Premier long-métrage réalisé par le comédien français Stéphane Freiss, Tu choisiras la vie suit une famille juive ultra-orthodoxe d'Aix-les-Bains qui se rend chaque année dans une ferme du sud de l’Italie pour un bref séjour afin d'accomplir une mission sacrée : la récolte des cédrats.
Esther, la fille du rabbin, en pleine remise en cause des contraintes imposées par sa religion fait la connaissance d’Elio, le propriétaire de la ferme. Et si le face à face entre ces mondes était la genèse d’une autre histoire ?
Lou de Laâge et Riccardo Scamarcio tiennent les rôles principaux de ce film.
Avec ce long-métrage, Stéphane Freiss explique avoir voulu redonner du sens à sa vie. D'abord à sa vie personnelle, marquée par une enfance au sein d'une famille juive ayant vécu les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, et puis du sens à son métier d'acteur.
Un film personnel
Durant la Seconde Guerre mondiale, les deux parents de l'acteur ont été cachés alors qu'ils n'étaient qu'enfants, afin d'échapper aux rafles. Dans le dossier de presse du film, Stéphane Freiss raconte l'histoire de sa famille et explique ce qui lui a donné envie de parler, dans son premier film, du poids de la religion.
"Les exactions, les tortures, et les morts en camps de concentration ont été nombreux des deux côtés de ma famille. Mon père, comme ma mère, ont tenté d’enterrer tous les fantômes de cette période terrible. Il m’a fallu longtemps pour oser aborder le sujet. J’ai découvert que la douleur de mon père était toujours très vive. Un Dieu qui avait laissé faire ça était totalement disqualifié à ses yeux.
Jusqu’à leur séparation (j’avais douze ans), on ne parlait ni de guerre, ni de judaïsme, ni de choses atroces. Il y avait une espèce de couvercle posé sur tout ça. Être juif ne voulait absolument rien dire pour moi, nous fêtions les fêtes chrétiennes et je ne me souviens pas être entré dans une synagogue jusqu’à ce que ma mère, 2 ou 3 ans après leur divorce, n’aille rechercher dans sa religion un réconfort et une spiritualité qui manquaient à sa vie.
Nous basculions soudainement d’une vie sans aucune pratique, ni tradition à l’extrême inverse. Des hommes en noir et blanc avec des barbes et des chapeaux, des femmes très couvertes et avec des perruques entraient dans ma vie et celle de mon frère. J’avais quatorze ans. J’ai cru très longtemps qu’il n’existait pas d’autre manière d’être juif !"
Un film né d'une conversation avec Philippe Noiret, 30 ans plus tôt..
S'il avait son sujet, le scénariste et réalisateur devait ensuite trouver l'histoire qu'il souhaitait raconter. Et c'est une conversation vieille de 30 ans qui l'a aidé à mûrir son sujet.
Stéphane Freiss explique en effet avoir compris que quelque chose n'allait plus dans sa manière de concevoir le métier d'acteur suite à une discussion avec Philippe Noiret, 30 ans plus tôt. Il raconte alors une anecdote qui s'est déroulée en 1987 sur le tournage de Chouans ! de Philippe de Broca.
"Nous nous sommes retrouvés un jour seuls Philippe Noiret et moi, chacun sur notre cheval en costume d’époque, au bord d’une falaise, au milieu de nulle part. Nous sommes restés silencieux, sans bouger, pendant une bonne demi-heure, en attendant que le soleil se couche pour avoir la lumière idéale.
Puis soudain Noiret a rompu le silence et m’a dit : « Tu vois Stéphane, je crois que j’en ai un peu assez de faire l’enfant ! ». Je ne mesurais évidemment pas à l’époque la portée de sa remarque. Trente plus tard, à peu près au même âge que lui dans le film, j’en ai pris la mesure !"
"Aucun choix ne peut résister à l’usure du temps."
Il développe : "Aucun choix ne peut résister à l’usure du temps. Ce qui était essentiel pour moi à 20 ans, l’est moins aujourd’hui et mes certitudes de jeune homme se fissuraient. Le choix de devenir acteur était peut-être né aussi d’un besoin de m’arracher à ma famille et à son histoire tragique pendant la Seconde Guerre mondiale."
Écrire ce film a donc permis à Stéphane Freiss de parler du poids de la religion et de l'envie de s'en défaire. Esther est comme prise en étau entre la religion et son envie de liberté. Il affirme : "Sur elle pèse le poids d’un ciel devenu trop lourd tant elle ne croit plus dans ces gestes et ces prières qu’elle répète à longueur de journées".
La place de la femme dans la religion
Le fait de choisir une femme comme personnage central n'est pas anodin puisqu'il permet de soulever la question de la place de la femme dans un monde patriarcal.
Dans le film, Esther suffoque sous le poids des obligations religieuses. Lou de Laâge, son interprète déclare : "La quête d’une femme pour échapper à un milieu asphyxiant et trouver le courage de vivre comme son instinct l’appelle à faire est universelle. Devenir un être humain, penser, prendre sa vie en main, remettre en question, se révolter contre ce qu’on nous a transmis pour trouver son propre chemin, sa propre vérité, faire ses propres erreurs est essentiel et universel."
Pour Stéphane Freiss : "Esther est prisonnière d’un système qui la limite aux tâches essentielles de la vie de la famille. Par "décence" elle n’est pas autorisée à se mélanger aux hommes ni à s’offrir à leurs regards. Nous sommes très loin de nos sociétés mixtes.
La femme orthodoxe doit se plier à des règles très précises. Toute tentation et tout désir déplacé doivent être contenus. Elles ne peuvent ainsi ni prier au milieu d’une assemblée composée d’hommes, ni encore moins évidemment danser ou chanter en public. La voix de l’homme est celle qui prime à peu près partout dans le monde ultra-orthodoxe."
Esther va donc tenter de se libérer du joug de la religion afin de vivre sa vie librement. Durant l'écriture de son film, Stéphane Freiss s'est d'ailleurs appuyé sur les ouvrages "Les déserteurs de Dieu" de Florence Heymann et "Celui qui va vers elle ne revient pas" de Shulem Deen. Ces livres racontent l’histoire souvent tragique de ces femmes et de ces hommes qui tentent l’aventure de la sortie vers la société laïque.
Tu choisiras la vie est à voir dans nos salles dès ce mercredi 25 janvier.