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    Le Comte de Monte-Cristo : le film avec Pierre Niney est-il fidèle au roman ? Un spécialiste nous répond
    Laëtitia Forhan
    Laëtitia Forhan
    -Chef de rubrique cinéma
    Fan de cinéma fantastique, de thrillers, et d’animation, elle rejoint la rédaction d’AlloCiné en 2007. Elle navigue depuis entre écriture d'articles, rencontres passionnantes et couvertures de festivals.

    "Le Comte de Monte-Cristo" continue sa belle carrière dans les salles de cinéma. Nous nous sommes entretenus avec Sylvain Ledda, spécialiste d'Alexandre Dumas. Ce dernier nous parle des différences entre le roman et le film avec Pierre Niney.

    Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre De La Patellière et Matthieu Delaporte vient de franchir la barre de 2,5 millions d'entrées dans les salles françaises. Emmené par Pierre Niney, le long métrage adapté de l'œuvre littéraire d'Alexandre Dumas père est d'ailleurs le film français le mieux noté sur AlloCiné.

    Dans ce film de vengeance, le comédien français incarne Edmond Dantès, un jeune marin victime d'un complot. Arrêté le jour de son mariage pour un crime qu’il n’a pas commis, il est envoyé en détention au château d’If. Après quatorze ans, il parvient à s’évader. Devenu immensément riche, il revient sous l’identité du comte de Monte-Cristo pour se venger des trois hommes qui l’ont trahi.

    Même s'il a moins été adapté que "Les Trois Mousquetaires", "Le Comte de Monte-Cristo" a fait l'objet d'une trentaine de transpositions sur petit et grand écran. La toute première adaptation à l'écran remonte à 1908, il s'agit du film américain de Francis Boggs, The Count of Monte Cristo avec Hobart Bosworth dans le rôle-titre.

    Le Comte de Monte-Cristo
    Le Comte de Monte-Cristo
    Sortie : 28 juin 2024 | 2h 58min
    De Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière
    Avec Pierre Niney, Bastien Bouillon, Anaïs Demoustier
    Presse
    3,6
    Spectateurs
    4,5
    Séances (1 197)

    AlloCiné s'est entretenu avec Sylvain Ledda, professeur de littérature française à l'Université de Rouen-Normandie et directeur du laboratoire CÉRÉdI. Spécialiste du romantisme, il a consacré de nombreux travaux et éditions à Musset et à Dumas, ainsi qu'à la vie littéraire du premier dix-neuvième siècle. Il à dirigé un numéro des Cahier de l'Herne consacré à Dumas, co-dirige son Théâtre complet. Il fait paraître à la rentrée une nouvelle édition du "Comte de Monte-Cristo" (GF-Flammarion).

    Folio

    Ce dernier nous apporte son éclairage sur le film produit par Dimitri Rassam, l'oeuvre d'Alexandre Dumas et l'incarnation de Pierre Niney.

    AlloCiné : En quoi la vie d’Alexandre Dumas père a-t-elle influencé son œuvre ?

    Sylvain Ledda : Alexandre Dumas est un des grands auteurs de la génération romantique, puisqu'il est né en 1802, comme Victor Hugo ; il est de la même génération que George Sand (née en 1804) et qu’Alfred de Musset (1810). Il appartient en somme à la génération "pâle et ardente" que décrit Musset dans "La Confession d’un enfant du siècle", et qui a révolutionné le théâtre et la littérature.

    La vie d'Alexandre Dumas est aussi romanesque que son œuvre. Il est le fils d'un haut gradé d'Empire, le général Dumas, qui a eu une carrière glorieuse, mais qui a terminé misérablement. Alexandre Dumas devient orphelin à 4 ans, mais il garde l'image d'un père héroïque, et donc son œuvre est fortement marquée, à la fois par cet héroïsme, et puis par ce sentiment d'être aussi un déclassé, un "quarteron", comme on disait à l'époque.

