Une comédie policière acide par le réalisateur de L’Inconnu du lac
Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s'installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue...
Récompensé du prestigieux prix de la mise en scène du Festival de Cannes (dans la catégorie Un certain regard) et de la Queer Palm pour L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie célèbre cette semaine son retour dans les salles obscures, deux ans après Viens je t’emmène, son dernier long-métrage. Miséricorde, son nouveau film, a lui aussi été projeté en mai sur la croisette dans la section Cannes Première.
Projet personnel dans la droite lignée de ses dernières réalisations, Miséricorde se situe au croisement de nombreuses récurrences du cinéma d’Alain Guiraudie : moralité et culpabilité se retrouvent ainsi questionnées par une intrigue policière aux accents comiques, cultivée dans un cadre bucolique à la limite du sauvage.
Les Films du Losange
Dans ces paysages en friche, personnages et spectateurs errent et s’interrogent, leur esprit embrouillé semblant se confondre avec le brouillard automnal environnant.
“Ici, plus encore que dans mes autres films, je me suis acharné à cultiver la part du mystère, j’ai cherché à ce que le spectateur se pose des questions et qu’il participe à l’histoire, explique Alain Guiraudie. C’est la meilleure façon de ne pas s’ennuyer d’une part, et puis c’est aussi la meilleure transcription du désir. Qui reste toujours, pour moi, le grand mystère de la vie.
On comprend quand même assez vite que le héros reste ici par désir pour quelqu’un. Même si tout ça bouge beaucoup. Il est lui-même objet de désir. Et je suis aussi beaucoup intéressé par le trouble que peut amener cet inconnu et ses intentions pas très claires. J’aime qu’on ne sache pas qui est le méchant, et qu’on ne sache pas trop de quel côté se situer.”
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Vincent (Jean-Baptiste Durand), Walter (David Alaya) ou encore l’abbé du village (Jacques Develay)... Autant de personnages bouleversés par le retour impromptu de Jérémie (Félix Kysyl), élément perturbateur dont le passé et la sexualité trouble vont venir dérégler les habitudes locales. Mais parmi ces hommes, en plein questionnement, se dessine une figure féminine à la frontière de la fascination et de la crainte : Martine, interprétée par Catherine Frot.
“Catherine Frot, c’est vraiment une actrice très populaire”
Révélée en 1986 par Escalier C de Jean-Charles Tacchella, c’est Un Air de famille de Cédric Klapisch qui apporte à Catherine Frot la consécration et lui permet de décrocher son premier César, suivi d’un second 20 ans plus tard pour sa performance dans Marguerite. Visage incontournable du cinéma français, la comédienne a tourné pour de grands cinéastes tels que Claire Denis, Francis Veber, Catherine Corsini ou encore Xavier Giannoli. Miséricorde marque cependant sa première collaboration avec Alain Guiraudie. Un choix qui, pour le réalisateur, n’était pas celui de la simplicité.
“Je n’écris jamais en pensant à des acteurs/trices et généralement, c’est au casting que les ennuis commencent pour moi, explique-t-il. C’est le moment où il faut donner un corps, une voix à ces personnages que j’ai en tête sous une forme très diffuse. J’ai assez vite pensé à Catherine Frot pour incarner Martine, surtout pour sa candeur, pour son côté femme-enfant. Mais j’ai hésité à lui proposer, j’ai toujours cette appréhension qu’avec une comédienne très identifiée, qu’on a vue dans beaucoup de rôles, on ait du mal à croire à ce personnage nouveau. [...] Catherine Frot, c’est vraiment une actrice très populaire. Dans les deux sens du terme : tout le monde la connaît et elle peut se fondre dans des univers populaires. Elle ne dépareille pas.”
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Malgré cette première réticence, le talent de la comédienne et sa capacité d’adaptation sont rapidement parvenus à convaincre le cinéaste : “Dès que j’ai franchi le pas, quand j’ai rencontré Catherine, tout s’est déroulé d’une façon assez fluide. On a répété et Catherine s’est fondue dans l’univers du film. Et très vite j’ai cru à Martine.”
Personnage ambigu, seule présence féminine au milieu d’un village d’hommes, Martine fait figure de véritable mystère pour Jérémie… et les spectateurs. Tantôt manipulée, tantôt maîtresse de la situation, cette veuve adopte pour les hommes qui l’entourent un rôle de mère de substitution autant que d’objet de désir et de jalousies. Incarnée avec subtilité et ambivalence par la brillante Catherine Frot, Martine offre à la comédienne son meilleur rôle depuis Marguerite, qui lui avait permis d’obtenir le César de la meilleure actrice il y a près de 10 ans.
Catherine Frot est à l’affiche de Miséricorde, le nouveau film d’Alain Guiraudie, à découvrir en salle.
