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    Ni chaîne ni maîtres avec Camille Cottin : ce puissant film sur l'esclavage est-il tiré d'une histoire vraie ?
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Co-scénariste de "Boîte noire", Simon Moutaïrou nous parle de sa première réalisation : "Ni chaînes ni maîtres", ambitieux survival au temps de l'esclavage, qui s'inspire en partie d'histoires vraies.

    Ça parle de quoi ?

    1759. Isle de France (actuelle île Maurice). ​Massamba et Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.

    Ni Chaînes Ni Maîtres
    Ni Chaînes Ni Maîtres
    Sortie : 18 septembre 2024 | 1h 38min
    De Simon Moutaïrou
    Avec Ibrahima Mbaye Tchie, Camille Cottin, Anna Thiandoum
    Presse
    3,4
    Spectateurs
    3,8
    Séances (511)

    Une histoire d'esclavage

    Co-scénariste de L'Assaut, Goliath et surtout Boîte noire, Simon Moutaïrou passe à la réalisation avec Ni chaînes ni maîtres. Une histoire de survie qui se déroule sur l'Île Maurice (alors appelée Isle de France) et plonge dans le passé esclavagiste de notre pays. Un sujet peu courant dans la cinématographie hexagonale, et c'est notamment ce manque de visibilité qui l'a motivé : "Totalement !", nous répond-il.

    "Je suis franco-béninois, donc l'esclavage fait vraiment partie de l'histoire du Bénin. Quand j'étais jeune, au Bénin, j'étais devant la porte du Non-Retour, qui est une immense porte face à l'Océan Atlantique et qui commémore la déportation des familles dans la cale du bateau négrier, vers des destinations inconnues où l'horreur les attendait."

    Coadic Guirec / Bestimage
    Simon Moutairou

    "Et, en tant qu'adolescent, c'est une idée qui m'a beaucoup marqué. J'ai découvert, par la suite et grâce à la littérature antillaise, le marronnage : ceux qui brisent leurs chaînes, qui s'enfuient des plantations, qui résistent. Et ça m'a donné une grande fierté quand j'étais ado, le marronnage. En même temps, je suis devenu cinéphile par Spike Lee, le cinéma américain, Denzel Washington et, en tant qu'adolescent, il me manquait des héros français que j'allais trouver chez Denzel ou Wesley Snipes."

    "Je suis rentré dans le cinéma avec ce reste de mes jeunes années, d'un manque de représentation. Et j'ai fait mes armes au sein du cinéma français. Et quand je me suis senti suffisamment mûr pour faire mon premier film, naturellement, le sujet du marronnage est revenu. J'aime bien dire que c'est plus un film sur le marronnage que sur l'esclavage. Il y a évidemment les deux. Mais le sujet du marronnage s'est imposé à moi. Je me suis dit qu'il fallait donner cette image de résilience, de courage. Qu'il fallait ériger une statue à ces héros et héroïnes oubliés de l'Histoire de France."

    Une histoire de genre

    Comme Spike Lee, Simon Moutaïrou ne sacrifie pas la forme au fond. Et c'est ainsi que l'idée de donner à sa première réalisation l'aspect d'un survival, qui s'accorde avec l'idée de fuite inhérente au marronnage, s'est vite imposée dans son esprit : "Vijaya Teelock, l'historienne mauricienne qui m'a aidé, m'a très tôt dit qu'il fallait que je lise les récits de marronnage. Quand les abolitionnistes français veulent mettre l'abolition de l'esclavage au programme de la Révolution, en 1789, ils poussent les esclaves à raconter ce qu'ils ont vécu. Donc il y a des récits dans lesquels certains racontent leur marronnage."

    "Moi je m'attendais à 'Candide' de Voltaire, en termes de type de récit. Un conte philosophique très lent, et en fait c'est The Revenant. C'est-à-dire que quand tu lis ces récits-là, effectivement, c'est échapper aux chiens, échapper aux chasseurs, échapper à une nature hostile, essayer de retrouver ceux qu'on aime, les perdre, leur sauver la vie, les voir mourir... C'est vraiment toute une texture de pur survival. Et moi, j'adore le cinéma de genre. J'ai été très longtemps scénariste de cinéma de genre."

    "J'adore ça et j'aime beaucoup le genre. Je trouve que c'est une métaphore exagérée, intense. Et il se trouve que j'ai une grande, grande passion pour le cinéma de genre. Donc tout s'est aligné pour que je puisse faire un survival. Le cinéma, pour moi, c'est un art populaire. J'y suis d'ailleurs rentré de cette manière-là : comme un jeune membre du public populaire. Et je trouve que la capacité du cinéma à marquer la rétine, à frapper les cœurs, à éveiller les consciences, passe par le fait d'assumer une certaine puissance un peu décomplexée."

