Vingt-trois ans après avoir incarné sous les auspices de Ridley Scott le tyran Commode dans son Gladiator, Joaquin Phoenix enfile cette fois-ci le bicorne d'une figure illustre de notre Histoire, Napoléon.
Les historiens et critiques français ont beau tirer à boulets rouges sur son film et éructer devant les (grandes) libertés prises par le cinéaste sur le personnage et les événements qu'il a choisi de montrer, Scott les balaie d'un revers de la main.
"C'est difficile de faire un film comme celui-ci, parce que c'est un film historique, et vous ne devez pas en faire une leçon d'Histoire", commente Scott.
4h30 de Napoléon : Ridley Scott veut sortir une version longue avec Joaquin Phoenix !Si Napoléon a mené des dizaines de fameuses batailles, comme celles de Iéna, Wagram, Friedland ou la Moskowa (autrement appelée Borodino), il était logiquement impossible pour le réalisateur de trop en montrer dans un long métrage de 2h40, le contraignant à faire des choix drastiques.
Et ceux-ci sont plutôt intelligents sur cet aspect, puisqu'il a choisi de se concentrer sur deux batailles emblématiques. Austerlitz, le 2 décembre 1805, qui représente un sommet de l'art militaire de Napoléon. Et Waterloo, ultime bataille de l'empereur, le 18 juin 1815, qui entraînera avec elle la chute de l'empire.
Formation en carré
Dans les faits, Napoléon aligna sur le champ de bataille de Waterloo 74.000 soldats, opposés à 68.000 fantassins britanniques et du Royaume Uni des Pays-Bas, 12.600 cavaliers, épaulés par le renfort de 50.000 soldats prussiens.
Si Scott a bénéficié d'une enveloppe budgétaire généreuse pour faire son film, l'heure n'est depuis longtemps plus à la débauche de moyens comme pouvait se le permettre Sergeï Boundarchuk sur son Waterloo, capable de convoquer -vraiment- 70.000 hommes prêtés par les Autorités de Moscou pour les manœuvres sur le champ de bataille.
Un résultat absolument incroyable et très impressionnant. Et on ne parle pas de son film fleuve Guerre et paix...
Pour trouver le terrain idéal où se tournera la bataille, l'équipe de Scott est partie sillonner des douzaines de lieux en Grande-Bretagne, et boueux en prime. Pour finalement se poser sur le terrain d'une ferme située dans le Berkshire.
Dans la banlieue de Londres, à Brentford, l'équipe de production a installé une "salle de guerre", avec une représentation en 3D du terrain en question.
Paul Biddiss, le conseiller militaire de Scott, a alors recruté 500 personnes, qu'il a formées dans des baraquements situés à Hounslow (banlieue de Londres). Des bâtiments qui datent d'ailleurs de l'époque napoléonienne.
Au terme de cette première sélection, il en a finalement retenu 300, les meilleurs et les plus aptes selon lui, pour les envoyer sur le lieu de tournage de la bataille. La magie du CGI est passée par là : grâce aux effets spéciaux, les centaines de personnes incarnant les soldats sont devenues des milliers.
Étant donné que les scènes étaient filmées à plusieurs caméras en même temps, jusqu'à 11, il était impossible de simuler l’action ou de la dissimuler en arrière-plan… car il n’y avait tout simplement pas d’arrière-plan.
"Chacun devait connaître les manœuvres, savoir comment charger un mousquet, avancer au pas et aller d’un point A à un point B, comme un soldat de Napoléon", commente Biddiss.
Qui ajoute : "Les guerres napoléoniennes étaient des guerres d’usure. C’était l’hécatombe parmi les soldats. Il fallait qu’ils expriment tous cela à travers leur jeu, comme s’ils s’apprêtaient à trouver la mort en affrontant les tirs des canons, la mitraille et les tirs des mousquets".
Il montrera d'ailleurs aux figurants les différentes manières qu'avaient les soldats britanniques et français de recharger leurs fusils.
Utrinque Paratus : "prêt à tout"
"Quand on tourne avec Ridley Scott, il faut se préparer à toute éventualité. Si on arrive sur le plateau et que Ridley nous dit "Il faut que les figurants se présentent et forment un carré d’infanterie", je peux leur lancer "En position face à la cavalerie !" et ils se positionnent aussitôt en carré, puis adoptent la position requise. Je me sers toujours d’une devise de mon propre régiment : Utrinque Paratus, prêt à tout".
Scott tourne vite, très vite. Si la bataille d'Austerlitz fut mise en boîte en à peine trois jours et demi sur les six prévus, celle de Waterloo demandera cinq jours de tournage. Autant dire que, dans une telle organisation, chacun a plutôt intérêt à savoir précisément ce qu'il doit faire, comment, et à quel moment.
De quoi donner quelques suées à Paul Biddiss justement. "La manœuvre la plus compliquée consistait à former des carrés humains, les baïonnettes pointées vers l’extérieur – une formation d’infanterie que les Britanniques utilisaient pour effrayer les chevaux des Français. J’ai passé des nuits blanches parce que je voulais m’assurer que ces gars faisaient parfaitement ce carré" raconte-t-il.
Le jour dit, la manœuvre a parfaitement été exécutée, à la grande satisfaction de Scott qui lança dans le talkie walkie de Biddiss : "Payez une pinte à ces gars !"