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    Emmanuelle 2024 est-il un remake du film culte des années 70 ?
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Même prénom, mais attention, ce n'est pas le même film ! Ni remake, ni suite, Emmanuelle revient en haut de l'affiche 40 ans après le film de Just Jaeckin, mais pour une proposition de cinéma totalement renouvelée. Explications !

    Emmanuelle revient, mais attention aux malentendus, ce n'est pas le remake du film de 1974 avec Sylvia Kristel. Ce mercredi, Noémie Merlant endosse le prénom iconique, emblématique du cinéma érotique, mais pour une lecture totalement renouvelée.

    Ni remake, ni suite, il s'agit d'une nouvelle adaptation très très libre du roman à l'origine de la saga Emmanuelle d'Emmanuelle Arsan.

    "Oui, le projet est un peu audacieux !", lance à notre micro la réalisatrice et coscénariste (avec Rebecca Zlotowski), Audrey Diwan. Découvrez une partie de notre entretien.

    Elle poursuit : "Il fallait mesurer exactement ce qu'est le nom d'Emmanuelle dans l'inconscient collectif pour savoir à quel point il est dur de déjouer toutes les attentes, ou de les conforter. Il y a ce que chacun projette d'un Emmanuelle fait aujourd'hui et peut-être, pour certains, fait par moi. Il y a le film à l'endroit où je l'ai voulu. C'est très drôle parce que j'ai fait un film et j'ai l'impression qu'on en explore plein."

    Si mon projet avait été de faire l'anti-Emmanuelle de 74, ç'aurait été tellement limité que je n'aurais pas eu envie de faire le film !

    Disons que si mon projet avait été de faire l'anti-Emmanuelle de 74, ç'aurait été tellement limité que je n'aurais pas eu envie de faire le film. S'il s'agissait d'inverser les codes pour affirmer une chose que tout le monde pressent, c'est-à-dire "l'époque et les codes ont changé". Je trouve que c'est un projet de cinéma qui n'a pas assez de souffle pour mériter qu'on passe trois ans de sa vie à le faire...

    En revanche, m'est venu à l'esprit un personnage, une femme qui n'avait plus de plaisir. Et ça m'a fait réfléchir à plusieurs choses, dont la place de l'érotisme dans notre société. Est-ce qu'on peut encore demander au spectateur de s'impliquer, d'imaginer ? Est-ce qu'alors que le spectateur a déjà fait l'expérience de la pornographie, je peux lui dire "je vais restreindre le cadre et te demander d'imaginer le reste" ? Est-ce qu'on peut collaborer ?

    Et ensuite, qu'est-ce que je peux projeter de mon expérience intime qui rendrait ma voix éventuellement intéressante et qui ferait que je serais moins satisfaite de créer, de raconter cette histoire ?

    Vous êtes partie du roman, vous vous êtes inspirée d'une partie du roman. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire par rapport à ça ?

    Pour moi, c'est un exercice libre et je ne vois pas comment je pourrais faire les choses autrement, surtout pour parler de sexualité, de femme, de lâcher prise. Je ne peux pas le faire dans un cadre qui est trop contraint, déjà.

    J'ai lu le livre un peu de manière récréative. Mes producteurs me l'ont tendu. Je n'imaginais pas du tout faire ce film, mais ça m'intéressait, j'avais une curiosité. Je me disais : "tiens, à l'époque où le livre est sorti, comment était-il façonné, de quelles idées est-il fait ?"...

    Le livre était un peu ce que j'attendais dans toutes les idées, tous les clichés d'époque, etc. Il était un peu surprenant aussi parce que c'est une femme qui est le sujet de ce récit, et qu'elle est le sujet de son propre désir. C'est une jeune femme qui cherche à avoir plus de plaisir.

    L'adaptation peut prendre plein de formes

    Mais la véritable inspiration pour moi, c'est aux deux tiers du livre. Il y a une longue discussion entre Emmanuelle et un homme sur ce qu'est l'érotisme. Je me suis dit : "l'adaptation, ça peut prendre plein de formes". L'adaptation, parfois, ça peut être retenir une question, que la question résonne et que cette question donne naissance à une fiction, à un récit.

    C'est comme le germe de quelque des choses qu'on a planté. Et ce n'est que des mois après que j'ai commencé à imaginer cette femme et à me dire : "tiens, j'aimerais me perdre dans un endroit qui raconterait exactement ce que je peux ressentir, de la manière dont on traite la jouissance aujourd'hui".

    On n'arrête pas de nous dire : "il faut jouir, il faut profiter". On nous dit aussi qu'il y a des injonctions qui pèsent sur les corps et notamment sur le corps de la femme, des injonctions de perfection.

    Donc, il y a un rapport à l'autre qui devient un peu paranoïaque. Au lieu de se séduire, au lieu d'essayer de rentrer en connexion, on se regarde avec une forme de défiance.

    Et donc, qu'est-ce que je peux raconter à cet endroit-là ? À quel endroit ces espèces de peurs, qui font comme des corps un peu armures, peuvent être surpassés pour trouver des modes de connexion, de communication et de plaisir qui me conviennent ?"

    Qu'est-ce qu'un film érotique ? Il y a des définitions très différentes dans l'histoire du cinéma.

    Vous vous emparez d'un mythe du cinéma érotique, avec une volonté manifeste de renouveler le genre. Est-ce que vous l'avez approché comme un film érotique ou est-ce qu'une autre étiquette vous correspondrait plus ?

    Je l'ai complètement approché comme un film érotique, mais en me demandant ce qu'était un film érotique. Il y a des définitions très différentes dans l'histoire du cinéma.

    Évidemment, quand on tourne à Hong Kong, on sait qu'on ne va pas échapper à la figure tutélaire de Wong Kar Wai et de In the Mood for Love. Mais pour pour moi, c'est un exemple très intéressant parce qu'il est souvent cité dans les plus grands films érotiques de tous les temps. Or, c'est un film où l'érotisme s'appuie sur le frôlement des corps qui se croisent dans des couloirs.

    Comment ai-je envie de traiter l'érotisme ? Ce que je ne voulais surtout pas faire, c'était de faire l'équivalent d'un film de sportif. C'est-à-dire qu'on attend tous les 20 minutes une scène érotique qui engage la sexualité, les corps de nuit. Je me suis dit : "l'érotisme, c'est comme une matière et je vais le travailler comme cette matière qui va traverser tout le film. J'ai envie d'une atmosphère qui embrasse l'étrangeté de l'univers dans lequel on est".

    On n'est pas tout à fait dans le réel parce que j'ai envie de convoquer l'idée d'un fantasme. Qu'on analyse ce fantasme. Qu'on se dise à quel endroit le fantasme est fabriqué au début et comment il peut devenir vrai. Il y a un érotisme des regards. Il y a un érotisme du verbe."

    *Propos recueillis à Paris le 17 septembre 2024

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