    L'œuvre de Dumas est fortement influencée par sa vie 

    L'œuvre de Dumas est fortement influencée par sa vie, ne serait-ce que dans la construction des héros masculins, qui ont souvent quelque chose à prouver au monde et à la société. Chez Alexandre Dumas, cette espèce de faille familiale, ou cette blessure première du deuil du père, conditionne beaucoup de la structuration psychique de ses personnages, que ce soit "Antony", le héros du drame de 1831 ; mais je pense aussi évidemment à D'Artagnan ou à Edmond Dantès. Ce sont des personnages qui doivent prouver quelque chose au monde et à eux-mêmes pour exister, comme Alexandre Dumas l'a fait toute sa vie.

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    AlloCiné : Les œuvres d’Alexandre Dumas ont été adaptées à de nombreuses reprises à l'écran, selon vous, qu'est-ce qui fait que ces ouvrages aussi cinématographiques ?

    Sylvain Ledda : Il faut déjà avoir à l'esprit qu'Alexandre Dumas est un homme de théâtre, donc il a une conception visuelle des scènes qu'il écrit. Il a également une vision spectaculaire du roman. Son expérience d'homme de théâtre surdétermine donc une bonne part de sa création romanesque.

    Alexandre Dumas possède aussi le sens du pittoresque, il a l’art de faire entrer le lecteur dans un paysage. Il a le sens de l'épopée. Et donc tout cela confère à ses romans une énergie, une dynamique visuelle et spectaculaire qui favorise l'adaptation cinématographique.

    Il y a un autre élément, qui favorise l'adaptation et qui explique pourquoi les romans de Dumas ont été souvent adaptés, c'est que Dumas est un très grand dialoguiste. "Le Comte de Monte-Cristo" ou "Les Trois Mousquetaires" sont des romans très dialogués. Donc la transposition du dialogue en scénario, et même en dialogue de scénario, est assez "naturelle ", étant donné que Dumas jalonne ses romans de conversations, souvent spirituelles, emportées, dynamiques. Il a aussi une excellente maîtrise du rythme, un sens du souffle, qui permet de réaliser au cinéma des grandes fresques comme c'est le cas des Trois Mousquetaires ou du Comte de Monte Cristo.

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    AlloCiné : Il a en quelque sorte pavé la voie pour les futurs scénaristes et adaptateurs...

    Sylvain Ledda : En effet, d’autant plus qu'il a lui-même adapté beaucoup de ses romans à la scène. Donc le travail de l'adaptation romanesque vers le dialogue théâtral, Dumas l'a déjà fait lui-même.

    Le roman Dumasien est un matériau assez ductile et assez souple qui permet la transposition. Donc oui, d'une certaine manière, il a préparé le travail. Mais ses histoires sont également construites avec une telle énergie et une telle intelligence qu’elles permettent les transformations. La construction en feuilleton permet également de construire des séquences cinématographiques. Qui suivent le découpage des chapitres (d’ailleurs le film reprend le principe du chapitrage).

    AlloCiné : Après "Les Trois Mousquetaires" et "Le Comte de Monte-Cristo", Dimitri Rassam va produire l’adaptation du roman "Vingt Ans après", la suite des Trois Mousquetaires. Quels autres romans d'Alexandre Dumas pourraient donner lieu à de nouveaux films par le trio Dimitri Rassam, Alexandre De La Patellière et Mathieu Delaporte d’après vous ?

    Sylvain Ledda : Je trouve que c'est très bien d'adapter "Vingt ans après", mais il faudrait aussi adapter "Le Vicomte de Bragelonne", qui est le troisième volet du cycle des Mousquetaires. Après il y a de grands romans comme "Joseph Balsamo" qui pourrait donner lieu à une nouvelle adaptation.

    Ce serait intéressant d'avoir le point de vue de ces réalisateurs sur "La Reine Margot".

    J'aimerais beaucoup voir un jour une nouvelle version de "La Reine Margot", qui a déjà été adaptée par Patrice Chéreau. Ce serait intéressant d'avoir le point de vue de ces réalisateurs sur "La Reine Margot" ou sur "La Dame de Monsoreau", qui est un très grand et très beau roman. Ce serait intéressant aussi d'avoir leur point de vue, leur patte sur ces œuvres majeures de Dumas.

    Avez-vous été étonné, en apprenant qu'il y allait avoir de nouvelles adaptations des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo ?

