En projet depuis plus de vingt-ans, et annoncé officiellement en 2021, le film d'animation Ultraman: Rising sort enfin ce vendredi sur Netflix, après avoir fait un triomphe lors de son avant-première mondiale au Festival du Film d'Animation d'Annecy 2024.
Plongé dans un Japon futuriste, sujet aux attaques de Kaiju, le géant Ultraman essaye tant bien que mal de protéger la population. Sous son masque de fer, un jeune joueur de baseball prometteur et égocentrique, rêve de se libérer de ses responsabilités de super-héros héritées de son père. Et comme si sa double vie n'était déjà pas assez compliquée comme ça, l'arrivée d'un bébé kaiju pourrait bien venir la bouleverser davantage.
Cette épopée familiale vous amène à réfléchir sur le rôle de parent, de héros, sur le deuil et la résilience. Un film bourré d'action, d'humour et d'émotions qui ravira les parents comme les enfants.
À l'occasion d'une séance évènement proposée à Annecy, nous avons eu l'occasion de rencontrer les réalisateurs Shannon Tindle et John Aoshima. Nous évoquons avec eux la genèse du projet et leur amour pour la saga d'origine.
AlloCiné : Ultraman est une franchise qui existe depuis 1966. Elle a déjà été dérivée en de nombreux spin-off. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'en faire un film ?
Shannon Tindle : À dire vrai, à la base, ce n'était même pas censé être un film sur Ultraman. J'ai eu l'idée de ce projet pour la première fois en 2001 et Ultraman n'était qu'une inspiration parce que j'adorais la série étant gamin. D'ailleurs lorsque j'ai quitté Los Angeles, la série était ma seule référence de la licence. C'est à cette période que j'ai commencé à acheter les DVD et à développer l'idée. Ce que je voulais faire, c'était prendre ce personnage culte que j'aimais tant et que peu de gens connaissaient en dehors du Japon, pour le présenter au grand public. Pour ça, je l'ai intégré à une histoire qui concerne aussi bien les enfants que les parents.
John Aoshima : Je connais Shannon depuis longtemps. Quand nous nous sommes rencontrés à l'université, son amour de la culture japonaise nous a vite rapproché. Une fois amis, il a commencé à me parler d'Ultraman. Et comme nous étions colocataires, il m'a montré un croquis de ce qu'il voulait en faire. J'étais très enthousiaste à l'idée qu'il développe ce projet. Parce que je suis né au Japon et que j'ai moi-même grandi avec la franchise Ultraman. Mais en déménageant aux États-Unis, je l'avais complètement oubliée. Alors, quand j'ai constaté tout l'amour et tout l'enthousiasme que Shannon ressentait pour ce héros, ça m'a ramené des années en arrière. Dès qu'il a commencé à travailler en studio, il m'a proposé de le rejoindre.
Il s'agit d'une production américaine mais le film se déroule au Japon. C'était important pour vous de conserver le pays où est née la licence Ultraman comme cadre principal de l'histoire ?
Shannon Tindle: Il a toujours été question de baser le film au Japon, au même titre que l'oeuvre originale. Mais, au fur et à mesure que le projet avançait et que le personnage principal, Ken Sato, évoluait, on a commencé à voir au-delà. John m'a partagé son histoire : celle d'avoir grandi au Japon, puis d'avoir déménagé aux États-Unis. Et face à l'égo et à l'assurance de Ken, il s'est dit : "C'est plutôt un comportement américain. Et si on le faisait immigrer aux États-Unis ?". Ça faisait écho à sa propre expérience. J'ai adoré cette idée.
John Aoshima : J'ai parlé de ma propre adaptation aux États-Unis. Du fait qu'en arrivant, je ne parlais pas la langue et que j'avais l'air différent. Je lui ai raconté que le premier jour d'école, j'avais un bento pour mon déjeuner. Les enfants se sont moqués de moi parce qu'ils ne savaient pas ce que je mangeais. Et pour m'intégrer, j'ai dit à ma mère en rentrant que je voulais juste un sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture, et un sac en papier comme tout le monde pour le lendemain. Shannon a comme "absorbé" ces anecdotes personnelles et les a intégré au personnage de Ken Sato.
Ce n'est pas seulement un film sur un super-héros au sens propre du terme. Il englobe plusieurs catégorie de "super-héros" et notamment les papas. Est-ce que c'est cette approche qui vous a permis d'en faire un film familial ?
