À l'occasion de la sortie de Culte sur Prime Video, la rédaction d'AlloCiné a eu la chance de s'entretenir avec Matthieu Rumani et Nicolas Slomka, les deux créateurs de la série. Véritable plongée dans les coulisses de l'émission Loft Story, Culte retrace l'histoire de la naissance de la télé-réalité en France ! Et vous allez voir que ce projet un peu fou est dans les tuyaux depuis plus de dix ans.
AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a donné envie de créer une série sur Loft Story ?
Matthieu Rumani et Nicolas Slomka : Tout a démarré il y a presque 10 ans ! C'était en 2012, on avait vu The Social Network, qui racontait un truc complètement improbable, à savoir la création de Facebook. Avant d'aller voir le film, on se disait : "Mais qui ça va intéresser la création de Facebook ? Et pourquoi ? Comment est-ce que ça pourrait être une bonne histoire ?"
Et on est sorti du film vraiment très emballé par cette écriture nerveuse et par ce qu'on appelle un office drama, c'est-à-dire les drames qui pouvaient se jouer dans les couloirs des entreprises et les luttes de pouvoir avec des personnages pas toujours tendres. On s'est dit : "Qu'est-ce qui a peut-être bouleversé la société française, comme a pu le faire, Facebook dans le monde ?"
C'est là qu'on s'est souvenus de Loft Story et de l'énorme phénomène que cela avait été. On a commencé à se documenter et très rapidement, on s'est dit qu'il y avait une super histoire à raconter.
Laquelle ?
Ce qu'on a découvert à ce moment-là, et on ne s'y attendait pas du tout, c'est que derrière le Loft, il y avait un autre loft avec tout le staff, toute la production dans lequel, s'était joué un vrai thriller.
C'était une histoire pleine de rebondissements, des dangers, avec beaucoup de tension et de drames humains et il y avait toute la matière pour une bonne histoire et une bonne série.
Pourquoi choisir de faire d'Isabelle votre héroïne alors qu'on s'attendait peut-être à ce que cela soit Loana ?
Pour nous, c'était l'évidence. Il faut dire que le Loft, c'étaient des heures et des heures de direct. On les a vus, on a été spectateurs à l'époque et on s'est dit que ce qui s'était passé dans le Loft, ça avait déjà été raconté.
C'est vraiment là où j'ai envie de surprendre les spectateurs ! Ils vont peut-être venir en se disant qu'ils vont revoir les histoires de Loana et de Jean-Édouard alors que ce n'est pas ça qu'ils vont voir du tout.
Ils vont voir que les producteurs derrière les miroirs, c'était un peu des lofteurs, d'une certaine manière : des gens qui étaient enfermés pendant des semaines et qui s'étaient éliminés les uns les autres.
C'était donc un choix depuis le début de s'orienter vers le personnage d'Isabelle et de laisser de côté Loana ?
Au tout début, dans notre toute première version, Loana n'était même pas un personnage. C'était un personnage dont on entendait parler. On savait qu'elle était là, mais c'est tout. On ne restait qu'avec la prod.
Et puis, plus on avançait, plus on s'est rendu compte que c'était un personnage passionnant et que les gens avaient oublié ce qu'elle était à l'époque. Les gens pensent beaucoup à la Loana d'aujourd'hui et pensent beaucoup à la piscine, mais il y avait tout l'avant, c'est-à-dire tout le récit de son origine et de son parcours de vie accidenté jusqu'à ce moment-là.
Et puis tout l'après, comment elle devient dans le loft, comment elle prend le pouvoir sur son image et comment elle finit par s'affirmer. Ça, c'est quelque chose que les gens ont complètement oublié et qu'on a eu très envie de raconter aussi, même si ça reste au second plan. Ce n'est pas le centre de la série mais c'est un cœur émotionnel qui est extrêmement fort et qui irradie vraiment sur tout le reste.
Il y a quelque chose de très intéressant avec le personnage de Karim. Il devient obsessionnel et il sombre au fur et à mesure. Est-ce que c'est arrivé à certains journalistes ?
Karim est un personnage de fiction, mais qui incarne quelque chose de vrai. Ce trouble de dissociation entre le réel et le virtuel qu'ont vécu les journalistes et les story editors, il est absolument réel. Il a été relaté et ça, on avait envie de le raconter.
Tous ces jeunes journalistes qui avaient passé des heures et des heures à faire les castings et qui ensuite se retrouvaient à regarder leur candidat huit heures par jour, ne voulaient plus rentrer chez eux. Ils avaient l'impression de vivre avec les lofteurs alors qu'il s'agissait d'une relation à sens unique.
Les lofteurs, ils vivaient entre eux, mais les story-éditeurs qui les entendaient, qui les écoutaient et qui les regardaient toute la journée, à un moment, ils ont eu l'impression de les connaître par cœur, d'être leurs meilleurs amis, leurs anges gardiens même si c'était faux.
Est-ce que c'était important pour vous de dénoncer aussi les dérives de la téléréalité mais aussi des gens qui la produisent ?
Il ne s'agit pas pour nous de faire le procès de la téléréalité, parce que ce qu'on raconte, c'est sa naissance. On n'en est pas à raconter les dérives qui ont pu avoir lieu après. Ce n'est vraiment pas l'objet.
En revanche, raconter que ce milieu est un petit panier de crabes, c'est absolument une partie du projet. La télévision, c'est un milieu très dur. Et nous, ça nous intéressait de raconter des rapports humains qui ne sont pas fondés sur la confiance, mais sur des rapports de pouvoir, de chantage.
C'est vrai que la première fois qu'on a découvert que le patron de M6 et le patron de TF1 s'étaient vraiment rencontrés dans la tour TF1 et qu'ils s'étaient serrées la main pour ne pas faire entrer la téléréalité en France pour le bien-être du pays, on s'est dit que c'était lunaire, que c'était complètement fou. Ce sont des gens qui ont beaucoup de pouvoir et on avait très envie de le raconter.