AlloCiné : Comment vous est venue l’idée de concevoir ce comic-book, "TECH", et en parallèle cet album de musique envoûtant, "Delicate Machine" ?
Vincenzo Natali : Je travaille sur ce comic-book depuis cinq ans. C’était un désir secret enfoui moi de concevoir une telle oeuvre. Tout gosse, j’étais fan de bandes-dessinées. C’est d’ailleurs à cause de cet amour pour les BD que je suis devenu dessinateur de story-boards pour le cinéma sur des films comme Boulevard (1994), Johnny Mnemonic (1995) ou encore The Boys Club (1996).
J’ai toujours adoré dessiner et je me suis replongé dans ma passion quand Apple a sorti le Imac pro. C’était la premiere tablette à dessiner et faire des tracés directement sur ordinateur. J’ai pris conscience que je pouvais créer un comic-book entièrement par moi-même. J’ai pu tout faire : le dessin, la couleur, l’encre, le montage... Cela m’a pris beaucoup moins de temps que si j’avais conçu ce comic avec du papier et des crayons. C’était tout de même 200 pages de BD et donc un sacré pavé à produire !
Ce qui est amusant c’est que le comic est né de la technologie et que le thème de cette histoire est justement un débat sur la technologie. Une technologie extraterrestre qui infiltre nos vies. Je suis à la fois fasciné par ce que peut nous apporter la technologie et en même temps j’en ai peur. C’est pendant la pandémie COVID que j’ai eu le temps libre pour avancer sur ce projet. Quant à l’album, il est né pendant la grève des acteurs de 2023. Grâce au programme Garage Band, j’ai pu également composer tout l’album par moi-même sur mon ordinateur. Ensuite, j’ai pu en faire la distribution grâce à toutes les plateformes de streaming à ma disposition.
Est-ce que vous avez conçu la musique en vous inspirant du comic et inversement ?
C’est vrai que les deux se marient parfaitement mais ce n’est pas quelque chose que j’ai cherché à faire. Les sortir en même temps est une coïncidence heureuse car on peut très bien lire le comic tout en écoutant ma musique.
TECH était au départ une idée pour le cinéma
Quels sont les thèmes abordés dans "TECH" ?
TECH est vraiment un débat sur la technologie, avec ses bienfaits et ses limites. Est-ce que nous allons être dirigés un jour ou l’autre par l’intelligence artificielle ? Allez savoir… TECH était au départ une idée pour le cinéma mais je me suis rendu vitre compte que le film coûterait trop cher. Je ne suis pas un cinéaste suffisamment connu pour que l’on me donne des sommes d’argent énormes. Alors, pour parvenir à mes fins, j’ai décidé de faire ce comic au lieu d’un scénario qui aurait fini sur une étagère. Et puis TECH n’est pas une franchise, et de nos jours les studios sont surtout focalisés sur les IP existantes et les franchises…
Cette histoire est une étude de la nature humaine en relation avec cette technologie extraterrestre. C’est une invasion de notre société par cette technologie. L’intelligence artificielle est en quelque sorte extraterrestre car même les ingénieurs qui l’ont conçue ne savent pas totalement comment elle fonctionne. C’est comme si nous avions déjà perdu le contrôle de notre création. C’est effrayant. Pour moi, l’invasion extraterrestre a commencé avec l’apparition de l'intelligence artificielle et cela risque d’éradiquer notre civilisation.
C’est comme si nous avions déjà perdu le contrôle de notre création
Revenons en arrière sur votre belle carrière. Tout d’abord, parlez-nous de "Cube", quels souvenirs en gardez-vous ?
C’est amusant que vous me parliez de Cube car je suis en ce moment au Festival Fantastique de Montréal, Fantasia, justement pour y montrer une version restaurée en 4K. J’ai passé les six derniers mois dans l’univers fascinant du film. J’ai dû retravailler toutes les images et refaire un mixage du son et de la bande musicale. C’est un petit film que j’ai fait avec des amis. C’est amusant de voir comment nous avons tous tellement vieilli. Mais c’est vrai que le film est sorti en 1997, cela fait presque 27 ans. J’ai beaucoup d’affection pour ce premier "bébé" cinématographique. C’est amusant de voir que le public continue de le redécouvrir après toutes ces années.
Je n’ai vraiment aucune idée de comment écrire un nouveau Cube
Est-ce que cela peut vous donner l’envie de faire un nouveau "Cube" ?
En fait, mon soucis c’est que je n’ai vraiment aucune idée de comment écrire un nouveau Cube ! C’est pour cela que je n’ai pas fait partie des autres films qui ont suivi. L’idée de Cube était parfaite et pour moi ce film se suffit à lui-même. Mais j’espère que quelqu’un trouvera une nouvelle idée pour poursuivre l’univers. Par contre, vu que je vais récupérer les droits du films dans deux ans, je vais tenter de faire un jeu vidéo de Cube. Je suis un peu gamer et je pense que ce serait cool d’en tirer un jeu. Sans doute un jeu avec la technologie VR.
