Il n'était pas en compétition officielle mais il a tout de même fait l'évènement à la 76ème édition du Festival de Cannes. Killers of the Flower Moon, nouveau film de Martin Scorsese, a été projeté ce samedi 20 mai au Grand Théâtre Lumière.
Inspiré d’évènements réels et adapté de l'ouvrage du même nom de David Grann, publié en 2017, ce western de 3h26 met en lumière une part sombre - connue mais peu traitée et racontée - de l'Histoire américaine : la série de meurtres de la tribu native Osage, en Oklahoma dans les années 1920.
Cette communauté avait fait fortune grâce au pétrole présent sous ses terres. Mais cette richesse faisait des envieux chez les Américains blancs, qui ont, pour certains, comploté pour leur voler leurs propriétés et leurs terres, mais aussi pour les tuer de manière impitoyable.
Comment ? Par le biais de mariages d'intérêt entre des femmes amérindiennes et des profiteurs qui pourront ainsi se procurer les lucratifs "headrights", des droits payés aux Amérindiens pour l'utilisation de leurs terres, servant à l'exploitation du pétrole.
En se lançant corps et âme dans la fabrication de son western, Martin Scorsese glisse une intention politique nette et met l'accent sur l'une des plus grandes injustices et conspirations criminelles de l'Amérique, qui a pourri son cœur et son Histoire.
Le western poignant et habité de Martin Scorsese
Présenté comme "une lettre d’amour aux films de gangsters”, Killers of the Flower Moon est bien plus que ça. Mêlant thriller, western, romance et humour, le nouveau long-métrage de Martin Scorsese se présente d’abord comme une fresque familiale un peu à la Succession.
On y suit en effet les manigances du shérif de Fairfax William Hale, patriarche vicieux, qui prend sous son aile et manipule son neveu Ernest Burkhart pour perpétuer son plan diabolique et voler les terres des indiens Osage.
Pour ce duo de tête, Martin Scorsese a fait appel à deux de ses acteurs fétiches, Robert De Niro - avec qui il signe sa dixième collaboration - et Leonardo DiCaprio, pour un sixième film ensemble. Et les deux acteurs prouvent une nouvelle fois toute l'étendue de leur talent avec des partitions étonnantes, très expressives, assez tragicomiques et pathétiques, qui en font un duo burlesque savoureux, qui pourrait en dérouter certains.
Leonardo DiCaprio trouve ici l’un de ses meilleurs rôles et Robert De Niro revient en grâce avec cette performance de maître. Les nominations aux Oscars sont assurées pour les deux comédiens mais pas que.
Puisque la révélation du film se nomme Lily Gladstone, actrice amérindienne vue surtout dans le cinéma de Kelly Reichardt, qui, avec élégance et poésie, est la vraie surprise de Killers of the Flower Moon. Véritable âme du long-métrage, son aura plane constamment qu'elle occupe l'écran ou qu'elle soit en hors champ.
Le film navigue de genre en genre, en racontant aussi bien "une histoire d'amour" complexe que la chute d'un benêt cupide jusqu'à une enquête salvatrice de l'ancien FBI, à la demande du peuple Osage, incarné par une impeccable troupe de comédiens amérindiens.
C’est d'ailleurs l’une des premières affaires criminelles que traite le "Bureau of Investigation", dirigé à l'époque par le haut fonctionnaire de police J. Edgar Hoover.
Les prestations du reste du casting sont également immenses - même pour ceux dont le temps d'écran est moindre - comme Jesse Plemmons, Pat Healy, Tantoo Cardinal, Brendan Fraser, Cara Jade Myers ou encore John Lithgow.
Même si la durée du film (3h26) pourrait en rebuter certains, il fallait au moins ça pour faire honneur à cette histoire cruelle et tragique qui a meurtri les terres Osage.
Surtout que Martin Scorsese a pris le temps de s'entretenir et de consulter des représentants de la communauté Osage et de les impliquer dans le processus créatif pour que l'histoire soit plus authentique, avec l'apprentissage de la langue Osage par le casting, notamment.
D'autant plus qu'avec Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese réalise son rêve de mettre en scène son propre western. Et l'on sent le plaisir du cinéaste dans son œuvre. Le réalisateur américain de 80 ans - qui n'a pourtant plus rien à prouver - ose, s'autorise des folies (comme la génialissime séquence de fin qu'on ne vous gâchera pas dans ces lignes), se surpasse et défie toutes les attentes.
Pour cette épopée sombre, violente, abrupte et teintée d’humour, le cinéaste - débarquant là où on ne l’attend pas - offre une mise en scène ingénieuse et étonnante sublimée par une photographie magnétique signée Rodrigo Prieto (qui a également travaillé sur Barbie de Greta Gerwig) et rythmée par le montage de Thelma Schoonmaker, la collaboratrice de toujours de Scorsese.
Killers of the Flower Moon nous époustoufle aussi par ses décors gigantesques et impressionnants, que l'on doit à Jack Fisk (There Will Be Blood), qui a construit l'ensemble de toutes pièces, et ses costumes somptueux, dont la plupart viennent des ancêtres des Osages présents dans le film.
Mais plus qu'un grand geste artistique, c’est aussi un vrai cri du cœur de la part de Martin Scorsese qui s'est emparé de ce script avec le co-scénariste Eric Roth (Forrest Gump, Dune, Benjamin Button). On sort du film avec le palpitant lourd et l'esprit enrichi d'images inoubliables.
Le film Killers of the Flower Moon sortira au cinéma le 18 octobre.