A quelques heures du très attendu Palmarès cannois, nous avons eu envie de vous parler d'un film présenté en Compétition cette année, très attendu lui aussi en raison de son sujet sulfureux porté par une auteure et réalisatrice dont on connaît le goût pour la transgression, frontale et libre.
Après avoir mis en scène l’histoire d’une fille de 14 ans séduite par un quarantenaire dans 36 Fillette, réduit la différence entre cinéma et pornographie dans Romance, ou dénoncé la manipulation malaisante dans Abus de faiblesse, Catherine Breillat revient au cinéma avec un peu de tout cela dans L'Eté dernier, remake de Queen of Hearts, film danois de May el-Toukhy peu connu chez nous, qui lui a été proposé par Saïd Ben Saïd, producteur notamment de l'autre sulfureux Elle de Paul Verhoeven. Un film qui lui va comme un gant, à elle et à ses obsessions.
Là encore la sexualité féminine est explorée, scrutée, filmée selon le fameux "female gaze" qui déconstruit les préjugés filmiques et les requestionne en proposant un autre manière de voir, axé sur le regard féminin et non plus exclusivement et traditionnellement sur le point de vue masculin : dans la première scène d'amour notamment, la caméra de Breillat est comme collée au visage de son héroïne, nous offrant ce qu'elle voit et ce qu'elle ressent, en tant que sujet de l'acte d'amour et non plus objet de désir.
L'objet de désir ici, c'est lui, cet adolescent de 17 ans ( émouvant Samuel Kircher) juvénile forcément mais aussi séduisant et si troublant.
"J'ai été touché par ce personnage qui n'a eu l'attention de personne jusqu'ici", a t-il expliqué aux journalistes présents lors de la conférence de presse du film. "Tout à coup il y a une main qui lui est donnée, pour la première fois il est considéré comme un adulte. Il compte pour quelqu'un. Et c'est bouleversant pour lui. La main se retire deux jours après et cela engendre une vraie violence pour lui."
La tentation irrépressible de la chute
Avocate spécialisée dans les violences sexuelles faites aux mineures (notez l'ironie et la provocation ici), le personnage campé par la sensuelle Léa Drucker est une quadragénaire responsable, soudain dépassée par l'attirance et désir que le jeune garçon réveille en elle ; jusqu'à la pousser à mettre en danger (inconsciemment saboter ?) une vie de famille et une carrière parfaitement rangées. La fameuse "tentation irrépressible de la chute..." qu'elle refusera dans un second temps, fermement, se mettant à tout prix en "mode survie", comme on le lui a dit.
Attraction, passage à l'acte sans détour, idylle qui se prolonge jusqu'à ce que ça ne soit plus envisageable, conséquences difficiles de cette rupture nécessaire mais brutale : chez Catherine Breillat l'amour n'est pas romanesque, filmé toujours avec une sorte de dureté, d'implacabilité.
Sèches, les scènes de sexe n'en sont pas moins gênantes. A l'image du désir et de la détermination féminine mise en scène ici, sensuelle puis d'un coup cruelle lorsqu'il s'agit de tout nier et de se déresponsabiliser, dans une scène de mensonge que la quadragénaire joue à son mari, une scène d'anthologie. Dès lors le coup de foudre devient orage au sein d'un été en apparence très calme.
" L’adolescent, c’est ma passion", explique Catherine Breillat au parterre de journalistes. "Mon héroïne ici est une femme énigmatique, moins prédatrice que dans le film original, avec un éventail plus large." Une héroïne qui n'est selon elle "ni manipulatrice ni prédatrice, n'anticipant pas ce qu'il va se passer" et dont elle scrute le visage mystérieux, et les yeux, jusqu'au moment où ils se ferment, en plein orgasme.
J'ai moi-même transgressé quelque chose de moi pour aller vers cette femme...
Cette femme mystérieuse, complexe, imprévisible et très sexuée, Léa Drucker l'a abordée avec une nécessaire appréhension: "J’ai utilisé beaucoup de choses que je pouvais ressentir comme appréhension à faire un personnage comme ça, aller vers une image que rationnellement je ne comprenais pas forcément. C’était un plongeon, j'ai tenté de rester en tant que comédienne comme une feuille qui flotte sur l'eau et recevoir des informations.
Il fallait accepter de découvrir des choses au moment du tournage. J’ai cherché la clef pour m’identifier à elle, sans la juger. Je savais qu’en travaillant avec Catherine, j’allais être inspirée par son regard sur le monde qui est singulier. J’ai moi-même transgressé quelque chose de moi pour aller vers cette femme".
Une transgression que la réalisatrice a capté, au plus près de ses acteurs qu'elle filme de près dans leur jeunesse tendre ou leurs rides éloquentes, se laissant fasciner et inspirer sur le moment. "Le côté amoureux s’est presque improvisé au moment du tournage. Le rapport aussi amoureux a été découvert au cadre. J’ai besoin du cadre pour découvrir mes acteurs. Le film se crée alors au moment où il se crée."
Un film qui a divisé la Croisette, et que vous retrouverez dans vos salles le 20 septembre 2023.