    Non, parce que cela se produit régulièrement. Depuis que le cinéma existe, Alexandre Dumas est constamment adapté. L’un des premiers films hollywoodiens est une adaptation d'Alexandre Dumas. Donc je ne suis pas du tout surpris.

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    À propos de l’adaptation actuellement à l’affiche, ce qui m'a peut-être un peu surpris au départ, c'est le choix de Pierre Niney pour jouer Monte-Cristo. Mais en définitive, c'était un excellent choix, car il est magistral. Pour moi, c'est l'un des meilleurs, sinon le meilleur Monte-Cristo.

    Pierre Niney est le meilleur interprète de Monte-Cristo.

    En tout cas, cela ne m'a pas du tout surpris, car ce sont des romans populaires dans le sens noble du terme, ce qui permet de toucher un très large public en les adaptant au cinéma.

    Justement, j'avais une question sur l'interprétation de Pierre Niney. Qu’en pensez-vous ?

    J’avais beaucoup aimé la série de Josée Dayan, avec les Depardieu père et fils. Quand on lit le roman, on imagine Monte-Cristo comme une figure un peu herculéenne, un surhomme – c’est le mythe du surhomme cher à Dumas.

    Et là, on voit arriver un jeune homme frêle, presque maigre. Donc l’acteur n'a a priori pas le physique de l'emploi. Mais Pierre Niney apporte au roman et à l'adaptation ce que Depardieu n'apportait sans doute pas : une sorte de tension propre au romantisme. Il incarne cette espèce de fébrilité du héros romantique, ce dont j’ai pu un peu discuter avec lui. Il exprime la passion romantique, les tourments intérieurs, la révolte contre le monde, l'injustice. Par moment, il m’a fait penser au Lorenzaccio de Musset. Et son physique fait de lui un véritable héros romantique, byronien. C’est pourquoi il incarne à mes yeux avec une grande justesse le héros du roman de Dumas.

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    Qu'avez-vous pensé du film d’Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, "Le Comte de Monte-Cristo" ?

    J'ai beaucoup aimé le film d’Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte. J'ai beaucoup aimé le film d’Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte. Je trouve qu’ils sont parvenus à apporter un côté un peu sombre au roman, grâce à Pierre Niney, à travers ses masques, à travers ses yeux, son maquillage, et c'est remarquable parce qu'on y croit.

    Et je trouve très juste dans leur choix d'adaptation d'avoir suggéré que Mercedes comprenait d'emblée que Monte-Cristo est Edmond Dantès. Dès le premier regard, elle sait que c'est lui malgré le masque. Donc cela ajoute une tension dramatique tout à fait séduisante intellectuellement, et qui ne figure pas dans le roman.

    Je voulais revenir avec vous sur les principales différences entre ce film et le roman d'Alexandre Dumas. Est-ce qu'il y a des choses qui vous ont particulièrement marqué ?

    Il y a effectivement un certain nombre de différences. Les critiques un peu grincheux les ont soulignées, mais c'est une erreur intellectuelle et esthétique, parce qu’une adaptation, comme son nom l'indique, adapte une autre œuvre et fait des choix. La fidélité n'est pas un critère indispensable. L'idée de fidélité est complètement étrangère à Alexandre Dumas lui-même quand il adapte "Fiesque" de Schiller ou "Hamlet" de Shakespeare. Quand il adapte, il transforme.

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    Donc pour en revenir à Monte-Cristo, il y a certaines adaptations que je trouve très judicieuses, notamment le fait que Noirtier de Villefort, le père de Gérard de Villefort (Laurent Lafitte dans le film), qui est un Bonapartiste, devienne la soeur de Villefort dans le film. Transformer le personnage de père en personnage de sœur, est très intéressant sur le plan mélodramatique, et ça permet de justifier la filiation avec Andrea. D’ailleurs Julien De Saint-Jean, le comédien qui tient le rôle, est absolument remarquable.

    Il y a d'autres différences, il y a des anachronismes. Alors citer Edmond Rostand, oui, pourquoi pas, c'est un peu gratuit, peut-être, mais moi ça ne me choque pas. Et puis le fait qu'il nage le crawl alors que le crawl n'existait pas… Bon, on s'en contrefiche un peu. L'idée c'est de voir quelqu'un qui se débat contre les éléments et ça a quelque chose d'un petit peu dantesque et ça fonctionne. D'ailleurs cette scène du début du film est très inspirée de Delacroix, c'est très inspiré aussi de l'esthétique du "Radeau de la Méduse" de Géricault et ça fonctionne très bien.

