De quoi ça parle ? Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône.
Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.
L'Abbé Pierre : le film est-il bon ? Les spectateurs donnent leur avis
Ils ont joué l'abbé Pierre
Avant Benjamin Lavernhe, deux autres acteurs ont interprété l'abbé Pierre dans deux films de fiction : André Reybaz dans Les Chiffonniers d'Emmaüs de Robert Darène en 1954, et Lambert Wilson dans Hiver 54, l'abbé Pierre de Denis Amar en 1989.
Naissance du projet
Avec les producteurs, Frédéric Tellier réfléchissait à un nouveau film. Ils ont alors évoqué l’abbé Pierre, un sujet pouvant s'inscrire dans le prolongement des précédents longs métrages du réalisateur (L’Affaire SK1, Sauver ou périr et Goliath). Il se rappelle : "Je ne cesse de m’interroger sur le sens du mal, et la force de la vie. Sur le conditionnement de nos vies. Pourquoi lui aura de la chance, et lui non. Pourquoi elle souffrira, et pas elle. La solitude, les injustices, sont-elles inchangeables ? Répare-t-on le mal qui nous frappe en pleine figure, ou le transforme-t-on ? Spontanément, des points « m'intéressent » chez l’abbé, au-delà évidemment de l’icône qu’il représente, à commencer par son côté révolutionnaire."
"Et puis aussi des souvenirs d’enfance ont ressurgi chez moi : l’émotion avec laquelle un membre de ma famille m’avait raconté qu’il avait assisté à une conférence de l’abbé, par exemple. Mais tout ça ne suffit pas à faire un film. Alors avant d’écrire, je commence par lire tout ce que je trouve – livres, articles… - sur l’abbé."
Le choix Benjamin Lavernhe
Frédéric Tellier retrouve Benjamin Lavernhe après L’Affaire SK1, centré sur la traque du tueur en série Guy Georges. Pour jouer l’abbé Pierre, le cinéaste cherchait un acteur capable de créer du mimétisme tout en construisant une composition : "Et capable de jouer ces nombreux dialogues très en longueur car j’adore perdre les acteurs dans le vertige du texte. Je voulais aussi un acteur qui fasse tous les âges, donc plutôt quelqu’un de jeune qu’on allait ensuite vieillir à l’image. Enfin un acteur qui ne soit pas une star pour qu’il ne vampirise pas le personnage."
"On a donc organisé plusieurs sessions de castings avec différents comédiens, dont Benjamin. On leur a fait jouer les discours de l’hiver 54 et du Palais des Congrès. Et d’emblée, j’ai été impressionné par la qualité immédiate et la justesse que proposait Benjamin et je percevais surtout à travers son énergie combien il avait envie du rôle. Et puis il le cachait, mais je voyais son trac, et j’aime cette preuve d’humilité. À partir de là, il a fallu jongler avec son emploi du temps à la Comédie-Française mais je suis tellement heureux qu’on y soit parvenu."
L'Abbé Pierre : tout est vrai dans le film avec Benjamin Lavernhe ?
Trouver l'angle
Trouver la colonne vertébrale du film a mis beaucoup de temps, au point d’inquiéter les producteurs à qui Frédéric Tellier explique n'avoir rien eu de concret à faire lire pendant presque un an. Il confie : "Car tout ce que je lisais relevait peu ou prou uniquement de l'hagiographie, voire de légendes écrites par l’abbé lui- même ou ses proches. Moi ce qui m’intéresse, ce qui intéresse les spectateurs je crois, c’est comment un être humain a pu accomplir tout ce que l’abbé a accompli ? Qu’est-ce qu’il s’est passé en lui ? Où est-ce qu’il a dérapé ? Est-ce qu’il s’est senti seul ? A-t-il eu peur ? A-t-il douté ? À quel moment s’est-il cassé la figure? Comment l’a-t-il vécu ? S’en est-il remis ? Je ne trouvais nulle part les réponses à ces questions."
La rencontre avec Laurent Desmard (secrétaire particulier de l’abbé pendant 15 ans et président de la Fondation Abbé Pierre), que les producteurs ont présenté au réalisateur, a été décisive : "J’ai passé énormément de temps avec lui. Il m’a raconté des moments, des souvenirs qui ne sont pas dans la « littérature officielle » et qu’il n’avait, je crois, encore confiés à personne. Il m’a ouvert une malle incroyable de souvenirs, d’émotions, de complicités… Il m’a donné à voir et à comprendre l’abbé Pierre intime, son mode de fonctionnement, ses origines. Et je commence à écrire en m’intéressant au parcours familial, aux échecs, aux doutes de l’abbé."
Retrouvailles avec Emmanuelle Bercot
Le film met aussi en avant le personnage de Lucie Coutaz, qui fut la secrétaire de l’abbé Pierre, de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort. Un rôle que Frédéric Tellier a confié à Emmanuelle Bercot, qu'il retrouve après le thriller Goliath. La comédienne, qui a joué ce personnage sur 40 ans, se souvient : "J’ai pu m’appuyer sur la qualité du travail de prothèses et de maquillage. D’autant plus que les différents essais nécessaires permettent de rentrer peu à peu dans la peau du personnage, de travailler sur la posture, la voix. Mais je ne vais pas mentir, voir son visage vieilli reste quelque chose de vertigineux."
"J’ai dû me regarder une seule fois dans une glace et encore de façon extrêmement fugitive. J’ai aussi travaillé avec une orthophoniste. Mais ce sont vraiment les costumes et le maquillage qui tiennent un rôle essentiel dans ce travail. Et ses cheveux aussi, qui étaient une vraie caractéristique de ce personnage."