Très attendu par le public, Killers of the Flower Moon est enfin sorti au cinéma le 18 octobre. Cette ambitieuse fresque historique de 3h26 réunit Leonardo DiCaprio et Robert De Niro devant la caméra de Martin Scorsese !
Après The Irishman, qui était basé sur l'histoire vraie du gangster Frank Sheeran et du syndicaliste Jimmy Hoffa, le cinéaste new yorkais a-t-il également puisé son inspiration dans le réel pour son nouveau film ?
UNE HISTOIRE VRAIE INJUSTEMENT OUBLIÉE
Martin Scorsese et son co-scénariste, Eric Roth, ont adapté le livre-enquête de David Grann, Killers of the Flower Moon (La Note américaine en VF), publié en 2017. Écrivain et journaliste d’investigation réputé, l'auteur met en lumière des histoires oubliées avec une grande acuité et un regard acéré, se basant sur des recherches fouillées et très approfondies.
Au cœur du livre de l'écrivain se trouve la nation Osage, un peuple amérindien qui a dû quitter ses terres originelles situées dans les vallées de l’Ohio et du Mississippi. Ils ont ensuite migré vers les États du Kansas et du Missouri jusqu’à finalement s’installer sur une terre dite indienne encore plus à l’Ouest, en Oklahoma.
Comme l'explique Emmanuel Tellier dans les colonnes de Marianne, les Osages, déjà déplacés de force entre 1818 et 1825, ont vu leur population diminuer de moitié durant la première très longue étape de leur exode vers le Kansas. Pour l'auteur, il s'agit d'une "tragédie presque 'ordinaire', en ce siècle sans pitié pour les perdants de la conquête de l’Ouest : épidémies, malnutrition, parfois même famines."
Après cette migration forcée, l’administration de Washington a de nouveau demandé au peuple Osage de s’exiler pour "aller s’établir cette fois sur des plaines situées au nord de la petite ville de Tulsa, en Oklahoma." Les Osages n'étaient alors plus que 3000 au sein de la tribu. Ils ont décidé d'accepter la demande du gouvernement, non sans poser une condition non négociable : devenir les propriétaires inaliénables de ces terres.
La nation Osage a dû s'acquitter "d’une somme certes importante pour l’époque – 300 000 dollars, l’équivalent de 7 millions de dollars en 2023 –, mais qui leur garantirait de ne plus jamais être déplacés. L’accord fut signé en 1872 (puis complété en 1906) et les Osages devinrent propriétaires de 6 000 km2 de terres. La vie sur ce plateau inhospitalier n’aurait rien de facile, mais ici, au moins, personne ne viendrait plus les déloger."
À compter de la fin du XIXème siècle, c’est donc là que vivent la plupart des Osages. En 1894, après la découverte de pétrole sur leur territoire, les Osages deviennent extraordinairement riches car ils conservent leurs droits sur le sol et louent les gisements à des promoteurs.
"Qui, avant 1894 et les premières découvertes dans cette région du providentiel liquide visqueux, aurait pu imaginer que ce recoin ingrat du nord de l’Oklahoma possédait le sous-sol le plus riche en pétrole de toute l’Amérique du Nord ? Jackpot pour les perdants du XIXe siècle", explique Emmanuel Tellier.
En l'espace de 20 ans, la tribu Osage, arrivée en Oklahoma dans le dénuement le plus total, est devenue la population la plus riche par habitant de toute la planète. "Chaque famille Osage étant propriétaire de sa parcelle, il lui suffisait de négocier un contrat avec une société d’extraction pour toucher de généreux droits d’exploitation ainsi qu’une part conséquente des revenus de cette exploitation. Extraordinaire retournement de l’Histoire !"
Des spéculateurs avides se ruent alors sur la région. Ces derniers cherchent à profiter des Osages dans les "villes champignons" qui surgissent un peu partout (où l’activité criminelle est florissante...) et avec l’autorisation explicite du gouvernement américain de l'époque. Un système corrompu et raciste est alors mis en place.
En 1921, "la tribu Osage s’est habituée à toucher entre 20 et 22 millions de dollars annuels en droits d’exploitation et commissions sur le pétrole extrait, l’équivalent de 300 millions de dollars aujourd’hui – une manne que se partagent moins de 10 000 âmes indiennes. 'Voyez et contemplez', écrira un envoyé spécial du journal new-yorkais Outlook, 'les Indiens, au lieu de mourir de faim, jouissent de revenus réguliers qui rendent les banquiers malades de jalousie'", souligne Emmanuel Tellier dans Marianne.
DES MILLIONS DE DOLLARS EN JEU
Les fortunes amérindiennes sont aussi gérées par des tuteurs blancs qui récupèrent des millions de dollars de profits. Fatalement, argent va rimer avec horreur dans les années 1920. Des douzaines d’Osages sont assassinés pendant ce qu’on appelle le "Règne de la terreur." Ces derniers sont tués dans des circonstances mystérieuses. À noter que certains ont été empoisonnés sur de longues périodes.
Le but ? Que les très lucratifs "headrights" (ces droits payés aux Amérindiens pour l’utilisation de leurs terres) puissent revenir en héritage aux profiteurs entrés dans des familles amérindiennes par des mariages d’intérêt.
À partir de 1925, le FBI lance une enquête à la demande du peuple Osage. C’est l’une des premières affaires criminelles que traite le "Bureau". Mais le mal a malheureusement déjà été fait. Cette sordide histoire tombera finalement dans l'oubli avant de ressurgir un siècle plus tard, mise en lumière par Martin Scorsese dans Killers of the Flower Moon.
Par ailleurs, Martin Scorsese a tenu à constituer son casting au coeur de la réserve indienne, en Oklahoma. Pour le rôle principal féminin, il a notamment fait appel à l'actrice issue de la tribu Blackfeet, Lily Gladstone.
Aux côtés de Leonardo DiCaprio et Robert De Niro, une grande partie de la distribution est amérindienne. Environ 40 personnes de la réserve Osage ont été sélectionnés lors du casting. Certains d'entre eux incarnent le rôle de leur grand-père ou de leur arrière-grand-père dans le film.