Entre les murs d’un centre éducatif pour mineurs délinquants, Joe (Khalil Gharbia) croise le regard de William (Julien De Saint-Jean), le nouveau venu. De cette rencontre, d’abord timide, naît un désir qui bouscule l’équilibre de cet environnement fermé où chaque geste est scruté.
Avec Le Paradis, Zeno Graton réalise son premier film et raconte l’histoire d’un amour qui se dresse contre un système institutionnel.
Ce projet est né lorsque le cinéaste a vu son propre cousin passer par ces centres. Au-delà d’un récit d'apprentissage, Zeno Graton veut également pointer du doigt une prise en charge plus punitive que restauratrice qui ne se montre pas toujours efficace.
“Je souhaite démontrer que les mécanismes qui mènent à la délinquance sont avant tout liés à un système, à un racisme systémique, à la précarité et à énormément de choses, explique-t-il. Cela ne relève pas uniquement de la responsabilité individuelle.”
Pour mener à bien ses recherches, le réalisateur belge a sollicité le ministère de l’aide à la jeunesse à Bruxelles dans l’objectif de s'immerger dans l’un de ces centres, appelés I.P.P.J (Institutions publiques de protection de la jeunesse). Pendant un mois, Zeno Graton passe du temps avec les adolescents. Il recueille leur parole et gagne leur confiance.
“À la fin de l’écriture, je suis revenu trois semaines dans le centre, poursuit-il. Il y avait de nouveaux jeunes et cette nouvelle enquête m’a permis de faire un suivi et d’observer ce qui n’avait pas marché. J’ai pu constater qu’il y avait des dysfonctionnements et c’est ce que je voulais raconter.”
Dans la conception de ses héros, le cinéaste veut éviter les poncifs et s’inspire d’un cinéma queer plus désinhibé et dégagé de la honte. “Je pense qu’aujourd’hui, les jeunes veulent s’identifier et rêver à la possibilité d’aimer sans qu’on leur assène qu’ils sont des victimes et qu’il y a de l’oppression”, ajoute-t-il.
Avec ce film, je veux normaliser la tolérance.
Loin de la dureté d’un Scum d’Alan Clarke - qui montre l’enfer des maisons de correction en Angleterre sous le gouvernement Thatcher -, Le Paradis va à l’encontre des codes préétablis.
“Je veux donner à voir la possibilité d’être un garçon autrement qu’à travers les attributs qui sont normalement liés à la masculinité”, précise Zeno Graton, qui cite Jean Genet comme une inspiration.
Le film retourne l’équation et parle davantage d’une solidarité masculine qui rayonne sur tout un groupe. “On a un rôle au cinéma d’infuser la culture de notre époque avec des représentations qui vont avoir un effet, fait savoir le réalisateur. Avec ce film, je veux normaliser la tolérance. Bien sûr, il y a une forme d’utopie, mais j'assume de tendre vers ça.”
Porté par une jeune génération d’acteurs, Le Paradis confirme le talent de Khalil Gharbia (Peter von Kant, Les Sept vies de Léa) et de Julien De Saint-Jean (Arrête avec tes mensonges). Choisis après un long casting, les comédiens ont intégré un vrai centre pendant leurs répétitions pour qu’ils puissent communiquer avec les jeunes.
Zeno Graton se souvient de la réaction d’un adolescent sur place : “Il n’arrivait pas à croire que l’on s'apprêtait à faire ce film. Il disait : ‘C’est pas possible, tout le monde s’en fout de nous.’ Dès lors, tous les acteurs se sont sentis investis d’une mission : transmettre au mieux la parole de ces jeunes.”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 3 mai 2023.
Le Paradis de Zeno Graton, au cinéma le 10 mai 2023.