Le 13 avril, Thierry Frémaux a dévoilé la sélection officielle du 76ème Festival de Cannes, qui se déroulera du 16 au 27 mai prochain. Entre la Compétition, le hors-compétition, les séances spéciales et Un Certain Regard, une bonne cinquantaine de longs métrages ont été annoncés, et quelques-uns devraient être rajoutés dans les jours à venir. Mais peut-être par celui de Catherine Corsini.
Deux ans après La Fracture, Le Retour devait marquer celui de la réalisatrice française en Compétition. Et Thierry Frémaux le lui avait déjà annoncé selon Le Parisien, qui explique les raisons de son absence à ce jour : le conseil d'administration aurait souhaité prendre le temps d'examiner "la situation de l'oeuvre" avant de statuer sur sa sélection.
La raison de ce revirement est double. Car des faits de harcèlement sont reprochés à la cinéaste et deux membres de l'équipe, tout comme une possible entorse "grave" à la législation sur la protection des comédiens mineurs, qui a déjà valu à la société Chaz Productions une demande de remboursement des aides octroyées par le CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée) en janvier dernier.
Soient 680 000 euros (dont 580 000 d’avances sur recettes, et 100 000 de soutien automatique). "Une procédure très rare" selon le délégué général du CNC Olivier Henrard pour une situation compliquée. La législation française prévoit en effet un cadre strict pour l’emploi sur les plateaux ciné de comédiens de moins de 16 ans.
Dans les scénarios, nous regardons qu’il n’y ait pas de nudité d’enfants à l’écran, ou que les scènes ne soient pas traumatisantes pour des comédiens trop jeunes
Chaque film doit ainsi obtenir, au préalable, le feu vert de la Commission des Enfants du Spectacle, instance émanant du Comité de Protection de l’Enfance, et composée de représentants de diverses institutions (magistrature, Éducation Nationale, Ministère de la Culture…). Et les points étudiés concernent aussi bien les horaires de travail et la rémunération que les conditions de sécurité. Ou la moralité.
"Dans les scénarios, nous regardons par exemple qu’il n’y ait pas de nudité d’enfants à l’écran, ou que les scènes ne soient pas traumatisantes pour des comédiens trop jeunes", précisé Agnès Toullieux, représentante du Ministère de la Culture au sein de la commission parisienne, interrogée par Le Parisien. "En cas de doute, nous pouvons demander des garanties supplémentaires aux producteurs ou à ce que les scènes soient jouées par des acteurs plus âgés."
Dans cette optique, les passages à caractère sexuel font l’objet d’une vigilance toute particulière. Or Le Retour raconte celui d'une femme (Aïssatou Diallo Sagna, révélation de La Fracture) en Corse avec ses deux filles. Dont une, la plus jeune (incarnée par une actrice de 15 ans et demi à l'époque du tournage), qui s'éveille à la sexualité à travers une séquence de masturbation avec un garçon. Une scène absente du scénario transmis à la Commission, qui n'a donc pas pu l'étudier.
Si la productrice Elizabeth Perez reconnaît une faute de leur part en précisant que la scène n'a pas été cachée mais rajoutée au moment du tournage à la suite d'une réécriture, la demande d'autorisation aurait quand même dû être formulée. Et son absence risque de coûter cher au film : "Que ce manquement ait été intentionnel ou non ne change rien pour nous", affirme Olivier Henrard. "Il nous est interdit d’attribuer des aides à des œuvres qui ne respectent pas la législation sociale."
Le CNC pourrait cependant trouver une solution pour aider à payer les factures, ainsi que les techniciens et prestatires ayant travaillé sur le film, qui verra bien le jour, sélectionné à Cannes ou pas. À moins que les faits de harcèlement reprochés à Catherine Corsini, ainsi que les gestes déplacés de deux membres de l'équipe sur des comédiennes, ne viennent obscurcir un peu plus son avenir s'ils étaient avérés.
Il nous est interdit d’attribuer des aides à des œuvres qui ne respectent pas la législation sociale
Elizabeth Perez dénonce pour le moment une "malveillance" et affirme avoir pris toutes les dispositions nécessaires pendant le tournage. Mais le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) de la branche cinéma, alerté, s’est saisi du dossier et a rédigé un rapport. Et un signalement aurait été effectué auprès du Procureur de la République.
Un an après Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, marqué par les plaintes envers son acteur Sofiane Bennacer, Le Retour devrait lui aussi faire couler de l'encre. Sans forcément passer par la sélection cannoise.