Troisième long-métrage de la réalisatrice nigériane Chinonye Chukwu (à qui l'on doit Clemency, Grand Prix au Festival de Sundance en 2019), Emmett Till revient sur la tragique histoire d'un jeune garçon noir, lynché et torturé par des suprémacistes blancs.
Adapté d'une histoire vraie, le film débute au mois d'août 1955 et raconte le combat de Mamie Till, une mère élevant seule son fils de 14 ans. Elle est l'unique femme noire travaillant pour la US Air Force à Chicago. En vacances dans le Mississippi, Emmett est enlevé, torturé et assassiné pour avoir complimenté une femme blanche.
Mamie bouscule les consciences en insistant, lors des obsèques, pour que le cercueil de son fils reste ouvert et que l’opinion publique comprenne l’horreur qu’il a subie. Un geste fort pour refuser l’oppression et la haine. Elle cède également au magazine Jet les droits exclusifs de publication des photos de son fils mutilé, si bien que le monde entier s’émeut de ce lynchage particulièrement atroce.
Le long-métrage est porté par la remarquable Danielle Deadwyler (vue dans les séries Paradise Lost et Watchmen), qui incarne la poignante héroïne Mamie Till-Mobley, le solaire Jalyn Hall qui tient le rôle-titre du film et par Whoopi Goldberg qui incarne la grand-mère de Emmett.
Si plusieurs documentaires ont déjà évoqué le sujet (The Murder of Emmett Till, The Untold Story of Emmett Louis Till ou encore Face of Emmett Till), c'est le premier biopic à mettre en lumière ce drame et le combat de cette mère, à l'origine de la création du Mouvement afro-américain des droits civiques.
Le combat d'une mère
La réalisatrice explique : "Quand on m’a contactée pour écrire et réaliser un film sur Emmett Till, j'ai vu la possibilité de déjouer les attentes et d’aborder l’histoire par un autre biais – en adoptant le point de vue maternel de Mamie Till-Mobley. Sans Mamie, le parcours de son fils se serait volatilisé.
Elle a joué un rôle décisif dans l’élaboration d’un mouvement pour les droits civiques moderne qui a mis en place un cadre extraordinaire pour les futurs militants et combattants pour la liberté. J’ai eu envie de défendre l’héritage de Mamie et de la mettre en valeur comme elle le mérite.
Elle ajoute : "Dans son quotidien, Mamie combattait le racisme, le sexisme, la misogynie, qui n’ont fait que croître au lendemain du meurtre d’Emmett. Mamie ne s’est pas repliée sur elle-même. Bien au contraire, elle est devenue une combattante acharnée pour la justice, ce qui m’a permis de comprendre et d’enrichir mon propre cheminement de militante. En tant que réalisatrice, montrer Mamie dans toute son humanité, dans toute sa complexité, était d’une importance capitale."
Si le sujet du film reste le meurtre impuni de cet enfant, la réalisatrice souhaitait surtout mettre en lumière le parcours de Mamie après le drame. "Elle tire sa force de son amour pour son fils car, au fond, Emmett Till est une histoire d’amour. En dépit de la souffrance et du chagrin, il était essentiel pour moi d’axer le récit sur l’affection profonde qui unit Mamie et Emmett."
La première scène du film montre le jeune Emmett et sa mère qui chantent dans la voiture. Une scène lumineuse et d'une grande tendresse qui montre tout l'amour que ces deux êtres se portent et qui touchera le spectateur en plein cœur. Cette séquence résonnera d'ailleurs en chacun lors du témoignage bouleversant de cette mère courage au procès des assassins de son fils.
L'histoire d'Emmett Till
Né le 25 juillet 1941 à Chicago Emmett Louis Till surnommé "Bobo", est élevé par sa mère Mamie Elizabeth Till Mobley après le décès de son père Louis Till en 1943 durant la Seconde Guerre mondiale. Le jeune garçon grandit en étant entouré d'amour. Si la ségrégation dans les villes du Nord des Etats-Unis n'est pas imposée par la loi, elle existe tout de même, mais Mamie tente de faire en sorte que son fils n'en souffre pas.
