Au Festival de Cannes, le drame est roi. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir à quel point il est représenté dans la Compétition. Ou la manière dont les rares comédies sont reçues et voient leur présence sur la Croisette remises en question pour avoir eu l'outrecuidance de vouloir dérider les spectateurs alors qu'elles nous apportent, cette année encore, de bonnes bouffées d'air de de beaux éclats de rire (oui, c'est de toi qu'on parle Le Livre des solutions).
Et le cinéma de genre alors ? Longtemps dévolu à la seule Séance de Minuit, il met de plus en plus le pied dans la porte des différentes sections, où il s'invite régulièrement, en suscitant un réel enthousiasme. Les destins de L'Armée des morts, Grave et Dernier train pour Busan ont par exemple débuté à Cannes, Titane a remporté la Palme d'Or, et quatre pépites nous ont charmés cette année.
Le Règne animal (Un Certain Regard)
De l'homme à la bête, il n'est parfois qu'une question de mutation. C'est le sujet du film de Thomas Cailley, Le Règne animal. Neuf ans après Les Combattants, le réalisateur cosigne - avec la scénariste Pauline Munier - cette oeuvre à la croisée du drame et de la science-fiction dans laquelle un étrange virus transforme les êtres humains en animaux.
L'idée est étrange, ambitieuse et elle tient toutes ses promesses à l'écran. Ce long métrage suit l'histoire d'un père (Romain Duris) qui, accompagné de son fils (Paul Kircher) part à la recherche de sa femme qui a disparu. Thomas Cailley met au point un vrai spectacle de cinéma, se concentrant autant sur les liens intimes qui unissent les deux héros que sur la splendeur des montres.
Le Règne animal est un très grand film fantastique français qui, à sa sortie - attendue pour le 4 octobre prochain -, devrait en étonner plus d'un. Le travail sur les effets spéciaux, davantage pratiques que numériques, est impressionnant. Sans aucun doute, l'une des plus belles surprises de ce 76ème Festival.
Vincent doit mourir (Semaine de la Critique)
Voilà un film complètement barré qui fait un bien fou. Vincent doit mourir met en scène Karim Leklou - impeccable - dans la peau du malheureusement nommé Vincent, qui devient, du jour au lendemain, la cible privilégiée du reste de la population. Ce Monsieur Tout-le-monde est agressé par des gens sans raison apparente qui essaient de le tuer. Il tente de poursuivre une vie normale mais lorsque le phénomène s’amplifie, il doit fuir et changer totalement de mode de vie…
Et dès le générique très stylisé, on sait que l'on va voir un film singulier et novateur. Premier long-métrage de Stéphan Castang, issu du milieu théâtral, embarque sa troupe - qui comprend également Vimala Pons, François Chattot ou encore Karoline Rose Sun - dans une aventure rythmée et sublimée par une bande son détonante qui sort des sentiers battus.
Film truffé de références mais qui évite l'excès et qui se laisse guider par sa sincérité et sa folie, Vincent doit mourir navigue entre le survival paranoïaque, la comédie romantique, le thriller psychologique et la fable humaniste pour questionner notre rapport à la banalité de la violence. Une pépite à voir et à savourer sur grand écran.
Conann (Quinzaine des Cinéastes)
Chez Bertrand Mandico, le genre se décline au pluriel. Car il est à la fois cinématographique et sexuel chez celui qui est passé au long en 2018 avec Les Garçons sauvages, métaphore de la transidentité qui alternait couleurs et noir & blanc sublime. Comme Conann, son nouvel opus présenté à la Quinzaine des Cinéastes.
Le réalisateur s'empare des romans de fantasy de Robert E. Howard, déjà adaptés au cinéma avec Arnold Schwarzenegger dans le rôle principal. Un héros qu'il transforme ici en femme, incarnée par six actrices différentes selon les moments de sa vie qu'il met en scène et que racontent le chien des enfers Rainer, réincarnation canine du cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder.
Épopée queer qui assume l'artificialité de ses décors et rappelle le goût de Bertrand Mandico pour les fluides, l'amour et la mort (qui font toujours autant bon ménage, même avec moins de nudité que par le passé), Conann est peut-être son opus le plus maîtrisé. Moins porté sur la métaphore que les références cinématographiques et les messages politiques, dans un récit où il est question de tuer la jeunesse ou un personnage appelé Europe, tout autant que pointer du doigt la barbarie de notre société.
Un véritable OVNI présenté devant des spectateurs acquis à la cause du metteur en scène et dont les yeux ont souvent brillé comme les paillettes qui traversent régulièrement l'écran.
Sleep (Semaine de la Critique)
"Le premier film le plus singulier et le plus malin que j’ai pu voir ces dix dernières années." Ces mots ne sont pas de l'auteur de ces lignes mais de Bong Joon-ho. Pas un homonyme mais bien le réalisateur palmé et oscarisé grâce à Parasite, et qui aide aujourd'hui l'un de ses poulains à se lancer dans le grand bain. Car Jason Yu, metteur en scène de Sleep, n'est autre que son ancien assistant.
Qui signe donc son premier long métrage avec cette histoire d'un jeune couple dont la vie est bouleversée lorsque le mari devient somnambule et se transforme en quelqu'un d'autre la nuit tombée. Craignant pour leur nouveau-né, son épouse ne trouve plus le sommeil. Découvrir un tel film dans un Festival où les nuits sont courtes ne manque pas de sel, mais il sait nous tenir éveillé à grands renforts de tension (et un peu de jump scares aussi).
Si l'on peut voir un peu d'humour dans les premières minutes, lorsque le somnambulisme donne lieu à des situations gentiment cocasses, Sleep reste sérieux la majeure partie du temps. Et une scène choc montre que l'on peut s'attendre à tout, dans une deuxième partie plus efficace que la première, où l'on peine à voir la direction que prend le récit.
Il faut s'armer de patience dans un premier temps, mais le rythme s'emballe ensuite, avec quelques plans particulièrement réussis, alors que le scénario et cette histoire de somnabulisme peuvent s'interpréter de plusieurs manières selon les sensibilités de chacun. Jason Yu n'est peut-être pas encore le nouveau Bong Joon-ho, mais les promesses sont là. Et l'une des séances cannoises de Sleep a visiblement été particulièrement mémorable.
Le long métrage n'a pas encore de date de sortie en France.