L’abus d’alcool est dangereux pour la santé…mais peut, dans certains cas extrêmes, vous sauver la vie ? Ou plutôt vous donner du courage pour survivre, il semblerait, si l’on en croit l’histoire incroyable de Charles Joughin, le chef boulanger du Titanic, qui s’en est sorti indemne du naufrage le plus connu de l’Histoire.
Dans son film légendaire, James Cameron a tenté d’introduire autant d’histoires vraies que possible, même si la principale, celle de Rose et Jack, est une pure fiction. Des années plus tard, on a appris cependant que dans le cimetière d’Halifax au Canada, on pouvait trouver la tombe d’un certain J. Dawson, décédé dans le naufrage : il s’appelait Joseph et il n’était qu’un ouvrier parmi tant d’autres. Cependant, chaque année, des centaines de personnes viennent lui déposer des fleurs, mêlant fiction et réalité.
Mais Charles Joughin, lui, a bien existé. En regardant bien le film, vous avez peut-être remarqué ce boulanger moustachu qui apparaît près de Jack et Rose, alors que le navire est dans sa dernière descente et que les survivants restants tentent de s’accrocher à la rambarde du pont. On le voit boire une dernière gorgée d’alcool avant, inévitablement, de finir lui-aussi dans les eaux glacés de l’océan Atlantique Nord.
Il est joué par Liam Tuohy, mais ce personnage secondaire est en réalité basé sur une personne réelle, Charles Joughin, le chef boulanger du navire dont le récit de survie est l’un des plus remarquables de cette nuit fatidique.
En effet, alors que 1500 âmes hurlantes et paniquées se noyaient et mouraient de froid autour de lui, le boulanger est nonchalamment descendu de la poupe du paquebot en train de couler, avant de pagayer calmement jusqu’à l’aube. Après avoir été repêché par un canot de sauvetage, il était de retour au travail quelques jours plus tard.
Un exploit impossible ?
Voilà un exploit presque physiologiquement impossible. Mais, selon l’enquête britannique sur le Titanic qui a eu lieu à l’époque, c’est parce que l’Anglais de 33 ans a eu la présence d’esprit d’accueillir le plus grand désastre maritime de l’histoire en se soûlant.
La sensation de chaleur d’un verre d’alcool est causée par la vasodilatation, le phénomène de sang chaud affluant à la surface de la peau. Cependant, dans une situation de survie, le fait d’éloigner tout ce sang chaud des organes vitaux signifie surtout que le buveur court un plus grand risque d’hypothermie.
Cependant, l’expert canadien en hypothermie Gordon Giesbrecht estime que dans l’océan Atlantique Nord à -2°C, l’eau était suffisamment froide pour resserrer rapidement les vaisseaux sanguins de Joughin et annuler tout effet de l’alcool. Et finalement, l’effet que l’alcool aurait eu sur lui était plutôt celui de lui donner du courage sous forme liquide.
Ainsi, les actions de Joughin cette nuit-là décrivent un homme insensible au désastre imminent. Immédiatement après avoir ressenti la collision avec un iceberg, le chef boulanger a bondi de sa couchette et a envoyé son équipe pour approvisionner les canots de sauvetage en pain et en biscuits. Il est ensuite retourné dans sa cabine pour prendre un verre avant de revenir aider à charger les canots. Non seulement Joughin a refusé sa propre place sur un bateau, mais lui et quelques autres hommes ont commencé à jeter de force les femmes réticentes sur des sièges vides, leur sauvant probablement la vie.
À 1h30 du matin, alors que le pont supérieur du Titanic était en grande partie vidé des canots de sauvetage, Joughin est retourné dans sa cabine pour prendre un autre verre.
“Il s’est assis sur sa couchette et a continué à boire – conscient mais sans vraiment se soucier de l’eau qui ondulait maintenant à travers la porte de la cabine”, a écrit l’historien Walter Lord dans son livre A Night to Remember. Lord était en contact avec Joughin juste avant la mort du boulanger en 1956.