A la fin du mois d'août 1955, Emmett est envoyé à Money dans le Mississippi, chez son oncle Moïse Wright. Un état où la ségrégation et les violences racistes sont autorisées et où les meurtriers blancs sont rarement inquiétés. Entre 1880 et 1955, plus de 500 Afro-Américains ont été lynchés dans le Mississippi.
Inquiète à l'idée de ce voyage, Mamie prévient son fils et lui dit de faire attention à ses manières. Mais le jeune homme ne peut s'empêcher de complimenter Carolyn Bryant, la gérante blanche d'un magasin en la comparant à une actrice de cinéma dont il a la photo dans son portefeuille (NB : la photo que l'on voit dans le film est en réalité celle de la véritable Carolyn Bryant).
Cette dernière s'en plaint à son mari Roy Bryant et son beau-frère J.W. Milam. Le 28 août 1955, ces derniers se rendent chez Moïse Wright et sa famille et enlèvent le jeune Emmett. Ils le torturent et lui tirent une balle dans la tête avant de jeter son corps nu dans la rivière Tallahatchie.
Le jeune garçon est retrouvé atrocement mutilé (son oncle l'identifie grâce à la bague qu'il porte) quelques jours plus tard et renvoyé dans un cercueil scellé à Chicago.
Mais Mamie Till réclame son ouverture afin de pouvoir voir une dernière fois son unique enfant. Devant l'horreur de la découverte du corps d'Emmett elle décide de laisser le cercueil ouvert durant l'enterrement et d'afficher à côté des photos du garçon avant le drame.
Dans le même temps, elle autorise le magazine Jet à publier des photos non retouchées de son fils défiguré afin que le monde entier puisse se rendre compte de l'atrocité et de la violence du lynchage qu'a subi Emmett. Elle déclarera : "Je veux que les gens voient ce qu’on a fait subir à mon fils". Les photographies de David Jackson circulent dans tout le pays et provoquent un immense émoi.
Le symbole de la lutte des droits civiques dans l'Amérique ségrégationniste des 50's.
Néanmoins, après un procès éprouvant pour Mamie Till, les meurtriers sont acquittés par un Grand jury dans le Mississippi. L'état fédéral ne reviendra pas sur la décision. Cette décision de justice provoque un tollé dans le monde entier et accélère le mouvement des droits civiques américains.
Moins d'un an après le procès, John W. Milam et Roy Bryant accordent une interview au magazine Look et avouent le meurtre d'Emmett Till. Mais grâce au Double Jeopardy Act, une loi américaine qui empêche un accusé d'être jugé deux fois pour le même crime, ils ne sont pas inquiétés par la justice.
En 2017, Carolyn Bryant admet avoir menti lors du procès et avoue qu'Emmett ne l'a jamais agressée.
Grâce à son combat, Mamie Till a galvanisé un mouvement qui a mené à l'adoption du Civil Right Act en 1957. Elle a consacré sa vie à l'éducation des enfants et au combat pour les droits civiques aux Etats-Unis. Mamie Till Mobley est décédée le 6 janvier 2003, à l'âge de 81 ans.
Le projet de loi Emmet Till, faisant du lynchage un crime, a été définitivement adopté le 29 mars 2022. Soit 67 ans après son meurtre...
Le jeune martyr est devenu un symbole grâce au combat de sa mère. Il a inspiré à Aimé Césaire le poème "Sur l'État de l'Union", la peinture "Emmett Till: How She Sent Him and How She Got Him Back" (2012) à l'artiste Lisa Whittington et Harper Lee s'est inspiré de son histoire pour son célèbre roman "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur".
Côté musique, Emmylou Harris lui rend hommage à travers la chanson "My Name Is Emmett Till", Melody Gardot a reprend son histoire pour sa chanson "Preacherman" tandis qu'Eric Bibb lui dédie le titre "Emmett's Ghost".
Martin Luther King Jr. a souvent cité le lynchage du jeune garçon dans ses discours et Rosa Parks citera le meurtre d'Emmett Till comme motivation pour être resté à sa place dans le bus de Montgomery en décembre 1955.