Parlez-nous de "Cypher" : comment êtes-vous tombé sur ce film ?
J’ai toujours fait des films par amour d’un scénario. Pour Cypher, c’était le script d’un ami, Brian King. Il m’avait demandé de lui faire des notes de lecture. Mais je suis vite revenu vers lui pour lui confier mon envie passer à la réalisation de son projet, tellement j’adorais le concept. Et il a accepté de me laisser faire.
Cela m’a fait du bien de faire ce film après Cube, qui avait été une expérience un peu claustrophobique : Cypher se passe déroule un peu partout, dans l’eau, dans les airs, ce fut donc un grand bol d’oxygène en tant que réalisateur. Ce qui est fou c’est que ce film n’est jamais sorti aux Etats-Unis. Les gens de Miramax l’avaient acheté, et pour une raison bizarre, ils avaient décidé de ne pas le sortir. Pourtant dans le reste du monde, il a connu un beau succès.
Que retenez-vous de votre thriller de science-fiction, "Splice" ?
J’adore Splice même si cela m’a pris douze ans pour arriver à le monter et le mettre en scène. C’était vraiment un "projet-passion" et je n’ai jamais lâché. Et au final, j’en suis tellement fier. Plusieurs fois, ce film a été mis à l’arrêt par manque de financement, mais à chaque fois je suis arrivé à lui redonner vie.
C’est sans doute mon expérience cinématographique la plus éprouvante. Ce qui est fabuleux c’est que ce film est sorti sur 2000 écrans aux Etats-Unis : un vrai petit miracle vu le parcours du projet.
Vous êtes un fan de Stephen King et vous avez réalisé "Dans les hautes herbes" en 2019 pour Netflix…
Ce fut ma première et dernière -pour l’instant- adaptation d’un roman. Stephen King a eu beaucoup d’influence toute ma carrière et toute mon enfance. Je fait partie de la première génération de jeunes qui l'ont découvert à l’époque, dans les années 80. Je suis également un fan de son fils, Joe Hill, qui a co-écrit Dans les hautes herbes.
Je me souviens avoir été sous le choc en lisant le script tellement c’est une histoire effrayante. J’ai hésité à le réaliser en raison de cette nature traumatisante mais aussi parce que c’est un film avec une sorte de labyrinthe, comme pour Cube. Mais je ne pouvais pas passer à côté d’un film venant du génie de Stephen King. Netflix a été fantastique en me donnant un budget confortable et en me laissant carte blanche sur toutes les décisions de production. Je poursuis d’ailleurs ma collaboration avec Netflix pour qui j’ai mis en scène quelques épisodes de plusieurs séries.
Quels sont vos projets cinématographiques après la sortie de "TECH" et de votre album?
J’ai plusieurs projets en tant que producteur, comme le Christine de Stephen King qui semble être à l’arrêt pour l’instant chez Blumhouse. Depuis l’année dernière, j’ai écrit un certain nombre de nouveaux scripts. En ce moment, je travaille surtout sur un thriller avec un héros qui a un pistolet avec une intelligence artificielle. Donc je poursuis mon étude sur la technologie et son "mariage" avec notre humanité. Et puis j’ai fait pas mal de séries récemment comme The Stand et Locke & Key.
TECH est fortement inspiré par Neuromancien et la frustration de ne pas avoir pu le mettre en scène…
J’ai aussi tenté aussi d’adapter le roman de William Gibson, Neuromancien qui s’est révélé trop cher à monter. Ce qui est certain c’est que je suis un fan de Gibson et que TECH est une sorte d’hommage à son oeuvre. D’ailleurs, il a eu la gentilesse d’écrire une préface pour TECH. Je lui en suis tellement reconnaissant ! TECH est fortement inspiré par Neuromancien et la frustration de ne pas avoir pu le mettre en scène…
Au final qu’espérez-vous que le public ressente en lisant votre comic-book et en écoutant votre album ?
J’espère qu’ils vont ressentir l’envie de créer quelque chose qui leur est propre : un album, un comic-book, un film… Avec l’accès à la technologie, tout est possible et ce n’est qu’une question de volonté pour se mettre au travail. Contrairement au cinéma, qui peut être une expérience frustrante parce que votre film ne trouve pas de financement, vous pouvez facilement produire un album de musique ou un comic book. Je ne suis ni musicien et ni artiste de BD, et pourtant j’ai donné une réalité à mes rêves. Donc, vous aussi, donnez une réalité à vos rêves. Just do it !
- "TECH" est disponible sur Amazon et les principales plateformes d'édition
- "Delicate Machine" est à l'écoute sur les principales plateformes de streaming (Apple Music, Spotify...)
Propos recueillis par Emmanuel Itier en août 2024