C'est LE choc de ce 77e Festival de Cannes. The Substance de Coralie Fargeat emmené par Demi Moore, Margaret Qualley et Dennis Quaid. Un film fou, qui n'a laissé personne indifférent, et qui a donné quelques clés de lecture dans le cadre de la conférence de presse organisée au Palais des Festivals en présence de l'équipe du film. Morceaux choisis.
C'est quoi "The Substance" ?
Demi Moore : J'ai vu ce film comme un défi de la meilleure façon possible, parce que je m'intéresse aux projets qui changent les choses, qui me poussent hors de ma zone de confort. Et si quelque chose me fait un peu peur, je sais généralement qu'il y a une opportunité là-dedans, qui, de l'autre côté, fera de moi une meilleure personne et, espérons-le, une meilleure actrice. Je pense que cela a vraiment touché de nombreux thèmes auxquels nous sommes tous confrontés. Nous recherchons tous un certain sentiment de validation, d’appartenance. En le traitant d'une manière qui pousse à l'extrême, Coralie vous permet vraiment d'y entrer d'une manière totalement unique.
Coralie Fargeat (réalisatrice) : Le film est né quand je me suis vraiment mise à réfléchir sur la violence de ce que j'ai ressenti en tant que femme au-delà de la quarantaine et ce sentiment de disparaître et de ne plus avoir ma place dans la société. On ne me regardera pas, je ne compterai plus pour personne, c'est terminé. Et quand vous y réfléchissez, vous vous dites : d'accord, qu'est-ce qui m'amène à penser comme ça ? Je suis une personne instruite, je suis féministe, et pourtant toutes ces idées ont trouvé le moyen de pénétrer mon cerveau de manière si forte. Et je pense qu’à tout âge, en fait, nous sommes en quelque sorte amenées à penser que nous ne sommes pas à notre place. Quand vous êtes plus jeune, vous avez l'impression que vous êtes peut-être trop gros, que vos fesses ne sont pas comme il faut, ou que vos seins ne sont pas assez gros. Et puis, quand vous vieillissez, vous avez des rides...Il y a toujours quelque chose qui est commenté à propos de votre corps. Notre corps, en tant que femme, est tout sauf naturel dans l’espace public.
Demi Moore enfin à Cannes
Demi Moore : C'est la première fois que je présente un film. Quand je suis venue en 1997 (pour Le Cinquième Elément, NDLR), ça a été une expérience très impressionnante et inspirante. Mais j’étais vraiment là en tant qu’invitée. C'est donc une expérience très différente. Et je suis vraiment touchée par l'accueil et par l'opportunité d'avoir ce film incroyable et la réception d'hier soir. L’amour du cinéma, c'est une expérience très encourageante à vivre.
Dennis Quaid : J’étais tellement heureux d’être ici pour voir le début d’un incroyable troisième acte pour Demi. Elle est incroyable. Quelle carrière. C'est inspirant. Mais j'ai aussi pu assister en même temps à la naissance d'une véritable auteure. Coralie est parmi les plus grands. Vraiment. Et je lui ai dit hier soir qu'elle était la rencontre entre Stanley Kubrick et Sam Peckinpah. Avec son propre style et bien d’autres films à venir. Ce fut une expérience joyeuse. Et le public et l'accueil ont été si encourageants et si sincères. J'ai été très touché.
Le rapport au corps
Coralie Fargeat (réalisatrice) : J'espère que le film n'est pas une exploitation du corps. Mon intention était vraiment de souligner que notre corps, en tant que femme, définit vraiment en grande partie la façon dont nous sommes perçue dans la société. Et le type de violence que nous pouvons nous infliger reflète en quelque sorte la violence qui, je pense, nous entoure à chaque étape de la société. C’était donc une façon métaphorique de montrer cela d’une manière un peu extrême. Parce que je pense que cette violence est très extrême. Et qu'elle l’est toujours.
Demi Moore : C'était une expérience très brute qui exigeait vraiment une profondeur de vulnérabilité et que j'accepte de m'exposer émotionnellement et physiquement. Cela m’a définitivement poussée hors de ma zone de confort. Ce qui a été vraiment fascinant, c'est qu'à travers le processus du film, je m'accepte mieux telle que je suis. C'est le cadeau que m'a fait ce film. Nous étions très focalisés sur nos corps pendant le tournage. Beaucoup. J'en suis ressortie avec une meilleure acceptation de moi-même.
