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    "Pourquoi est-ce qu'un cinéaste doit être soumis à tant de pression ?" : rencontre avec Mohammad Rasoulof condamné à la prison en Iran
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    De passage à Paris, le cinéaste Mohammad Rasoulof, condamné à 8 ans de prison en Iran, Prix spécial du jury au Festival de Cannes 2024, avec "Les graines du figuier sauvage", s'est entretenu avec AlloCiné. Son film sort ce mercredi. Rencontre.

    De quoi ça parle ?

    Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices mais décide de s’y conformer. A la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh, tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement...

    Les Graines du figuier sauvage
    Les Graines du figuier sauvage
    Sortie : 18 septembre 2024 | 2h 46min
    De Mohammad Rasoulof
    Avec Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami
    Presse
    4,4
    Spectateurs
    4,2
    Séances (429)

    A l'évocation du nom de Mohammad Rasoulof, on repense à ces images très fortes, vécues au sein même du Grand Théâtre Lumière du Festival de Cannes, en mai dernier. Le cinéaste est là, fier, souriant, marchant d'un pas assuré, sous les applaudissements d'une salle pleine à craquer. Le moment est historique. Condamné à 8 ans de prison, le réalisateur iranien a réussi à fuir son pays pour venir présenter son film en complétion à Cannes, Les Graines du figuier sauvage.

    Le cinéaste vit en exil depuis, en Allemagne. Pour accompagner la sortie de son film en France, ce mercredi 18 septembre, Mohammad Rasoulof a rencontré la presse, et est revenu notamment sur la situation que lui et son équipe endurent, afin de faire vivre leur art, celui de faire du cinéma, envers et contre tout.

    Pour commencer notre entretien, nous l'avons invité à commenter ses images, et nous donner son sentiment au moment de les revoir.

    Mohammad Rasoulof : Je pense qu'il y avait un tel mélange de sentiments très contradictoires. Il s'était passé tellement de choses de façon précipitée. J'étais inquiet pour mon équipe. Ils étaient en Iran sous pression. Je ne peux pas tellement parler de ça.

    C'est très compliqué. Pourquoi est-ce qu'un cinéaste doit être soumis à tant de pression ? Pourquoi est-ce que les histoires font tellement peur à la République islamique ? Pourquoi, en tant que cinéaste, vous devez supporter toute cette confrontation, toute cette adversité. On a fait un film, on n'a rien fait de violent. Nous sommes des artistes. Nous ne voulons rien faire d'autre qu'exercer notre art.

    Il y avait beaucoup de sentiments et d'émotion mêlées, contradictoires. Peut-être que j'évite d'y penser.

    Il y a eu une attitude très violente contre les membres de mon équipe et y repenser m'affecte beaucoup. Ça fait des années que je subis ces pressions-là. Mais je ne voulais pas qu'un film que je tourne crée des problèmes pour les membres de mon équipe. Bien sûr, ils avaient tous conscience d'où ils mettaient les pieds.

    Mais pour autant, la République islamique se considère comme le plus grand pouvoir de la région et malgré tout, elle a tellement peur d'une histoire qu'on raconte. Mais, d'un autre côté, bien sûr, cet accueil d'un spectateur, cette réjouissance mêlée à du chagrin, causée par l'absence de mes collaborateurs, la chaleur du public, il y avait beaucoup de sentiments et d'émotion mêlées, contradictoires. Peut-être que j'évite d'y penser.

    Quelle est la nécessité pour vous de faire du cinéma ? Le cinéma est votre vie...

    L'art et la création, c'est une thérapie pour moi. J'ai beaucoup de questions sur la vie, sur l'existence, sur ce qui m'environne. Mais parce que j'ai toujours vécu dans un système autoritaire, je n'ai jamais pu porter mon regard vers ce qui est de l'ordre existentiel. Je me suis toujours retrouvé à me confronter aux droits les plus élémentaires.

    L'art et la création, c'est une thérapie pour moi.

    Pour moi-même, comme pour nos peuples. Pourquoi est-ce que ces droits-là nous en sommes privés. Pour moi, c'est vraiment une liberté d'expression dans son sens le plus basique aussi. Cc'est le fait de faire des films qui me donne le sentiment de pouvoir revendiquer cette liberté. Pour moi, c'est de l'ordre de la création.

