Qui est (le cinéma de) Terrence Malick ?
samedi 14 mai 2011 - 05h00

The Tree of Life va enfin sortir sur nos écrans : l'occasion pour nous d'évoquer les aspects saillants de l'oeuvre de Terrence Malick avec Christian Viviani, universitaire et coordinateur de la revue Positif... - Dossier réalisé par Alexis Geng

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Il existe de nombreux cas de « disparition » ou d’effacement derrière une œuvre, en littérature notamment - comme celui de Maurice Blanchot pour citer un exemple connu. Mais les choses semblent différentes pour un homme de l’image : a-t-on quelques pistes pour expliquer l’absence de Malick aux yeux du monde, ou encore son éclipse de vingt ans (sans qu'il paraisse avoir pour autant rompu avec le milieu) ?
Je ne sais pas, cela a peut-être à voir avec sa psychologie. Malick est quelqu’un qu’on a très peu approché, et dont on sait relativement peu de choses. Même ses acteurs parlent peu du fond de sa personnalité. Est-il timide, est-il réservé… On ne sait pas vraiment. Peut-être l’explication est-elle aussi bête que cela. Peut-être est-ce quelqu’un qui n’aime simplement pas être dans la lumière. Mais par ailleurs, chacun de ses films témoigne à un niveau tel de sa volonté et de son choix de cinéaste, qu’il est parfaitement légitime que Malick pense la chose suivante : "ce qu’ils doivent savoir de moi, je le leur fais savoir dans mes films. Ils n’ont pas besoin de savoir autre chose."



Terrence Malick, une apparition dans Badlands...


Comment est-il revenu – non pas matériellement, puisque les contacts étaient toujours là et qu’il n'aurait jamais vraiment cessé de travailler sur des projets (comme le fameux "Q", dont serait issu The Tree of Life) ? La Ligne rouge marque-t-elle une rupture ou la reprise d’une œuvre ? Y-a-t-il en somme une première et une seconde manière, ou bien Malick a-t-il repris les choses là où ils les avaient laissées ?
Je crois qu’il a repris là où il s’était arrêté, avec un élément supplémentaire qu’il a peut-être géré par ce silence : tout à coup la dimension épique, déjà très évidente dès Badlands, peut, dans un film comme Le Nouveau monde, se déployer et prendre une envergure qu’elle n’a jamais eu auparavant. Et cela il le doit, soudain, aux acteurs qu’il attire, lesquels entraînent des budgets en conséquence, et cela se traduit par un souffle de plus en plus ample, de plus en plus vaste. Ce en quoi Malick est tout à fait remarquable, c’est qu’il continue à gérer tout cela comme il le faisait quand, dans Les Moissons du ciel, il faisait jouer Richard Gere, qui n’était pas connu à l’époque - ou encore Martin Sheen, lui aussi inconnu au moment de Badlands.



Sait-on à quoi ont ressemblé ses débuts comme scénariste [avec notamment une version préliminaire du script de Dirty Harry] ? Peut-on se faire une idée du Malick scénariste d'avant Badlands ?
C’est très difficile de savoir. L’un des rares films où il est mentionné de manière parfaitement nette au générique, c’est Les Indésirables de Stuart Rosenberg, et cela ne lui ressemble pas beaucoup… Ça ne lui ressemble pas du tout, même, bien que Paul Newman et Lee Marvin soient des acteurs qu’il aurait tout à fait pu intégrer dans son discours, quelques années plus tard. Il serait absolument passionnant de voir émerger un jour les versions initiales de ses scénarii. Mais tels qu’on connaît ces films et en l’absence de ces documents, il est difficile de porter un jugement, à cause de cette méthode de travail typique du cinéma hollywoodien qui consiste à faire écrire plusieurs versions du scénario. Que reste-t-il de la vision de Malick dans L'Inspecteur Harry ? C’est difficile à savoir, particulièrement dans le cas de ce scénario qui est passé par énormément de versions, de réalisateurs, de scénaristes, etc.



Pourquoi Malick semble-t-il aujourd’hui "pressé" ? Même s’il ne fait pas un film par an, on observe une réelle accélération de la cadence ["seulement" 5 ans entre les sorties du Nouveau monde et de The Tree of Life, achevé depuis un moment, tandis que l’opus suivant, encore sans titre, est déjà en post-production, et qu'un autre projet commence à poindre]. Ressent-on chez lui si ce n'est un sentiment d’urgence, du moins l'impression de ne pas avoir assez filmé ?
Là aussi on en reste aux spéculations. Mais néanmoins, je trouve que quelque chose se dégage, et en cela on peut parler d’une évolution, sinon d’une rupture, à partir de La Ligne rouge : au-delà des thèmes, de la tonalité des films, il y a quelque chose que Malick partage beaucoup plus qu’il ne le faisait du temps des Moissons du ciel ou de Badlands, l’enthousiasme et le plaisir de filmer, c’est-à-dire quelque chose de très communicatif. Tout d’un coup quand un paysage se déploie sous nos yeux ou quand une couleur vibre, on ressent probablement la même excitation qu’il a pu ressentir à ce moment-là. Cela, Malick le communique magnifiquement, alors que, bien qu’il s’agisse de films que j’admire énormément, je trouve que les deux premiers ont quelque chose de plus réservé, de plus froid. Les réticences de certains à l’égard du Nouveau monde viennent de là, en réalité. Certains ont reproché à Malick de tomber dans une certaine mièvrerie. Je ne pense pas du tout qu’il s’agisse de mièvrerie, mais tout simplement d’une émotion sincère qu’il est de plus en plus à même de faire partager. L’apport de ces dernières années, qui explique peut-être l’intensification de son rythme de tournage, c’est pour moi le côté palpable de l’enthousiasme de filmer.

