De quoi ça parle ?
En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.
Un des plus grands procès des années 70 raconté dans un huis clos immersif
Présenté en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes, Le Procès Goldman est le nouveau film de Cédric Kahn (Roberto Succo, Une vie meilleure, La Prière) qui revient sur le second procès de Pierre Goldman, célèbre intellectuel qui a évolué vers le banditisme dans les années 1970.
Condamné en première instance à la réclusion criminelle pour des braquages, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes, le militant et criminel né en 1944 a été sous le feu des projecteurs lors de son deuxième procès, débuté en novembre 1975 et terminé en mai 1976. Clamant son innocence, Pierre Goldman est un esprit insaisissable et irrévérencieux qui donne du fil à retordre à son avocat Georges Kiejman.
Inspiré par le livre Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France de Pierre Goldman qu'il a lu "il y au moins 15 ou 20 ans", le réalisateur nous plonge dans un huis clos immersif, aussi étouffant et passionnant - et tourné en 4/3 -, qui décortique les passions déchaînées des différents protagonistes liés de près ou de loin à l'affaire. "L'esprit du film, c'est de la captation", nous a expliqué Cédric Kahn, rencontré à l'occasion de la Quinzaine des Cinéastes.
"Souvent, je trouvais que les meilleures prises, c'étaient les premières. Puis après, il y avait des choses qui revenaient. Il y a eu les réactions du public qui étaient très spontanées dans les premières prises. Et puis, il y avait aussi une bagarre pour s'imposer, parce que les acteurs étaient dans une sorte d'arène. Et finalement, les acteurs ne jouaient pas pour la caméra, c'est elle qui choppait le direct".
Outre la mise en lumière de l'un des plus grands procès des années 1970, Le Procès Goldman est aussi le théâtre de formidables joutes verbales brillamment écrites et intensément lancées par un casting qui se jette à corps perdu dans l'exercice, notamment Arieh Worthalter (Serre Moi Fort, Bowling Saturne, Le Parfum Vert) dans la peau de Pierre Goldman qui livre une prestation bluffante de cette figure politique provocatrice et énigmatique qui a divisé la France.
Autre performance solide, celle d'Arthur Harari (Onoda - 10 000 nuits dans la jungle), dans les chaussures sensibles du jeune avocat Georges Kiejman. Le reste de la distribution est également excellente, on peut citer Nicolas Briançon (Engrenages), Jeremy Lewin, Chloé Lecerf, Stéphan Guérin-Tillié et Aurélien Chaussade.
Tout l'enjeu du récit se situe dans le cadre du procès et le long-métrage fait fi de fioritures de mise en scène ou de structure narrative complexe. Le réalisateur nous positionne en tant que témoin d'un procès qui marquera une époque et nous fait confiance en tant que spectateur :
"On a l'impression que les gens sont avides de tous ces codes- là, les flashbacks, les musiques, les sons partout, le montage son, tout ça. Et on se rend compte, quand on enlève tout ça, que les gens sont très contents de ne pas être accompagnés, que les gens peuvent s'accompagner tout seul face à un film. C'est juste de la soustraction, mais on est tellement habitué à avoir du matériel gavé d'informations qu'en fait, ça devient presque stylistique de ne pas en avoir autant."
Plus que le portrait d'un homme qui clame son innocence (uniquement pour les faits de meurtres), le film dépeint les complexités d'une figure - sorte de mythe de la gauche intellectuelle - qui dénonce, à travers son statut, qu'il voudrait de martyr, les dérives d'une police-justice des années 1970 que l'on peut facilement mettre en parallèle avec celles de notre société contemporaine.
"C'est intéressant. C'est à la fois triste et joyeux parce qu'on dramatise toujours l'instant. Puis on se rend compte que l'époque présente ressemble à l'époque d'avant, qui ressemble elle-même à l'époque d'avant. Donc, il y a quelque chose qui est intrinsèque à la nature humaine.
Je sens que le temps n'a pas bougé. Finalement, il y avait aussi deux France qui s'affrontaient dans ce procès. La fiction, c'est du réel, mais le réel devient de la fiction."
Le Procès Goldman porte aussi sur le pouvoir du langage et la force des paroles, quand elles sont l'unique attaque ou défense dans une affaire judiciaire qui manque de preuves irréfutables. Le Procès Goldman est un film bavard mais prenant, qui réussit à embarquer le spectateur et à le faire vivre dans cette salle de procès avec rythme et une certaine fougue.
"Quand j'ai fait La Prière, je me suis demandé comment j'allais montrer l'invisible puisqu'on parlait de croyance.. Pour Le Procès Goldman, je me suis demandé comment j'allais rendre hommage aux mots. C'était vraiment le défi de mise en scène, de faire un film sur les mots, sur le pouvoir de la parole. Dans l'inconscient collectif, le cinéma c'est l'image. Mais dans ce cas précis, c'est un film à regarder et surtout à écouter."
Propos recueillis par Mégane Choquet le 18 mai 2023 à Cannes.
Le film Le Procès Goldman est actuellement au cinéma.