Pour le célèbre réalisateur François Truffaut, L'Amour fou était "une des plus belles oeuvres de la Nouvelle Vague." Mis en scène par Jacques Rivette en 1967, ce film majeur ressort le 13 septembre en salles en version restaurée 4K grâce au distributeur Les Films du Losange.
L'histoire nous présente Claire et Sébastien, campés par Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon. Sébastien est metteur en scène de théâtre et Claire comédienne. Elle s’apprête à jouer Hermione dans une mise en scène d’Andromaque de Racine que Sébastien et sa troupe répètent, sous l’œil d’un réalisateur de télévision qui filme leur travail.
Lors d’une répétition où elle peine à dire son texte, elle quitte brusquement le théâtre. Sébastien la remplace, au pied levé, par Marta, son ancienne femme. Tandis qu’au théâtre les répétitions avancent, Claire, seule dans son appartement, perd pied peu à peu.
Véritable OVNI cinématographique, L'Amour fou a été quasiment invisible pendant de nombreuses années. Sorti le 15 janvier 1969 en France, le film n'a pas connu un grand succès, attirant seulement 91 000 spectateurs. D'une durée de 4 heures et 12 minutes, ce drame d'une fiévreuse intensité est un voyage captivant au coeur d'un couple en crise.
Pour incarner Claire et Sébastien, Jacques Rivette a toujours eu en tête le duo Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon. "J’ai commencé à travailler au scénario en pensant à eux dès le début. S’ils n’avaient pas été d’accord sur le principe même du film, je ne crois pas que je l’aurais fait avec d’autres personnes", indique le cinéaste dans les colonnes de Positif d'avril 1969.
"Ce sont des acteurs qui ont un jeu bien plus physique que la plupart. Ils n’ont rien à voir avec les acteurs habituels du cinéma français, qui sont déformés par une certaine tradition, par le Conservatoire et l’analyse rationnelle des personnages", explique le metteur en scène.
DE L'IMPRO À FOISON
Dans L'Amour fou, de nombreuses scènes ont été improvisées par les acteurs principaux, Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon. "Nous avons improvisé un peu partout, mais ce n’étais jamais le même type d’improvisation. Tout dépendait du moment, de la scène. Il y a des moments qui relèvent du reportage pur et simple", confie Jacques Rivette.
À d’autres moments, le cinéaste avait besoin de choses plus précises destinées à accompagner, par exemple, un mouvement que devait faire un des acteurs. Le réalisateur n'a gardé dans le film qu’une petite partie de ce qu’il a tourné, surtout en ce qui concerne le 'reportage'.
"Moi-même, en filmant, je ne savais évidemment pas ce que je garderais au montage. On allait à la pêche. Par contre, les scènes de l’appartement sont plus préméditées, mais il n’y avait pas de règles générales, cela dépendait uniquement de ce que Bulle et JeanPierre pensaient avant chaque scène", précise Jacques Rivette.
Selon le réalisateur, il y avait certaines scènes dans lesquelles les comédiens n’avaient pas envie de se jeter d’un seul coup. Il y avait d’autres séquences où, au contraire, ils préféraient essayer d’improviser complètement, avec juste une petite base, quelques repères.
"Quand l’improvisation ne donnait pas un résultat satisfaisant, ou reprenait la scène en la mettant au point d’ensemble, plus en détails. Il y en a même une ou deux qu’on a fini par écrire complètement sur le tournage et par diriger à l’intonation près, en faisant un certain nombre de prises", souligne le cinéaste.
UNE DURÉE FLEUVE
Conséquence d'un tournage où règne une improvisation débridée, la durée du film : 4 heures et 12 minutes ! L'équipe de L'Amour fou a tourné pendant 5 semaines. "Si on avait ou une semaine de plus, on aurait tourné une semaine de plus ; la matière ne manquait pas", explique Jacques Rivette.
Quand le metteur en scène a commencé le montage, il n'avait aucune idée de ce qu'allait être la longueur du film. En travaillant, Rivette et son équipe ne se posaient jamais la question de ce qu'ils allaient garder.
"Au bout de quatre mois de montage, quand cela commençait à prendre forme, nous avons montré le film à Truffaut ; si François m'avait dit qu'il s'était ennuyé, j'aurais coupé, essayé de raccourcir", admet le réalisateur. Par ailleurs, le metteur en scène du Dernier métro adorait vraiment L'Amour fou. "C'est à mon avis - et je crois que ce sera celui de beaucoup – l’une des cinq ou six plus belles œuvres de la Nouvelle Vague", a-t-il martelé à l'époque.
UN FILM INSPIRANT
Le long-métrage de Jacques Rivette n'a pas seulement inspiré Truffaut, il a aussi beaucoup marqué le légendaire Bernardo Bertolucci, auteur du Conformiste, Le Dernier Tango à Paris ou Novecento. "Un cinéaste pose sa caméra et regarde les acteurs avant tout, sans souci de personnage ou de respect d’un scénario préalable. Je voudrais m’en inspirer. Je voudrais capter la personnalité de mes acteurs, faire du cinéma vérité", a déclaré le réalisateur italien.
Quant au réalisateur, scénariste et critique de cinéma André S. Labarthe, il ne tarissait pas d'éloges sur l'oeuvre de Rivette. "L’Amour fou, c’est un cinéma presque sans antécédents formels. Comme dans tous les grands films, on a l’impression d’assister à la naissance du cinéma, de voir le premier film, et aussi le dernier", a-t-il affirmé.
L'Amour fou est ressorti en salles le 13 septembre.