    Qu'est ce qui a donné l'impulsion précisément de votre nouveau film, Les Graines du figuier sauvage ?

    Quand le mouvement Femme Vie Liberté a commencé, j'étais en prison. Je me souviens très bien qu'on était déjà en plein mouvement, qu'un prisonnier politique avait commencé depuis un certain temps déjà une grève de la faim. Il était dans un état très critique et on était tous très inquiets pour lui.

    Ça a commencé aussi à créer des inquiétudes en dehors de la prison puisqu'on craignait les retombées d'un tel événement. Et donc il y a toute une délégation d'unitaires de l'administration judiciaire et pénitentiaire qui sont venus le voir. J'étais dans la pièce quand ils sont arrivés et donc je me suis retiré. Je me suis mis dans un coin.

    À ce moment-là, il y a un membre de cette délégation qui, discrètement, s'est approché de moi, a sorti un stylo de sa poche et me l'a offert. Il a dit qu'il se sentait très honteux de cette situation et qu'à chaque fois qu'il passait à la porte de la prison, en voiture, il se demandait quand il finirait par se pendre devant cette entrée... C'était un homme aux abois. Il m'a dit que tous les jours, ses enfants lui demandent: Qu'est-ce que tu fais en prison. Pourquoi est-ce que vous tuez les gens, les manifestants ? Il subissait l'hostilité de ses propres enfants. Ça, ça a créé en moi le déclic pour raconter l'histoire d'une famille qui connaît une telle rupture entre les générations. Et ça m'a apparu être une histoire intéressante à raconter.

    Avez-vous un lien particulier avec la France, et peut être plus largement avec l'Europe ? Vous êtes vous senti accueilli ?

    Absolument. Lorsque je suis arrivé en Europe, j'ai vraiment eu ce sentiment. Surtout lors de cette projection à Cannes, j'ai ressenti une empathie très forte, avec moi, mais avec ma société, avec toutes les personnes qui se sont engagées dans la fabrication de ce film. Et ça, c'est une chance extraordinaire de pouvoir n'importe où sur la planète créer ce lien humain.

    Que pouvez-vous nous dire sur la suite pour vous ? Allez-vous essayer de réaliser un nouveau film ?

    Je me demande quels moyens trouver dans cette nouvelle géographie où je me trouve à vivre, étendre mes relations humaines. Ca m'intéresse de rencontrer de nouvelles personnes, de nouveaux peuples, et donc essayer d'imaginer des histoires qui puissent établir cette relation nouvelle, qui puissent à la fois être liées à un peuple, mais aussi à la nouvelle géographie qui m'accueille. C'est ce qui me travaille en ce moment.

    Bien sûr, je suis libéré de certaines choses, il y a des problèmes qui ne se posent plus. Mais quand on résout un problème, on en invente un autre.

    Bien sûr, je suis libéré de certaines choses, il y a des problèmes qui ne se posent plus. Mais quand on résout un problème, on en invente un autre. Il faut que je m'y attelle aussi pour trouver de nouvelles solutions.

    Est-ce que ça veut dire que vous pourriez tourner en Europe, peut-être même en France ? Je crois que vous avez un producteur français dans l'équipe du film. Est-ce que ça pourrait vous inspirer ?

    Bien sûr. Mes partenaires du film m'ont tous ouverts les bras, et ont rejoint ce projet, et m'ont aidé de toutes les façons pour m'aider à terminer ce film. Ce qui compte, ce ne sont pas les moyens, le budget. Tout ça, ça se trouve. La question est comment trouver des idées nouvelles, qui puissent mettre en commun ce que je connais, avec ce nouveau lieu qui m'accueille.

    Parmi les cinéastes français, est-ce qu'il y a des cinéastes qui vous inspirent, avec qui vous aimeriez travailler ?

    C'est une question difficile parce que j'ai toujours été soumis à toutes ces restrictions. Donc maintenant m'imaginer que tout est envisageable, c'est vraiment difficile.

    Bien sûr, le cinéma français m'a toujours inspiré. La France est le lieu de naissance du cinéma. Je ne peux pas aujourd'hui ou demain vous donner une réponse, mais peut-être que dans un an, je serai capable de le faire.

    Propos recueillis à Paris le jeudi 12 septembre 2024. Traduction assurée par Massoumeh Lahidji

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