Prix Spécial du Jury de la 3e édition de la Mostra de Venise avec Abluka - Suspicions, le metteur en scène turc Emin Alper est de retour avec Burning Days.
Présenté en compétition dans la catégorie Un Certain Regard du Festival de Cannes 2022, ce thriller politique haletant suit Emre, un jeune procureur déterminé et inflexible qui vient d’être nommé dans une petite ville reculée de Turquie. À peine arrivé, il se heurte aux notables locaux bien décidés à défendre leurs privilèges par tous les moyens, même les plus extrêmes.
Le film emmené par Selahattin Paşalı se divise en deux parties. La seconde, pleine de suspense, est une véritable réflexion sur la violence. L'idée initiale que Emin Alper avait en tête était de décrire un idéaliste solitaire luttant contre l’élite corrompue d'une ville. Le réalisateur s'est inspiré des récentes expériences politiques de son pays.
Il explique : "On peut toujours avoir le courage et l'envie de se battre contre des politiciens corrompus et autoritaires, mais quand on voit que ces gens sont populaires et qu’ils sont réélus par le peuple encore et encore, on se sent désespéré, et isolé.
Et puis, après un certain temps, on sent que l’on doit surmonter sa dépression et recommencer à se battre, jusqu'au prochain échec. Ces dernières années, nous avons été pris dans un cercle vicieux de ce genre. Non seulement mon pays, mais plusieurs autres connaissent des expériences similaires. J'ai donc décidé d'écrire une histoire pour dépeindre ce cas presque universel et transmettre la solitude des gens qui sont consternés par la montée des populismes autoritaires."
Il ajoute : "Yaniklar, où se déroule l’action du film, est une ville entièrement fictive mais c’est un microcosme de la Turquie. Il fallait créer un microcosme, comme Ibsen l'a fait dans "Un ennemi du peuple". Cette pièce, écrite il y a près d'un siècle et demi, a été l'une de mes grandes inspirations."
La pénurie d'eau : un véritable enjeu politique
Tourné en Anatolie, Burning Days aborde le sujet de la pénurie d'eau. Véritable problématique dans cette région. Emin Alper explique : "La pénurie d'eau en Turquie devient de plus en plus problématique. Et les dolines - ces formes d’érosion brutales et circulaires - constituent un vrai problème en Anatolie centrale. Avec la disparition des nappes phréatiques, le nombre de dolines augmente rapidement et crée un réel danger pour les populations. Mais malgré ce danger, la surconsommation d'eau se poursuit.
Les populistes sont populaires car ils jouent toujours sur les besoins les plus facilement exploitables des populations. Ils proposent des solutions factices à ces besoins immédiats en profitant de l’aveuglement des gens et de leurs préjugés. Ainsi, le problème de l'eau de Yaniklar pourrait être celui de la terre acquise en détruisant les forêts amazoniennes, du pétrole qui est censé rendre tout le monde riche, ou même des immigrants qui sont prétendument la source de tous les problèmes. Ces gouffres béants symbolisent les fosses dans lesquelles les populistes nous entraînent".
Polémique lors de la sortie du film en Turquie
Mais le long-métrage aborde aussi d'autres thématiques telles que le viol et l'homophobie. Un sujet qui a d'ailleurs fait polémique lors de la sortie du long-métrage en Turquie. Burning Days a été critiqué par le gouvernement et le ministère de la Culture turc a exigé le remboursement des aides accordées au film, soit 100 000 euros, arguant que le scénario avait été modifié sans leur consentement.
Interrogé à ce sujet par France Info, le producteur du film Nadir Operli explique : "Avec le succès du film, des journaux pro-gouvernementaux ont commencé à écrire que nous avions donné un scénario au ministère de la Culture puis tourné un film totalement différent. Mais c’est un mensonge !"
Dès lors, l'équipe du film a appelé les spectateurs à aller voir massivement le film afin de pouvoir payer le ministère de la culture. Et l'appel a été entendu puisque le long-métrage cumule plus de 250 000 entrées.
Le cinéaste déclare dans les colonnes des Inrockuptibles: "Pour mes films, j’étais plutôt habitué à 30 000 places. Certaines personnes ont acheté des dizaines de billets, et les ont mis à disposition des spectateurs sur les réseaux sociaux. Il s’est créé un engouement que nous ne maîtrisons plus”.
Dans le dossier de presse, Emin Alper précise : "Malheureusement l'homophobie est forte en Turquie. C'est même devenu une politique du gouvernement ces dernières années. Jusqu'en 2020, la communauté LGBTI+ avait gagné en visibilité et s'était fait entendre en Turquie. Mais le gouvernement a lancé une croisade contre la représentation publique des personnes LGBTI+".
Thriller glaçant et hautement politique, Burning Days est à découvrir en salles dès ce mercredi 26 avril.