Malick s’est fait plus ouvertement lyrique…
Complètement, oui, il assume son lyrisme. Mais en même temps, ce qui fait la beauté des Moissons du ciel ou de Badlands, c’est justement l’aspect réprimé de ce lyrisme.    

Au-delà de cet aspect lyrique, peut-on déjà se faire une idée de son influence, par exemple sur un cinéaste qu’il a lui-même dirigé en tant qu’acteur, Sean Penn (ce n’est peut-être pas un hasard s’il travaille une seconde fois avec lui), dans The Pledge ou Into The Wild (où est mentionné Thoreau) ? A-t-il des émules, des héritiers, à l'instar du Paul Thomas Anderson* de There Will Be Blood que vous évoquiez ?
Oui. Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler d’héritiers ou d’émules, mais en tout cas on sent très bien que Malick "est passé par là". Vous l’évoquiez dans The Pledge, pas seulement pour l’aspect visuel, mais peut-être encore pour ce qui est du rythme. Je crois que Malick a rendu tout d’un coup possible des films comme There Will Be Blood, c’est-à-dire des films qui ne sacrifient plus à ce diktat du rythme rapide qui est le propre du cinéma américain contemporain. Il y a un nouveau tempo, je dirais, que l’on retrouve chez Sean Penn cinéaste, chez Paul Thomas Anderson au moins dans ce film, et l’on pourrait vraisemblablement trouver d’autres cas, qui ont probablement été inspirés par l’exemple de Terrence Malick.

 

 

* lequel envisage de tourner son prochain film en 65mm, format notamment utilisé pour Le Nouveau monde.

 

Propos recueillis le 8 avril 2011 à Paris par Alexis Geng

 

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Commentaires

  • AerisDies

    Merci pour cette très intéressante interview

  • johnrael

    Très intéressant en effet

  • Guillaume182

    Superbe dossier, et je partage tout à fait l'avis de Monsieur Viviani à propos du "Nouveau monde" qui à été mal compris par une partie du public, et qui pour moi est un trés bon film comme tous les autres d'ailleurs.

    A l'heure ou le cinéma américain disparait petit à petit, car aujourd'hui il n'y a plus que des blockbuster abrutissant, ils sortent des films sur l'infâme bieber, des comédies à vomir.

    Le cinéma deviens un fast food.

    Mais fort Heureusement il y a toujours ce grand cinéaste de génie, poétique et surtout authentique, c'est quelqu'un qui fait ses films comme il le veut.

  • Clamavi

    Interview très intéressante !

  • StanKubri34

    Voilà une interview des plus intéressantes. Je suis, en somme, d'accord avec la vision de Viviani sur le cinéma de Malick. C'est vraiment un artiste, tous ces films sont d'une poésie envoutante, d'une beauté visuelle renversante que l'on ne retrouve chez personne. Il est vrai que ces films sont assez mal reçus par le grand public, mis à part "La Ligne Rouge", ce qui peut être compréhensible.. C'est du cinéma pur, chaque image ont un sens que le grand public n'arrive pas à capter forcement.. C'est dommage. Son style est propre à lui-même et il s'affirme de plus en plus comme un très grand cinéaste.
    Il me tarde de voir The tree of life !

  • fabrobinet

    Merci pour cette brillante interview!!! Un des derniers grands cinéastes!!!! Un des seuls à ne pas avoir vendu son âme aux grandes compagnies de production!!! Une leçon de cinéma et de vie à chaque film!!!!

  • Dalzon

    Un dossier passionnant! J'ai (re)découvert Monsieur Malick, cette interview éclairante d'un universitaire éclairé m'a conforté: plus qu'un cinéaste, Terence Malick est un artiste, un vrai.

  • Le-nocher-grec

    Merci à Viviani pour cette recherche éclairante et très fouillée de T. Malick. Très peu de cinéastes comme lui, mêlent aujourd'hui poésie et un si grand intérêt à la nature. Ses films "The Thin Red Line" et "The New World" m'ont profondément bouleversé, c'est donc avec joie que je vais aller voir son dernier opus que j'attends depuis bien trop longtemps.

  • heathledgerdu62

    la ligne rouge et le nouveau monde sont des films exceptionnels de Terrence Malick. J'espère The Tree of Life aura la palme d'or du festival de Cannes !!!

  • Another-girl

    Rien à ajouter si ce n'est que vivement la semaine prochaine! "The tree of Life" nous attend les Amis!