Shannon Tindle : Oui, ça a toujours été le cœur de l'histoire. Quand on me demande d'en parler, je dis que c'est un film familial mais avec Ultraman dedans. Et tous les choix que nous avons fait dans l'histoire étaient motivé par une intrigue principale : celle d'un enfant qui aimait et idolâtrait son père en tant qu'Ultraman. Puis, de fil en aiguille, qui développe de l'animosité envers ce même père et envers Ultraman. Il se retrouve forcé de devenir quelqu'un qu'il n'a pas envie d'être. Et ce qui les réunit, c'est ce bébé kaiju qu'ils sont censés combattre. C'est là toute l'origine du projet. Et c'est vraiment une bonne chose parce que je pense que, quand les gens viennent voir le film, ils s'attendent à beaucoup d'action, à un film de super-héros, et bien sûr, c'est ce que nous leur offrons, mais pas que. Les scènes les plus importantes pour nous sont les conversations entre Ken et son père, le manque de sa mère, et ce combat de chaque instant en tant que parent complètement dépassé.
John Aoshima : Oui, c'est ça. C'est un héros réticent qui ne voulait pas de cet héritage mais qui doit prendre la succession de son père. Un homme qui ne voulait pas être père mais qui se voit dans l'obligation de prendre soin d'un bébé. Il est invité à s'engager auprès d'une population et d'un Kaiju innocent. Je pense que cette thématique de l'engagement fait partie de l'esprit Ultraman : il identifie la situation et se met au défi d'assumer cette responsabilité et de se surpasser, de voir toujours plus grand. Et c'est ce concept qui fait la base d'Ultraman.
Le personnage est aussi le héros de son équipe de baseball. C'est votre amour pour ce sport qui vous a poussé à en faire une partie intégrante de l'histoire ?
Shannon Tindle : J'aime le baseball mais je ne suis pas le plus grand fan qui soit, donc j'ai dû m'appuyer sur John et sur notre rédacteur en chef, Brett, qui est un grand fan des Dodgers. Mais aussi sur Tony Fucile, notre directeur de l'animation, déjà présent sur Le Géant de fer et Les Indestructibles 2, qui adore le baseball. Son père jouait en tant que professionnel. Ils ont donc tous veillé à ce que nous ayons les bonnes infos : des mouvements jusqu'aux dimensions du stade.
John Aoshima : Oui, j'ai grandi en jouant au baseball jusqu'à ma première année de lycée, tout ça grâce à mon frère aîné. C'était un grand joueur de la ligue mineure japonaise. Mon frère a eu l'occasion de parler avec Shannon de ce que c'est que d'être un Américain d'origine japonaise qui revient jouer au Japon, et ça c'est répercuté sur le personnage de Ken Sato.
Une scène post-crédit fait mention de la Nébuleuse M78, un élément clé de l'oeuvre originale. Peut-on s'attendre à une suite qui viendrait explorer davantage la mythologie d'Ultraman ?
Shannon Tindle : Notre but premier est que les gens apprécient le film en tant qu'œuvre unique, et je pense que ça peut être le cas de tout le monde. Les fans d'Ultraman comprendront le clin d'oeil à l'oeuvre originale. Et les autres seront curieux. Mais j'ai effectivement assez d'idées pour faire deux autres films, et j'adorerais les réaliser. Donc si le public regarde Ultraman: Rising et qu'il a du succès, j'espère que nous pourrons faire une suite.
John Aoshima : Shannon a partagé certaines de ces idées et je suis très enthousiaste. Nous avons envie de continuer à explorer ces personnages avec lesquels nous travaillons depuis si longtemps. J'ai même des pistes concernant les histoires de certains d'entre eux.
Le film est disponible sur Netflix. Travaillez-vous différemment quand un film sort sur une plateforme de streaming, plutôt qu'au cinéma ?
Shannon Tindle : Non, c'était exactement le même processus de production que pour un film qui sort en salles. En fait, nous faisons un tirage limité en salles. Et même si c'est très beau sur grand écran, c'est aussi bien dans un salon.
John Aoshima : Sur grand écran c'est super, mais seulement parce que nos héros sont des géants et qu'au cinéma, on ressent cette échelle de grandeur. Mais nous travaillons avec des gens extraordinaires de Skywalker Sound qui ont produit un excellent mixage Dolby Atmos. Donc quelque soit la taille de votre écran, vous pourrez apprécier Ultraman: Rising.
Propos recueillis par Manon Maroufi le 11 juin 2024 à l'Hôtel Le Pélican dans le cadre du Festival International du Film d'Animation d'Annecy.