    Ce sont des choix d'adaptation différents qui nous plongent dans le romantisme.

    La scène où Monte-Cristo déterre le coffre est également inventée, c'est retravaillé mais c'est du Edgar Allan Poe au milieu d'Alexandre Dumas. Et là encore, ça correspond aux codes du roman gothique des années 1800-1830.

    Ce sont des choix d'adaptation différents de l'œuvre originale, mais qui nous plongent dans le romantisme. Donc, vous voyez, cela a un effet de vérité historique et esthétique beaucoup plus grand qu'on ne le pense finalement.

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    Alexandre Dumas s'est inspiré de l'histoire vraie de François Picot, pour écrire Le Comte de Monte-Cristo mais il a modifié l'époque pour ajouter une intrigue politique. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

    Oui, il a un peu décalé l'époque pour ce que ça se situe durant cette période charnière et un peu trouble que sont les Cent-Jours, période où Napoléon débarque, reprend le pouvoir et puis s'effondre à Waterloo en juin 1815. Donc là, c'est une période de transition que Dumas a choisi de mettre en place dans son roman pour lui donner une couleur politique. Parce que pour Dumas, comme pour ses contemporains, le théâtre et les romans ont une portée politique.

    Le Comte de Monte-Cristo était une accusation d'un système politique.

    Et on peut lire "Monte-Cristo" comme un roman documentaire sur son temps, sur la politique de son temps, sur les clans. Et d'ailleurs, Villefort, Danglars et de Morcef font tous fortune sous la Restauration. Donc c'est une accusation d'un système politique. L'enrichissement des méchants sous un régime politique, dénonce implicitement le régime politique en question. Donc le choix de Dumas est un choix critique, c'est un choix polémique.

    Depuis la sortie du film, les ventes du roman d’Alexandre Dumas s’envolent, l'éditeur a même dû réimprimé des exemplaires. Pensez-vous que ces films peuvent permettre aux plus jeunes de s’intéresser aux romans de l’auteur français ?

    J'en suis d'autant plus persuadé que je vais d’ailleurs mettre "Le Comte de Monte-Cristo" à mon programme de séminaire de recherche, alors qu'on ne met pas souvent Dumas à la fac.

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    Et puis je pense surtout que, comme le film est lui-même un chef-d'œuvre, ça donne envie de revenir à l'œuvre d'origine et à comprendre quel est ce génie de la littérature qui a conçu une œuvre aussi prenante.

    Il y a une emprise du roman, comme il y a une emprise du film.

    On ne voit pas les trois heures passer. Et quand on lit "Monte-Cristo", c’est pareil. Quand j'ai lu le roman adolescent, je l'ai commencé à 9h du soir, je ne suis pas arrêté jusqu'à ce que le sommeil me prenne. Donc il y a une emprise du roman comme il y a une emprise du film et que les lecteurs, vont sans doute découvrir ou redécouvrir en lisant le roman et je m'en réjouis.

    Alors, ils vont peut-être avoir une petite déconvenue, parce qu'ils vont se rendre compte qu'il n'y a pas du tout de relation, à la fin, entre Haydée et le jeune Albert de Morcef. Haydée repart avec Dantès sur le bateau. Dans le film ils ont voulu réparer la blessure, donc ils l'ont traité comme un mélodrame heureux, pourquoi pas, mais la réalité du roman est beaucoup plus sombre et finalement plus déceptive, puisque sa vengeance il l'accomplit, mais il ne l'accomplit pas pleinement… Il se rend compte que sa vengeance a une limite et qu'au-delà on tombe dans le mal. Donc les lecteurs qui ont vu le film seront surpris.

    Le Comte de Monte-Cristo est à voir actuellement au cinéma, et le roman est disponible chez vos libraires. Sylvain Ledda publie une nouvelle édition du "Comte de Monte-Cristo" à la rentrée (GF-Flammarion).

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