Ce n'est pas exactement une découverte. Le tournage d'un film, devant et / ou derrière la caméra, n'est pas toujours, loin s'en faut, un long fleuve tranquille. L'expérience peut même carrément virer à l'extrême, comme ce fut le cas pour Apocalypse Now, dont le tournage homérique est raconté dans l'hallucinant making-of Heart of Darkness. Ou encore Fitzcarraldo de Werner Herzog, et ses relations conflictuelles avec son acteur fétiche Klaus Kinski.
Entre expériences douloureuses et épuisantes, difficultés financières et interminable chemin de croix, la réalisation d'un long métrage peut même être la seule et unique expérience de son auteur. Pour le pire ou pour le meilleur.
Certains de ces films uniques sont même devenus de véritables classiques, comme Le Carnaval des âmes, petit chef-d'oeuvre de poésie macabre signé par Herk Harvey, qui a gagné son statut de film culte au fil de ses diffusions tardives sur les chaînes de TV américaines. Introuvable pendant des années, il a longtemps circulé sous les manteaux en copies pirates. Ou encore Les Tueurs de la lune de miel, unique réalisation de Leonard Kastle, qui figurait d'ailleurs dans les films fétiches de François Truffaut et Michelangelo Antonioni.
C'est dans cette veine singulière que se niche Street Trash; délire gore et foutraque, d'un mauvais goût totalement assumé, signé par un aspirant réalisateur de 21 ans, Jim Muro, alors qu'il est encore étudiant à la School of Visual Arts de New York.
Film devenu culte et sorti en 1987, qui a fait le bonheur d'une génération d'amateurs d'horreur potache et déviante qui écumait les rayons des Vidéos Clubs, Street Trash a pu récemment être redécouvert chez nous dans une belle édition Blu-ray éditée chez ESC.
Son pitch ? Dans les tréfonds de sa réserve, le propriétaire d’une petite boutique de spiritueux découvre une caisse d’un alcool frelaté de marque Viper. Les bouteilles trouvent très vite preneurs, achetés par les marginaux et clochards qui peuplent une casse automobile du quartier. Ses effets sont dévastateurs, le breuvage d’origine inconnue décapant de l’intérieur ceux qui l’ingurgitent…
Un petit aperçu des effets ravageurs de ce breuvage ? A voir ci-dessous !
Dans une excellente mini série estivale de six articles revenant sur ces réalisations uniques, Le Monde a justement consacré une entrée à ce film qui était à la base un court métrage de fin d'études de Jim Muro. Epaulé par l'un de ses professeurs, Roy Frumkes, il parvient à trouver un distributeur qui accepte de lâcher 60.000 $, sur les 850.000 $ nécessaires pour boucler le budget.
Entre flics pourris, marginaux vivant dans une décharge et casse de voitures, horde de clochards violant une femme et geyser de matière organique représentant ce qu''il reste des malheureux buveurs de cette bière du démon liquéfiant littéralement les corps, Jim Muro utilise sa steadycam pour filmer un New York glauque à souhait.
Un écho évident aussi aux laissés pour compte de l'Amérique de Reagan. Une ville, dans les années 70-80, alors en proie à une terrible épidémie de drogue, à la criminalité effrayante, au point qu'un manuel de survie était même distribué aux touristes.
Une ville au bord de la faillite aussi. L'argent manquait tellement dans les caisses de la municipalité qu'elle ne pouvait même plus payer les éboueurs pour ramasser les ordures, surtout dans les quartiers du Bronx et de Harlem, devenus des ghettos à ciel ouvert. Les Black Panthers iront d'ailleurs jusqu'à menacer de mort le maire de la ville s'il ne faisait pas nettoyer les rues...
Une grande carrière à venir mais un film renié
Par la suite, Jim Muro, qui deviendra un steadycamer très réputé, fera une grande carrière. Directeur de la photographie sur le western Open Range de Kevin Costner, il a aussi travaillé avec Martin Scorsese, James Cameron (sur Abyss, Terminator 2, Titanic), Michael Mann (Heat), Oliver Stone, Kathryn Bigelow... Mais aussi des films d'action comme Les Chroniques de Riddick, Fast & Furious, X-Men 2... Un sacré tableau de chasse.
A des années lumières de ses débuts, il finira par renier son film. "Jim gagnait le genre d’argent qu’il n’aurait jamais pu gagner en tant que réalisateur, même aujourd’hui. L’idée de réaliser est donc devenue de moins en moins urgente pour lui. En outre, il est devenu Born Again [NDR : chrétien évangélique]. Street Trash était donc quelque chose dont il devait se distancer moralement" commentait Roy Frumkes, auteur en 2006 d'un documentaire sur le film de son ancien élève; artisan réalisateur d'un objet filmique non identifié. Et surtout unique.