ATTENTION - L'article ci-dessous contient des spoilers car il revient sur le dénouement de "Blink Twice", en salles depuis le 21 août. Veuillez donc passer votre chemin si vous ne l'avez pas encore vu.
Dans sa manière de broder un thriller qui lui permet d'évoquer des sujets de société très actuels, Zoë Kravitz rappelle le cinéma de Jordan Peele avec Blink Twice, sa première réalisation. Et plus précisément un titre du metteur, lui aussi passé derrière la caméra après avoir évolué devant, comme l'actrice vue dans The Batman ou Mad Max Fury Road.
Ce film, c'est Get Out, auquel on pense lorsque Frida (Naomi Ackie) découvre ce qu'il se trame sur l'île paradisiaque de Slater King (Channing Tatum), où le décor idyllique cache les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes par l'entourage masculin du milliardaire. Des actes dont les victimes n'ont aucun souvenir le lendemain matin, grâce au luxueux parfum qui leur a été offert.
Mais la mécanique s'enraye lorsque Frida est persuadée d'être venue avec une amie (Alia Shawkat), contrairement à ce qu'on lui dit et alors qu'il n'y a aucune trace de sa présence, et qu'elle tombe sur les souvenirs de Slater King : des polaroïds qui immortalisent ses méfaits, et sur lesquels l'héroïne se voit... avec les cheveux plus longs et des ongles sur lesquels sont dessinés des lapins rouges.
"Oublier est un cadeau", avait dit Slater peu de temps avant, alors qu'un mystère entoure la cicatrice près de l'oeil gauche de Frida, ou le doigt coupé de Vic (Christian Slater). La jeune femme découvre ainsi que ces deux éléments sont liés, et qu'il ne s'agit pas de son premier séjour sur l'île. Ni des premières agressions dont elle a été victime.
Comment se termine le film ?
Si Jess a été tuée, c'est parce que le serpent qui l'a mordue l'a aidée à retrouver la mémoire, car leur venin fait office d'antidote au parfum. Et c'est lorsqu'elle en ingurgite, aidée par l'une des domestiques du domaine, que Frida se souvient de ce qu'il s'est passé. Alors que le film donnait l'impression qu'elle allait devenir l'ennemie de Sarah (Adria Arjona), elle aide cette dernière à retrouver ses esprits, et font ensuite en sorte que les autres femmes fassent de même, avant de pouvoir quitter l'île. Non sans se venger. Avec un niveau de violence proportionnel à celui qu'elles ont subi.
La plupart des hommes sont ainsi tués ou salement mutilés par leurs invitées (dont certaines meurent également). Mais un seul d'entre eux survit, et pas des moindres : alors que Frida le confronte à ses actes, Slater King rejoue le numéro de la scène d'ouverture, une vidéo dans laquelle il présentait ses excuses pour des actes passés, en promettant qu'il avait changé.
Warner Bros. France
Une manière de boucler la boucle tout en faisant écho au mouvement MeToo et à l'époque actuelle, alors que beaucoup d'accusés passent encore entre les mailles du filet. Avant de renverser la table. Si l'on nous dit que fumer tue, il n'est pas précisé que cela peut également faire perdre la mémoire. En mettant le parfum de Slater King dans sa vapoteuse, précisons-le.
La scène finale renvoie ensuite à celle du début, puisque nous nous retrouvons de nouveau dans un gala de charité donné par King Tech, et auquel assiste Slater. Que son ami, complice et soi-disant thérapeute Rich (Kyle MacLachlan) aperçoit et vient voir, pour découvrir que celui-ci ne le reconnaît pas. Pire (pour lui) : c'est Frida qui est désormais aux commandes de la société, après l'avoir épousé. Et elle fait bien comprendre à son interlocuteur qu'elle a encore ses souvenirs de l'île, elle.
Que faut-il comprendre ?
Que la vengeance est un plat qui se mange froid. Et qui se déguste longuement chez Frida, qui a préféré déposséder Slater King de ses biens plutôt que de le tuer. Ce qui est peut-être pire, en termes d'image, dans ce récit qui tourne autour de la question du pouvoir. En le réduisant ainsi au silence, comme beaucoup de femmes ont pu l'être (dans le long métrage comme en-dehors, et notamment à Hollywood) malgré l'émergence du mouvement MeToo et les progrès que ce dernier a pu faire naître, Zoë Kravitz prend à revers les attentes du spectateur par rapport aux histoires de vengeance et inverse les rapport de force entre hommes et femmes. Sans retenir ses coups.