    La capacité du cinéma à marquer la rétine, à frapper les cœurs, à éveiller les consciences, passe par le fait d'assumer une certaine puissance un peu décomplexée

    "Avec mon chef opérateur, Antoine Sanier, qui a été un collaborateur incroyable, nous avons co-créé le style de ce film. On s'est dit : 'Soyons hyperboliques, soyons hallucinés, soyons intenses.' Faire en sorte que le film fasse un effet physique au spectateur. Ce sont les films que j'aime, ceux qui te collent au siège, qui t'impactent physiquement. L'objectif, c'était vraiment d'y aller à fond. J'aime quand le cinéma, par le fond, essaye de transcender. Mon but ici, c'était de passer de la colère à la fierté. Donc il y a une sorte de catharsis, une envie de tenter une sorte d'élévation."

    Simon Moutaïrou se sent-il alors plus proche d'un Django Unchained, ou de l'approche, plus frontale, de 12 Years a Slave ? "Je me sens quand même plus proche de 12 Years a Slave. Et d'Underground Railroad, la série de Barry Jenkins. Je suis évidemment très fan de Tarantino, mais il y a un côté pop chez lui. Et je ne suis pas aussi âpre que ce chef-d'œuvre absolu qu'est 12 Years a Slave. Mais, quand même, je suis dans une forme de réalisme. Mon histoire est quand même réaliste, là où je pense que Tarantino, son histoire - et j'adore Django pourtant - est totalement pop."

    12 Years a Slave
    12 Years a Slave
    Sortie : 22 janvier 2014 | 2h 13min
    De Steve McQueen (II)
    Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch
    Presse
    4,2
    Spectateurs
    4,3
    Voir sur Universciné

    "J'avais quand même une sorte de pression liée au sujet : je me suis retrouvé avec beaucoup d'historiens et je sentais qu'il fallait que je reste dans une forme de réalisme. Au niveau des faits, pas de la forme. Donc oui, en janvier 2023, j'ai regardé la fameuse scène terrible de 12 Years a Slave, où Lupita Nyong'o est fouettée par Michael Fassbender et Chiwetel Ejiofor, avec mon chef opérateur et mon chef décorateur. Et c'était une énorme erreur (rires) Quand tu fais un film, tu essaies de te dire que tu y vas pour marquer les esprits. Mais en voyant ça, tu te dis que le niveau est trop haut."

    "Heureusement, quand j'ai compris que le monde invisible de mes personnages, leur culture, la langue Wolof allaient représenter une part très importante de mon film, ça m'a libéré. Parce que je me suis dit que je n'étais pas sur le terrain des Américains. J'ai ma propre voix qui est celle de l'âme sénégalaise, de l'âme Wolof. Et là, après la petite pression d'avoir regardé 12 Years a Slave, j'étais mieux."

    Une histoire vraie ?

    Cette idée de faire de Ni chaînes ni maîtres un film réaliste est-elle passée par l'adaptation d'une histoire vraie ? Ou le souci de raconter un récit vraisemblable ? "Un peu des deux. C'était plus complexe. Je me suis énormément documenté. Beaucoup d'historiens m'ont aidé à Maurice, au Sénégal, en France. Donc il y a beaucoup d'histoires vraies, mais qui sont mélangées, tressées les unes avec les autres, et qui font les personnages. J'ai plein de bouts d'histoires, et la littérature m'a beaucoup inspiré aussi. J'ai mélangé avec ce goût de vraisemblance."

    "En revanche, le personnage de Camille Cottin est 100% réel. J'avais écrit un chasseur d'esclaves dans ma première version du scénario, et en lisant le livre d'un prêtre historien mauritien qui s'appelle Amédée Magapen, je vois dans le chapitre 3 que le plus grand chasseur de l'époque, c'était une femme qui chassait avec ses deux fils. Et qui était tellement performante qu'elle était n'était plus payée par les planteurs, mais par le ministre des Finances de Louis XV."

    "Ça fait vingt ans que je suis scénariste, et jamais je n'avais vu un tel personnage surgir. Et je n'aurais pas osé l'inventer, car je me serais dit que c'était trop fou. Alors qu'en fait, Marie-Christine Bulle, Périgourdine, a existé. Quand un personnage de fiction percute l'imaginaire comme ça, c'est incroyable. Mais tout ce que je dis dans le film est vrai."

    C'est le plus grand plaisir du métier de scénariste et c'est sa noblesse : se documenter un maximum

    "Le film m'a demandé deux ans de recherches, même si j'ai continué après, jusqu'au tournage. Donc trois ans en tout. J'adore, j'idolâtre les scénaristes américains comme Oliver Stone, et tous les gens qui se documentent. Et on le voit de plus en plus en France avec la montée en puissance du scénariste, le fait qu'ils commencent à avoir un peu plus de pouvoir, que les rapports de force changent. Leur statut de personne qui se documente, l'importance de la documentation grandissent aussi, et c'est bien. C'est le plus grand plaisir du métier de scénariste et c'est sa noblesse : se documenter un maximum."

    Extrêmement bien documenté et mis en scène avec un souci de la forme, Ni chaînes ni maîtres sort dans nos salles ce mercredi 18 septembre. Et ce film porté par Ibrahima Mbaye Tchie et Anna Thiandoum, aux côtés de Camille Cottin, Benoît Magimel, Félix Lefebvre et Vassili Schneider (Le Comte de Monte-Cristo), confirme qu'il va falloir désormais compter sur Simon Moutaïrou en tant que réalisateur.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 10 septembre 2024

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