  • doc-parnassus

    Terrence est tt simplement le meilleur il nya ke c film ou g limpression dme prendr une claque et dme dire "c bo":!!! vive malick

  • abeaucadeau

    Très bonne analyse. Malick, l'un des plus grands cinéaste de l'Histoire du cinéma. Qui nous fait languir mais qui ne déçoit jamais. Enfin The Tree of Life sort! Je ne pouvais pas mourir avant de l'avoir vu!

  • Alexdrum

    Je trouve ça très bien de publier un article d'analyse à la une d'un site populaire. Allociné est réellement le parfait compromis entre cinéma populaire et artistique.

  • murdoc87

    Merci pour cette interview sur un cinéaste qui fait des films qui ne parleront que à des poète dans l'ame et aussi ceux qui aiment le cinéma de l'image!!!!!!!!

  • Labouene

    Mince alors... ils n'en savent pas plus... Je pensais lire quelques anecdotes croustillantes sur ses tournages et sa personnalité... mais il faut croire que sa non-communication fonctionne toujours très bien... J'ai vu ses 4 films, je ne louperai pas "tree of life"... LE cinéaste de la contemplation!

  • oc?ane c.

    Ayant vu The tree of life (et uniquement ce film-là, dieu merci), je comprend qu'on puisse parler de cinéaste de l'image. Cette interview aide à comprendre les visées de Malick en tant que réalisateur. Mais même en sachant cela, après 2h20 de film....on s'est vraiment fait chier. C'est peut-être poétique par moment, je l'admet, mais quelles longueurs, quelles redondances, que de scènes inutiles. Malick ne fait pas un film, il fait...il fait...eh bien on ne sait pas. Entre le documentaire et la pub, une histoire calée entre des blocs de visuel et c'est tout. Ca ne s'appelle pas du cinéma, ca s'appelle de l'image, de l'ésthétique. Et le cinéma, ce n'est pas que ça.

  • William E.

    @ chouw-they, comment peux-tu te forger un avis sur toute l'œuvre d'un cinéaste en ayant vu un seul de ses films...Il livre sans aucun doute son œuvre la plus compliquée, la plus recherché aussi, je ne me suis personnellement, pas ennuyé une seconde.

  • Guillaume182

    CHOUw-they t'es stupide!

  • mosquito666

    Guillaume182, mine de rien, la critique de chouw est, elle au moins, constructive. Juste dire "t'es stupide" sans élaborer ni même développer le pourquoi de cette phrase est... inutile.
    William E développe, lui, donc la remarque peut etre prise en compte

  • oc?ane c.

    En effet William E., je n'ai vu que The tree of life, c'est pourquoi je ne parle que de celui-ci. C'est vrai que d'un point de vue esthétique, cette oeuvre atteint des sommets. Mais ce qui m'a gêné ce sont vraiment les longueurs par rapport à l'intrigue. Le suspens du début se noie dans des confusions (je pense surtout aux scènes de Sean Penn, belles, mais le sens ?). La "théorie" de naissance du monde et d'apparition de la vie n'en est pas une, c'est bien un documentaire (très poétique, ça, c'est incontestable. Les réferences à 2001: L'Odyssée... sont flagrantes.) Mais derrière tout ça se cache un dogme religieux très manichéen : la nature (le mal, la cupidité, les passions) et la grâce (le bien, la bonté, la contemplation, l'harmonie). C'est un peu simpliste, on le comprend dès que le dinosaure laisse la vie à l'autre. Le réalisateur tente de le compliquer un peu et de l'illustrer avec l'histoire de cette famille déchirée, mais vraiment, à part de belles images et une théorie un peu mielleuse, je ne comprend pas ce qu'a ce film. Je me documente derechef en voyant d'autre de ses films pour pouvoir étoffer un peu mon jugement qui peut sembler, je le reconnais, arbitraire.

  • oc?ane c.

    (Petite note : je ne veux pas faire du HS, ce dossier concerne Terrence Malick et non pas son dernier film, pas la peine de s'étendre, donc, sur le sujet, désolé d'avoir polémiqué là-dessus.)

  • cressen

    Très amusant le titre de ce dossier "Qui est Terrence Malick?".... On est sur TF1 là? A part ça "c'est qui Jean Dujardin?" (question réminiscente de "C'est qui Sarah Forestier?" après les Césars 2011)... Bon j'arrête de faire ma langue de pute...

  • pascal d.

    C'est tout simplement : une souffrance, voir ce film !! Le plus mauvais des mauvais imitateur de S. Kubrick qui visite Jurassic Park ...

  • FREEDOM K.

    Cool, hard, lent et vif à la fois, c'est ça le cinéma de T.Malick. Un patchwork d'émotions et de sensations.

  • Jean V.

    S. Kubrick qui visite Jurassic Park, dit Pascal.
    Ah! Ah! Ah!

    Pour changer ton opinion:

    http://reviewingtreeoflife.blo...

    Critique en anglais avec les sources essentielles de Malick

  • Guillaume182

    mosquito: william E avait déjà exprimer le fond de ma pensée, pourquoi redire la même chose? J'en est assé des gens qui crachent sur les génies sans même comprendre leurs cinéma.

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