Il a ensuite commencé à jeter des chaises longues par-dessus bord, dans le but d’offrir aux naufragés des dispositifs de flottaison impromptus, avant de retourner à son garde-manger pour prendre un verre d’eau. Finalement, le boulanger était à l’arrière lorsque le navire s’est brisé en deux. Et pourtant, il ne se souvient pas de la rupture violente et catastrophique : “Il n’y a pas eu de grand choc ou quoi que ce soit”, a-t-il déclaré lors de l’enquête.
Pas de “choc froid” pour le boulanger ?
À 2h20 exactement, il s’est hissé en haut du paquebot en train de couler dans la mer comme un ascenseur avant d’attendre la dernière minute pour entrer dans l’eau. La première étape de l’immersion dans l’eau froide est connue sous le nom de “choc froid”, l’horrible sensation décrite par le second officier du Titanic, Charles Lightoller, comme “si un millier de couteaux étaient enfoncés dans le corps”. Les effets secondaires courants comprennent des halètements et une hyperventilation.
Aujourd’hui encore, le mythe persiste selon lequel le corps humain ne peut résister plus de quelques minutes dans l’océan. En réalité, le “choc froid” se termine au bout de 90 secondes. Même dans les eaux hivernales de l’Atlantique Nord, un adulte de taille moyenne dispose encore de 10 minutes avant de s’engourdir et d’au moins une heure avant que son cœur ne s’arrête.
Quoi qu’il en soit, le choc dû au froid a été une étape à laquelle de nombreuses victimes du Titanic n’ont pas survécu. Dans la panique de ces premières minutes, beaucoup se sont noyés ou ont considérablement accéléré leur perte de température corporelle.
Mais Joughin, qui avait pris soin de boucler sa bouée de sauvetage, est entré dans l’océan sans paniquer : “Je pagayais et je faisais du surplace”, a-t-il déclaré. Selon Stephen Cheung de l’Université Brock, expert canadien en réponses hypothermiques, la consommation d’alcool du boulanger aurait eu l’effet “d’augmenter ou de renforcer son courage”.
“Cela diminuerait également sa sensation de froid, donc il aurait pu être plus intrépide et ne pas avoir aussi froid et donc ne pas être aussi paniqué”, a-t-il écrit dans un e-mail au National Post.
Un exemple involontaire de survie
Le boulanger était ainsi devenu, involontairement, un exemple sur la manière de survivre à un naufrage. Premièrement, il a retardé l’immersion, étant le dernier à être entré dans l’eau cette nuit-là. Deuxièmement – et le plus important – il a réussi à rester calme et à élaborer une stratégie pour s’en sortir.
Il s’agit d’une tragédie que les premiers intervenants voient trop souvent : les sinistrés qui paniquent et meurent alors que leur salut est juste devant eux – comme la victime d’un incendie qui pousse plutôt que de tirer sur une sortie de secours.
Joughin a passé près de deux heures à flotter dans l’obscurité avant de profiter des premiers rayons de soleil de l’aube pour repérer un canot de sauvetage renversé. Il s’est sorti de l’eau et a finalement été sauvé par un canot de sauvetage qui passait par là.
Lorsqu’il a été amené à bord du navire de sauvetage RMS Carpathia, Joughin était plutôt en forme : “J’allais bien, sauf mes pieds, ils étaient enflés”, a-t-il raconté.
Compte tenu des circonstances, Gordon Giesbrecht a déclaré que la seule étape que Charles Joughin avait manqué était celle de mettre plus de vêtements. En effet, des couches supplémentaires, même humides, ralentissent la perte de chaleur corporelle.
Après le désastre, Joughin est ensuite retourné à la pâtisserie navale et a travaillé assez longtemps pour pouvoir fabriquer du pain à bord des navires de troupes de la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’il ait donné peu d’interviews, le soulagement comique du “boulanger ivre” a figuré dans de nombreux récits romancés de la catastrophe, comme dans Titanic.
Mais alors que les chercheurs sont encore obsédés par “le cas Charles Joughin”, derrière tout cela se cache peut-être simplement un homme peu disposé à mourir : “Il est impossible pour les scientifiques de prédire qui sera performant et réagira bien dans des situations extrêmes”, a noté Stephen Cheung. “Certaines personnes abandonnent très vite, d’autres sont tout simplement incapables à tuer.” Ce fût, il semblerait, le cas de ce cher boulanger.
Titanic est à revoir en streaming sur Disney+.
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