De quoi ça parle ?
Années 90. À l'aube d'une nouvelle décennie, la famille royale affronte la pire des épreuves quand son rôle en Grande-Bretagne est remis en cause par le peuple.
Alors que près de 40 ans se sont écoulés depuis son accession au trône, la reine Élisabeth II (Imelda Staunton) repense à ce règne qui a connu neuf premiers ministres, l'avènement de la télévision et le déclin de l'Empire britannique. Mais de nouveaux défis l'attendent. La chute de l'Union soviétique et la rétrocession de Hong Kong annoncent des changements radicaux dans l'ordre mondial, offrant à la monarchie autant de difficultés que de nouvelles opportunités. Et les ennuis d'ordre domestique ne manquent pas non plus.
Le prince Charles (Dominic West) fait tout pour que sa mère l'autorise à divorcer de Diana (Elizabeth Debicki), quitte à déclencher une crise constitutionnelle. Pendant ce temps, les rumeurs vont bon train, et les médias ne se privent pas de souligner que le prince et la princesse vivent chacun de leur côté. Sous l'œil toujours plus inquisiteur de la presse, Diana décide de prendre le contrôle de son histoire : elle brise le protocole et fait publier un livre qui va mettre à mal l'adhésion du public à Charles et exposer les failles de la maison Windsor.
La tension monte encore d'un cran quand apparaît Mohamed Al-Fayed (Salim Daw). Poussé par le désir d'être accepté dans les plus hautes sphères, l'homme d'affaires égyptien utilise sa fortune et son pouvoir pour essayer de se faire une place à la table royale, accompagné de son fils, Dodi (Khalid Abdalla).
The Crown, une série créée par Peter Morgan avec Imelda Staunton, Jonathan Pryce, Lesley Manville, Dominic West, Elizabeth Debicki... Épisodes vus : 10 sur 10
C'est avec qui ?
C'est devenu une tradition. Toutes les deux saisons, The Crown renouvelle sa distribution. Après Olivia Colman, c'est à présent Imelda Staunton qui incarne la reine Elisabeth II. Cette dernière aborde la dernière partie de son règne qui s'ouvre par une ère de turbulences. Pour jouer le prince Philip, c'est Jonathan Pryce qui succède à Tobias Menzies pour lui apporter une touche un peu plus inflexible. Toujours dans la même génération, Lesley Manville emboîte le pas à Helena Bonham Carter dans le rôle de la princesse Margaret.
Changement d'interprète aussi pour le prince Charles. À la sensibilité de Josh O'Connor succède une certaine rugosité de Dominic West. Le prince de Galles n'est plus impliqué dans son mariage et a repris sa liaison avec Camilla Parker-Bowles, campée par Olivia Williams, quasi méconnaissable sous sa perruque.
Outre la reine Elisabeth, qui reste le socle de la série, le personnage le plus attendu cette saison est bien sûr celui de Diana. Après Emma Corrin, toute en innocence, jeunesse et naïveté, c'est Elizabeth Debicki qui prête ses traits à la princesse des cœurs. Et sa prestation est tout simplement remarquable. Voire même troublante, tant elle a si bien su capturer l'essence de son personnage.
À Downing Street aussi, le casting a changé. Après le départ de Margaret Thatcher (Gillian Anderson), place à John Major interprété par un Jonny Lee Miller très loin de son Sherlock Holmes azimuté. On a même droit à un aperçu de Tony Blair joué par Bertie Carvel.
Ça vaut le coup d'œil ?
Qu'il est troublant de retrouver cette saison 5 de The Crown, deux mois et un jour après le décès d'Elisabeth II. On se doutait qu'un tel évènement allait saisir la planète d'effroi, mais l'émotion et son ampleur ont tout emporté sur leur passage. La mort de la reine fera date dans l'Histoire du XXIème siècle tout en clôturant définitivement le XXème. Drôle de timing que celui de l'introduction de la "nouvelle reine" jouée par Imelda Staunton, à l'occasion d'une visite médicale. On découvre cette dernière, allongée sur une table de médecin, auscultée des pieds à la tête.
Drôle de timing toujours, ce premier épisode qui a pour thème la chute de popularité de la reine. À la faveur d'un sondage paru dans le Sunday Times sur un peuple britannique qui rêve de changement, le prince Charles s'imagine déjà sur le trône. Il manigance même en sous main auprès de John Major afin de voir comment il pourrait rajeunir les institutions séculaires qui lui imposent d'attendre le décès de sa mère pour devenir monarque.
