Il était une fois la rencontre de Flam, une jeune femme intrépide au caractère enflammé, et de Flack, un garçon empathique et sentimental à la larme (très) facile. Dans Elémentaire, le nouveau long métrage d’animation des studios Pixar, les opposés s’attirent, comme dit le vieil adage…
Derrière cette romance impossible, il y a à la fois une histoire très personnelle, celle du réalisateur Peter Sohn, révélé par le court métrage Passages Nuageux et le long métrage Le Voyage d’Arlo. Mais aussi la production la plus ambitieuse et complexe jamais portée par le studio derrière Buzz, Woody, Nemo, Ratatouille et WALL-E.
A l’occasion de la sortie du film sur les écrans français, quelques semaines après sa projection en clôture du 76e Festival de Cannes, le cinéaste et sa productrice Denise Ream ont répondu aux questions d’AlloCiné. Bienvenue à Element City !
AlloCiné : Elémentaire est une histoire d’éléments, de feu, d’eau… Mais c’est avant tout votre histoire et un film très personnel, n’est-ce pas ?
Peter Sohn (réalisateur) : Tout est né d’un événement et d’une expérience très personnels. Après mon précédent film, j’ai été invité à participer à une cérémonie à New York et j'ai pu y remercier mes parents.
Je suis monté sur scène, je les ai vus et j'ai éclaté en sanglots. Je ne savais pas pourquoi… C’était de les voir parmi tous ces autres gens, toutes ces autres personnes issues de l’immigration dans le cadre de cette cérémonie, et de pouvoir les remercier.
J'ai dit : "Maman, papa, merci beaucoup pour tous les sacrifices que vous avez faits pour mon frère et moi. Nous ne serions pas là sans vous". Et je me souviens que quelqu'un dans la foule a lancé : "Oui, tu as bien raison de remercier tes parents !" C’était un moment très émouvant.
Quand je suis revenu chez Pixar, j'ai raconté cette histoire et on m’a dit : "Peter, c'est ton prochain projet. Il faut en faire un film".
De là est née cette idée de la rencontre du feu et de l’eau, nourrie de mes expériences personnelles car j’ai épousé quelqu’un qui n’était pas coréenne mais italo-américaine, ce qui a provoqué beaucoup de tensions dans ma famille.
L'histoire a commencé à se mettre en place à partir de là, nourrie aussi par les autres artistes Pixar qui ont injecté leurs propres vécus dans notre récit au fur et à mesure que le film grandissait. Pour l’emmener vers des endroits que nous n’avions pas anticipés. Grâce à eux, le film n’a jamais cessé d’être nourri, et nous leur en sommes très reconnaissants.
Denise Ream (productrice) : Oui, beaucoup d'immigrants de première et de deuxième génération ont travaillé sur le film. Pixar réunit des talents du monde entier, et beaucoup se sont passionnés pour cette histoire et ce projet.
Le film fait la clôture du Festival de Cannes. J’imagine que c’est un moment où vous allez beaucoup penser à vos parents ? (NDLR : l’interview a été réalisée la veille de la présentation du film sur la Croisette)
Peter Sohn (réalisateur) : Vous voulez me faire pleurer, c’est ça ? (Rires) Oui, c’est un moment très émouvant pour moi. Mes parents ne sont plus parmi nous, et une grande partie de ce film, c'est ma manière d’essayer de les honorer.
Et plus largement d’honorer tous les parents. Ce qui compte, ce n’est pas qu’on nous honore nous, mais qu’on les honore eux. Donc je veux surtout hurler tout ce que nos parents ont fait pour nous. Et à quel point je suis reconnaissant. Je ne pourrais jamais assez les remercier.
Donc être à Cannes, c’est un grand honneur. Quand vous regardez l’histoire du cinéma français… L’histoire du cinéma tout court même, car il est né ici ! Inscrire notre film dans l’histoire de Cannes, dans l’histoire française, c’est juste… Rien que de voir la Palme au générique de notre film est incroyable.
Denise Ream (productrice) : Oui, c’est très émouvant. Notre film portera cette Palme pour toujours… Nous aimons le cinéma, et le cinéma sur grand écran. Nous avons fait ce film pour le grand écran. Mon grand-père travaillait dans le cinéma et il aurait été tellement fier d'avoir une petite-fille invitée à Cannes avec un film. C'est incroyable.
Au-delà de l’émotion et de ces histoires très personnelles, d’un point de vue technique, "Elémentaire" a été un vrai défi. On parle même du film le plus ambitieux et complexe de Pixar et d’une production étalée sur sept années ?