Coralie Fargeat (réalisatrice) : Nous parlons de haine de soi. Je voulais vraiment aborder cela : ce qui me fait tant me détester à certains moments. Demi évoquait ce qui vient de nous, mais je pense que c'est aussi nourri de l'extérieur, du monde qui nous entoure et de la violence qui entoure toujours la façon dont les femmes sont regardées ou considérées. Leur place dans la société dépend de l'apparence qu'elle ont ou qu'elle n'ont plus ; l'hypersexualisation vous fait sentir que vous avez une place, mais quand elle n'est plus là, alors vous n'avez plus de place. Et je pense que tout cela nous amène à avoir une violence extrême envers nous-mêmes. C'est une violence extérieure, mais c'est aussi une violence que nous nous infligeons nous-mêmes. Je ne connais aucune femme qui ne souffre pas, vous savez, d'un trouble alimentaire ou d'une sorte de chose violente qu'elle inflige à son corps. Et quand on y pense, c'est juste fou.
Hollywood et le jeunisme
Demi Moore : Je ne sais pas si je me suis sentie "annulée" par Hollywood. Ma perception personnelle est la suivante. Indépendamment de ce qu'il se passe en dehors de vous, le vrai problème est de savoir comment vous vous comportez face au problème. Et donc je suppose que mon point de vue est que je ne me suis jamais considérée, ni même la situation, comme une victime. Ce que j'ai aimé dans ce que Coralie a écrit, c'est qu'il s'agit de la perspective masculine de la femme idéalisée à laquelle nous avons adhéré. Et ce qui est si intéressant dans le film, c'est que la version plus récente, plus jeune et meilleure de mon personnage a beau avoir des occasions de changer, elle répète toujours le même schéma. Elle est toujours à la recherche de cette validation externe et, à la fin, elle se retrouve confrontée à un combat contre elle-même. Car c'est là que nous devons vraiment regarder : à l'intérieur, pas à l'extérieur.
Dennis Quaid : Étant le seul homme dans cette histoire, j'étais l'incarnation de tout ce qui vient d'être dit ! (Rires) Dans le passé, surtout pour les femmes, 40 ans était la "date limite" là où les hommes pouvaient continuent d'avancer. Je suis content de voir qu'on aborde un sujet comme celui-là dont les gens ont parfois peur de parler. Toutes ces barrières sont en train de se briser. En grandissant, quand j'étais enfant, ce qui a toujours été célébré c'est la beauté et le côté sexy des femmes. Alors qu'elles ont tellement plus à offrir. Aujourd'hui les femmes racontent et diffusent leurs histoires comme Coralie qui le fait d'une manière... radicale ! (Rires) Et j’adore faire partie de ça. J’ai réalisé que je jouais en quelque sorte l’incarnation de cette version masculine, qui est tout simplement froide.
Coralie Fargeat (réalisatrice) : Mais je tiens à dire que je ne suis pas anti-hommes, je suis anti-connards ! (Rires)
Dennis Quaid : Exactement. Elle ne déteste pas les hommes. Elle déteste juste les connards. Moi aussi, d'ailleurs. Mais les connards sont tellement amusants à jouer... Dans mon cœur, j'ai dédié ce rôle à Ray Liotta, qui était sur le point de le jouer. Il nous a quittés il y a deux ans, quasiment jour pour jour. C'est pourquoi j'aimerais me souvenir de lui. C'était un acteur tellement incroyable. Je lui dédie.
Le retour de #MeToo
Je pense que cela ne s'est jamais arrêté. Ça se poursuit, mais parfois on l'entend plus ou moins. Et parfois on l'entend mais les gens ne veulent plus l'entendre. Et puis cela revient. Pour moi, c'est vraiment le tout début. Nous sommes vraiment le premier petit pas. Et j'espère vraiment que tout ce qui est dit d'une manière ou d'une autre, que ce soit parce que ce sont des femmes qui parlent ou des artistes qui font des films, des acteurs qui interprètent, nous ajoutons des petites pierres pour, espérons-le, faire évoluer les choses d'une manière différente. On parle de trois mille ans de société organisée d'une certaine manière. Ça va être difficile à changer. Et je suis vraiment heureuse si le film jette une petite pierre dans ce mur.