Le ton est donné dès ce premier épisode qui dresse un parallèle entre le Britannia – yacht royal qui abrite les plus beaux souvenirs de la reine, mais si vieux que ses réparations trop coûteuses sont illusoires – et la reine, elle aussi, jugée obsolète aussi bien par son peuple que par son propre fils. Le ton sera donc féroce. C'est toute la légitimité de la monarchie qui est questionnée tout au long de ces dix épisodes avec une virulence, sous la plume de Peter Morgan, qu'on ne connaissait pas à la série.
La famille royale obsolète ?
La légitimité de la famille Windsor est ainsi la trame de cette saison 5 qui court de 1990 à 1997. Avec le Britannia et ses réparations pharaoniques, on interroge le coût et le poids de la Couronne sur le pays. La question revient à l'ordre du jour avec l'incendie de Windsor à l'occasion de l'épisode consacré à l'annus horribilis. En pleine période de crise, le peuple britannique est-il prêt à mettre la main à la poche pour restaurer les demeures royales ? La réponse est non. Et vécue comme un camouflet par Elisabeth.
Peter Morgan établit d'ailleurs une comparaison assez cruelle entre l'obsolescence de la monarchie et l'âge même de la reine. Au début de la soixantaine, elle se voit entrer dans le troisième âge. Faire partie du décor. Réceptions, visites diplomatiques, inaugurations d'usines s'enchaînent à un rythme effréné où elle vient juste prononcer un discours et couper des rubans. Comme une miss. Son mariage aussi subit l'usure du temps. La fougue du jeune couple d'amoureux qu'elle formait avec Philip s'est estompée. Solidaires mais plus complices, Philip et Elisabeth sont représentés comme deux étrangers qui cohabitent et travaillent en bonne intelligence. Mais rien de plus.
Ce sentiment de solitude distille son spleen alors au fil des épisodes. Il s'agit de la solitude de la reine bien sûr qui affronte seule les années les plus difficiles de son règne. Alors même que les institutions sont remises en cause, elle voit sa famille voler en éclats sans rien pouvoir y faire. Elle est seule encore quand, en tant cheffe de l'église, elle doit ou non octroyer le droit de divorcer à trois de ses enfants. Donner à sa fille et ses fils, ce qu'elle a refusé quelques décennies plus tôt à sa sœur qui n'aura jamais eu le droit de vivre heureuse, en faisant ses propres choix.
Diana au cœur de la saison
Cette solitude, on la retrouve bien entendu avec Diana. La princesse est isolée au sein même de son mariage et au sein de la famille royale. Au cours de ces années douloureuses de séparation avec Charles, Peter Morgan met l'accent sur la "Revenge Diana".
La fameuse et scandaleuse interview de Martin Bashir à la BBC fait l'objet de deux épisodes. Il fallait au moins ça pour assouvir cette vengeance. Mais on se demande souvent si Peter Morgan ne se venge pas lui aussi en dédiant tout un épisode au plus grand scandale que la famille royale ait eu à affronter : ce que la presse a timidement surnommé le "Camillagate" pour désigner la conversation téléphonique on ne peut plus intime entre Charles et Camilla étalée à la une de tous les journaux.
Il ne fait nul doute que Peter Morgan a pris parti pour la princesse qu'il montre harcelée, isolée et profondément éprouvée. Ce qui est vrai. Il omet en revanche toutes ses frasques et ses amants pour ne raconter – que trop brièvement d'ailleurs – son coup de foudre pour le Dr Hasnat Khan. A contrario, Charles est dépeint comme un homme sans cœur, qui pousse Diana à bout.
The Crown : seul un vrai fan de la série royale aura 7 sur 7Toujours placée dans un rôle victime, Diana doit la fatalité de sa rencontre avec la famille Al-Fayed à Elisabeth II. À la fin d'un épisode étonnamment complaisant envers Mohammed Al-Fayed, Diana fait connaissance avec le milliardaire lors d'une course de chevaux, envoyée par la reine à côté de celui qui n'avait qu'un seul rêve : tutoyer la royauté.
On ne doute pas qu'il y a une part de vérité dans ce que raconte cette saison qui passe beaucoup plus de temps que les précédentes à raconter des scènes et des situations qui n'ont pas été documentées et qui sortent de facto de l'imaginaire des scénaristes. Un choix artistique et éditorial d'autant plus étonnant que cette saison couvre la période qui justement fait surgir dans la mémoire collective des images que le monde entier connaît, contrairement aux saisons précédentes où la presse et la télévision n'avaient pas encore atteint leur position hégémonique.
À l'aune des nombreuses polémiques qui ont vu le jour avant même la diffusion de la saison 5, c'est peut-être le moment de rappeler que The Crown est une grande série. Grande dans son dessein de raconter un conte contemporain d'après une histoire que Peter Morgan s'est appropriée. Et comme tous les contes, cette série est faite de fiction.