Denise Ream (productrice) : Chaque plan comporte des effets, car nos personnages reposent sur des effets simulés. C'était donc un énorme défi. La création des personnages en elle-même était difficile et a demandé beaucoup de temps parce que nous ne pouvions pas nous contenter de croquis ou d’illustrations.
Ces personnages sont différents de tout ce que nous avons fait jusque-là parce qu'ils sont constamment en mouvement. Ils doivent évoquer le feu et l'eau, mais ils doivent également porter du jeu et de l’émotion.
Cela a donc demandé de très nombreux mois de recherches. Et pour être honnête, ce n’est qu’à la fin 2022 que nous avons su que nous allions y parvenir. J'étais vraiment nerveuse ! C'était tendu jusqu’au bout. C'était difficile.
Justement, parlons de la création de votre héroïne, Flam. C’est un mélange d’animation 3D et 2D, un style assez nouveau chez Pixar…
Peter Sohn (réalisateur) : Le but était de trouver le bon équilibre entre un feu réaliste et un feu illustré. Aujourd’hui, nous savons générer des flammes virtuelles très facilement. Il suffit presque d’appuyer sur un bouton et vous avez du feu.
Mais quand nous avons ajouté des yeux aux flammes 3D, le personnage était vraiment terrifiant ! A l’inverse, quand nous avons vu les concepts en 2D, ça ne ressemblait pas assez à du feu : c'était un personnage amusant, mais il était plat et il ne semblait pas pouvoir brûler quoi que ce soit. Il a donc fallu trouver un équilibre entre les deux approches.
Et pour définir cet équilibre, il n'y avait pas beaucoup de références. Impossible de nous appuyer sur un autre film, impossible de voir comment d’autres avaient fait. C'était donc passionnant, car nous étions en train de travailler sur quelque chose qui n’avait jamais été fait. Mais en même temps, il n’y avait aucun procédé préexistant, aucune chaîne de production sur laquelle se baser pour fabriquer ces images.
Denise Ream (productrice) : Peter a toujours voulu que le résultat s’inscrive dans la sophistication de la 3D. Cela devait être attrayant mais nous voulions aussi cette texture et ce dynamisme que vous obtenez avec les graphismes 3D. Nous avons travaillé avec un large groupe de recherches en visualisation, beaucoup de gens brillants qui nous ont aidés à y parvenir.
Peter Sohn (réalisateur) : Nous nous sommes appuyés sur une nouvelle technologie qui prenait un objet tridimensionnel en mouvement pour le contrôler après-coup. C’est une technologie insensée qui nous a vraiment aidés à atteindre cet équilibre.
Denise Ream (productrice) : D’ailleurs au départ, nous ne pensions pas pouvoir l’appliquer à tous les personnages, mais uniquement à Flam.
Le personnage de Flack, constitué d’eau, était aussi difficile à générer ?
Denise Ream (productrice) : Le travail sur l'eau était encore plus dur ! Flack est composé de reflets : il reflète et il réfracte. Et dans chaque scène, il a l'air différent parce que vous voyez l'arrière-plan à travers lui. C’était vraiment difficile. D’autant que le personnage a connu un changement de conception tardif. J’ai vraiment "transpiré", si je peux le dire ainsi. Parfois, je n’arrivais pas à croire ce que nous faisions…
Peter Sohn (réalisateur) : C’est intéressant de voir que si vous vous faites un arrêt sur images sur Flam et Flack, ils ont l'air bizarre. Sur une image fixe, on dirait que quelque chose ne va pas. Ce n'est que lorsqu'ils bougent que leur conception est complète.
Nous n'avons jamais eu de personnages comme ça. La plupart des personnages Pixar, comme Buzz par exemple, vous pouvez faire pause et ils sont parfaits. C’est différent avec nos personnages : parce que la flamme bouge et si vous faites une pause, il y a quelque chose qui s'éteint toujours. Ils ne sont beaux qu'en mouvement. Et c'était cela le défi.
Denise Ream (productrice) : Et au final, je dois dire que je ne me lasse pas de regarder les personnages. Et c'est assez inhabituel. D’habitude, une fois le film terminé on veut passer à autre chose. Là, j'ai envie de les voir et les revoir. On a bien bossé ! (Rires)
S’il fallait finalement résumer le cœur de "Elémentaire", ce serait quoi ?
Au cœur de Elémentaire, il y a cette idée de deux personnages très différents, de cultures différentes, qui finissent par se trouver et se rejoindre. Comment y parviennent-ils ? Par la compassion et l’empathie, deux valeurs centrales qui portent notre film. J'espère vraiment qu'un peu d'empathie peut vraiment réunir les gens. Et j'espère que les spectateurs penseront la même chose après avoir vu notre film.
Propos recueillis par Yoann Sardet, au Festival de Cannes, le 26 mai 2023