trouver ces images, et disait : “Si le violeur risque sept ans de prison, que la fille ait trois ou quatre mois de prison aussi parce qu'elle n'a pas été violée par rien.” Il y a une parole totalement décomplexée dès qu’il s’agit de juger les victimes. Si vous pensez une chose pareille, ayez au moins la décence de ne pas le dire. Ne le dites pas. Fermez-là.

    Ces personnes ne devraient pas faire partie de notre société. C'est ce que je pense. Je fais des films sur les enfants, les orphelinats, etc. J'aime prendre part aux sujets de société de mon pays. J’aime beaucoup débattre. Sauf que moi, j’ai été un enfant élevé dans une belle famille. Je n'étais pas dans un orphelinat ou je ne faisais pas partie de la communauté LGBT.

    Je ressens donc une responsabilité de souligner ces choses extrêmement graves depuis ma position. Je me dois de critiquer ce qui ne va pas et ce que nous devons changer. Nous devons absolument en parler. Nous ne pouvons pas toujours mettre les ordures sous le matelas. Discutons-en.

    “Je t'ai créé, je peux te tuer" est une phrase avec laquelle j'ai grandi.

    En Roumanie, l’homosexualité est décriminalisée mais les mariages entre les personnages du même sexe ne sont pas autorisés. Quel regard portez-vous sur la situation de votre pays ?

    C’est un pays traditionnel et nous sommes des gens très conservateurs. Bucarest est une ville cool, ouverte d’esprit, mais la Roumanie, ce n’est pas Bucarest. Tout comme Paris ne représente pas la France et ses petites villes, ses villages. Sortez de Bucarest sur 15 kilomètres et voyez ce qui s'y passe.

    Nous progressons, mais je pense que nous n'avançons pas à la bonne vitesse. Tout est beaucoup trop lent. Contre l’homophobie, mais aussi contre le sexisme, le racisme, la xénophobie. Ce film, je sais qu’il va faire beaucoup de bruit dans mon pays. J’en suis conscient.

    Appréhendez-vous ces réactions ?

    Je suis prêt, je suis déjà passé par là. Je me fiche que les gens puissent dire du mal de moi ou de mes films. Mon travail consiste à soulever des questions, comme nous l'avions fait avec mon premier long métrage [Mikado, sorti en 2022, s’intéressait au destin d’un enfant dans un orphelinat, ndlr]. Je pense que si j'ai pu aider une personne pour qu’elle puisse avoir une meilleure vie, mon travail est fait.

    Dans le film, les parents du personnage principal le coupe du monde extérieur. Il est leur propriété. Son corps et sa vie ne lui appartiennent plus.

    J'ai grandi dans un système communiste et il y a cette phrase que je déteste, mais avec laquelle j'ai grandi : “Je t'ai créé, je peux te tuer.” 99 % des parents l'utilisent encore aujourd'hui. C'est ce qui fait l'éducation des enfants. Je t'ai fait, je peux tout te donner mais aussi tout te reprendre. Mais on ne possède pas ses enfants. C'est une vie à part et l'amour ne peut pas être conditionnel. Le lien entre un parent et un enfant est la forme d'amour la plus puissante qui soit. Depuis le règne animal jusqu'à l'Homme.

    © Memento Distribution
    "Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" d'Emanuel Pârvu.

    Malgré tout, et c’est peut-être l’aspect le plus complexe du film, je pense que les parents aiment leur fils.

    Bien sûr, mais ils ne peuvent pas aller au-delà de leur haine. C'est plus grand que leur cerveau. Ils ont eux-mêmes été élevés de cette manière. Si la police était venue à leur porte pour leur dire : "J'ai vu votre fils voler ou frapper quelqu'un.” Ils réagiraient différemment. Cela fait partie de leur univers. Mais ce qui dépasse leur façon de penser, ils ne peuvent pas s'y référer. Cela n'existe tout simplement pas.

    Il y a ce détail dans la chambre du jeune homme qui a attiré mon attention. Tout est vide, il y a peu de décoration, seulement un cadre religieux et une photo du groupe de musique U2. Pourquoi ce groupe ?

    C’est une façon de m’adresser aux spectateurs, en leur disant : “Vous aussi.” Cela peut vous arriver. Un jour, peut-être que votre propre enfant, un de ses amis ou une connaissance pourrait être à sa place. Observons notre monde et soyons attentifs parce que cela peut vous arriver à vous aussi, à tout moment.

    Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, le 19 mai 2024.

    Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde d'Emanuel Pârvu, au cinéma dès ce 23 octobre 2024.

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